l’Amour Comme Ci

- -
- 100%
- +
Vous serez logée dans un pub et B&B irlandais traditionnel, alors ne vous attendez pas au traitement du Hilton. Ce sera basique.
Cela ne dérangeait pas Keira. Elle avait été une écrivaine affamée depuis l’obtention de son diplôme ; les hôtels étaient hors de sa fourchette de prix depuis des années ! Elle pourrait s’en contenter pendant un mois sans problème. Tant qu’elle n’était pas censée faire pipi dans des toilettes extérieures, elle était certaine qu’elle serait capable de survivre même dans un logement même des plus basiques.
Vous aurez la soirée pour vous acclimater avant de commencer à travailler. Nous avons prévu un guide touristique pour vous montrer les environs. Vous rencontrerez l’entremetteur et responsable du festival le lendemain matin. Le festival commence le soir suivant.
Keira commença à se sentir encore plus excitée en lisant toutes les informations. Le vol parut passer plus vite que prévu, ce qui devait être dû à l’adrénaline qui se répandait dans son corps. Ça et la quantité copieuse de caféine.
Keira débarqua de bonne humeur à Shannon, descendit de l’avion et pénétra dans l’air froid et frais de septembre. Elle s’était attendue à voir des collines verdoyantes et des champs parsemés de vaches et de moutons, mais à la place l’aéroport de Shannon ne payait pas de mine. La zone était un peu industrialisée, avec de grands bâtiments gris dépourvus de toute qualité architecturale.
Le bureau de location de voiture était tout aussi morne. Au lieu d’un chaleureux accueil irlandais, elle rencontra un jeune homme au visage de marbre qui prit silencieusement son bordereau de réservation et lui tendit les clefs presque sans prononcer une syllabe.
Keira prit les clefs et trouva la voiture sur le parking. Elle était incroyablement petite. Elle monta du côté droit, se remémorant le rappel de Heather de conduire à gauche. Il lui fallut du temps pour se refamiliariser avec le concept de levier de vitesse et de pédale d’embrayage, puis elle partit, utilisant le GPS pour la guider hors de Shannon. Il lui faudrait environ une heure pour atteindre sa destination, Lisdoonvarna.
À peine eut-elle quitté la route principale qu’elle s’aperçut qu’elle roulait tout à coup le long de petites routes sinueuses sans trottoirs, sans panneaux de signalisation et sans lampadaires. Keira serra le volant avec anxiété et mit toute son énergie et sa concentration à conduire sur des routes qui semblaient se rétrécir et se rétrécir encore.
Au bout d’un quart d’heure, elle commença à se détendre un peu. La circulation était très fluide, ce qui contribua à calmer ses nerfs, car elle n’était plus aussi terrifiée à l’idée de percuter quelqu’un. L’environnement était également très relaxant, avec rien autour à des kilomètres hormis des collines et des champs parsemés de moutons. L’herbe était la plus verte Keira ait jamais vu dans sa vie. Elle ouvrit la fenêtre pour respirer l’air pur, mais à la place eut droit à l’odeur du fumier. Elle remonta rapidement vitre.
Il n’y avait presque pas de panneaux de signalisation pour la guider et elle était reconnaissante d’avoir le GPS. Mais il n’y avait pas non plus de lampadaires, ce qui rendait la conduite difficile, surtout avec autant de virages serrés et sans visibilité. Et le marquage sur la route avait presque disparu. Keira trouvait également que conduire à gauche était désorientant. La conduite difficile fut encore empirée par le nombre de tracteurs qu’elle dut dépasser !
Juste à ce moment-là, la route devint si étroite qu’il n’y avait d’espace que pour une voiture. Keira faillit percuter tête la première la circulation venant dans l’autre sens et dut piler. La voiture cahota vers le bord de la route et racla contre la haie. Keira leva la main pour s’excuser auprès du conducteur de l’autre voiture, mais il sourit avec gentillesse comme si ce n’était rien, et recula un peu pour lui laisser la place de passer. À New York, un tel incident aurait eu pour conséquence un flot d’injures à l’encontre de Keira. Elle avait déjà un aperçu de cette fameuse hospitalité irlandaise.
Le cœur encore battant sous le choc du quasi-accident, Keira parvint à dépasser lentement la voiture.
Elle continua prudemment, se sentant plus terrifiée par les routes qu’elle ne l’avait été auparavant. Elle espérait que d’avoir éraflé les haies ne laisserait pas de traces visibles sur la peinture – elle n’était pas sûre de ce que la compagnie penserait si elle rentrait avec une énorme facture de l’agence de location pour les dégâts !
Tout reste d’excitation qu’elle avait pu ressentir avant d’emprunter la route traîtresse commença à décliner. Fonctionner à l’adrénaline et au café n’avait mené Keira que jusque là. Maintenant, au lieu d’être en admiration devant la beauté de la nature, elle voyait son environnement comme clairsemé et plutôt morne. Les seules créatures vivantes en vue étaient des moutons. Il y avait de vieilles fermes en pierre disséminées et abandonnées çà et là, en train de s’effondrer. Haut dans les collines, Keira vit également un château abandonné niché au milieu d’une poignée d’arbres, et se demanda comment on avait pu laisser un vieux bâtiment historique tomber en décrépitude.
Elle commença mentalement à prendre des notes pour son article, se souvenant de l’angle cynique qu’Elliot voulait qu’elle adopte. Au lieu de voir la beauté de la côte, elle se concentra plutôt sur les nuages gris. Au lieu de considérer la vaste vue sur l’océan comme miraculeuse, elle décida plutôt de projeter son regard sur la morosité des montagnes escarpées et lointaines. Bien que ce soit d’un côté d’une beauté saisissante, Keira pensait que démystifier le romantisme de l’Irlande ne serait guère un défi. Elle avait juste besoin de savoir où regarder et comment tourner les choses.
Elle traversa une poignée de petites villages aux murs de pierre. L’un d’eux s’appelait Killinaboy et elle rit à haute voix, puis envoya rapidement une photo du panneau de la ville à Zach, dont elle espérait qu’il apprécierait.
Keira était si distraite par le panneau amusant qu’elle ne remarqua presque pas l’obstacle suivant sur la route – un troupeau de moutons ! Elle écrasa les freins et s’arrêta juste à temps, calant au passage. Il fallut beaucoup de temps pour que sa terreur diminue. Elle aurait pu faucher toute une famille de moutons !
Prenant un moment pour calmer les battements de son cœur, Keira attrapa son téléphone et prit une photo de la nuée de postérieurs de moutons, l’envoyant à Zach avec la légende : la circulation ici est un cauchemar.
Bien sûr, elle ne reçut aucune réponse. Frustrée par son total manque d’intérêt, elle envoya les mêmes photos à Nina et Bryn à tour de rôle. Toutes deux répondirent presque immédiatement par des émojis rieurs et Keira hocha de la tête, satisfaite de savoir qu’au moins quelqu’un dans sa vie trouvait ses escapades intéressantes.
Keira fit redémarrer le moteur et rattrapa lentement la cohorte de moutons. Ils la regardèrent passer avec une expression entendue, et elle se retrouva presque à s’excuser à haute voix. Le ciel commençait à s’assombrir, donnant au trajet l’impression d’être encore plus dangereux. Que les seuls bâtiments qu’elle vit soient des églises, avec des statues solennelles de la Vierge Marie priant en bords de la route, n’aidait pas.
Enfin, Keira arriva à Lisdoonvarna et fut agréablement surprise par ce qu’elle vit. Au moins, cela ressemblait à un endroit où des gens vivaient ! Il y avait des rues où plus d’une maison se tenait côte à côte, ce qui lui donnait l’impression d’être une ville…enfin presque. Tous les bâtiments, maisons et magasins étaient si petits et pittoresques, beaucoup à quelques pas à peine de la route, et ils étaient peints de vives couleurs arc-en-ciel. Keira était heureuse d’être enfin dans un lieu qui semblait être une communauté plutôt que de simples habitations reliées par des routes.
Elle ralentit et suivit les panneaux de signalisation jusqu’à ce qu’elle trouve l’adresse qu’elle cherchait, le Saint Paddy’s Inn. Le B&B était juste à l’angle de deux routes, bâtiment de trois étages en briques rouge foncé. De l’extérieur, cela paraissait très irlandais à Keira.
Elle se gara dans le petit parking et sortit d’un bond, puis attrapa ses sacs dans le coffre. Elle était épuisée, prête à rentrer et à se reposer.
Mais alors qu’elle approchait, elle réalisa que le repos n’était pas quelque chose qu’elle allait obtenir de sitôt. Parce que même de là elle pouvait entendre les bruits des conversations joyeuses et d’un débat tumultueux. Elle pouvait aussi entendre le bruit d’un concert, des violons, pianos et accordéons.
Une clochette au-dessus de la porte tinta quand elle entra pour trouver un petit pub sombre, avec un vieux papier peint cramoisi et plusieurs tables rondes en bois. L’endroit était rempli à ras bord de gens, bières à la main. Ils la regardèrent comme s’ils pouvaient dire sur-le-champ qu’elle n’était pas à sa place ici, qu’elle n’était pas seulement une touriste, mais une Américaine.
Keira se sentit un peu dépassée par le choc culturel.
« Que puis-je faire pour vous ? », dit une voix masculine avec un accent prononcé que Keira put difficilement comprendre.
Elle se tourna vers le bar pour voir un vieil homme debout derrière. Il avait un visage rabougri et une touffe de cheveux gris qui poussait du milieu d’un crâne autrement chauve.
« Je suis Keira Swanson », dit Keira en s’approchant de lui. « Du magazine Viatorum. »
« Je ne peux pas vous entendre ! Parlez plus fort ! »
Keira éleva la voix sur fond de musique folklorique jouée en live et répéta son nom. « J’ai une chambre réservée ici », ajouta-t-elle quand l’homme ne fit que la regarder avec un froncement de sourcils. « Je suis une rédactrice d’Amérique. »
Finalement, l’homme parut comprendre qui elle était et pourquoi elle était là.
« Bien sûr ! », s’exclama-t-il, et un sourire s’étira sur son visage. « Du papier avec le nom latin chic. »
Il avait une aura chaleureuse, très grand-père, et Keira se sentit se détendre à nouveau.
« C’est celui-là », confirma-t-elle.
« Je suis Orin », dit-il. « Je suis le propriétaire du Saint Paddy. Je vis ici aussi. Et c’est pour vous. » Tout à coup, une pinte de Guinness fut posée sur le bar en face de Keira. « Un accueil traditionnel du Saint Paddy. »
Keira fut prise de court. « Je ne suis pas tellement une buveuse », dit-elle en riant.
Orin lui jeta un coup d’œil. « Vous l’êtes pendant que vous êtes dans le comté de Clare, ma fille ! Vous êtes là pour vous laisser aller tout comme le reste des habitants. Et de toute façon, nous devons trinquer à votre bon voyage ! Merci à la Vierge Marie. » Il fit un signe de croix sur sa poitrine.
Keira se sentit un peu timide en acceptant la Guinness et en prenant une gorgée du liquide fort et crémeux. Elle n’avait jamais goûté de Guinness auparavant et la saveur ne lui était pas particulièrement agréable. Après seulement une gorgée, elle fut certaine qu’elle ne serait pas capable de finir la pinte entière.
« Tout le monde », cria Orin aux clients du pub, « c’est le reporter américain ! »
Keira ne savait plus où se mettre, alors que tout le pub se retournait et commençait à applaudir, à pousser des acclamations comme si elle était une sorte de célébrité.
« Nous sommes tellement excités que vous soyez ici ! », dit une femme aux cheveux frisés. Elle se pencha un peu trop près et sourit un peu trop largement au goût de Keira. Puis, d’une voix plus basse, elle ajouta : « Il se pourrait que vous vouliez essuyer votre moustache de Guinness. »
Sentant ses joues brûler d’embarras, Keira essuya rapidement la mousse de sa lèvre supérieure. Une seconde plus tard, une autre des clientes du pub se fraya un passage, jouant des coudes avec d’autres sur son chemin — sans que personne ne semble s’en soucier. Elle renversa un peu de son verre quand elle trébucha. « J’ai hâte de lire votre texte ! »
« Oh, merci », dit Keira en haussant les épaules. Il ne lui était pas venu à l’esprit que les personnes locales voudraient lire ce qu’elle avait écrit à leur sujet. Cela pourrait rendre toute cette approche cynique un peu plus difficile à trouver.
« Alors qu’est-ce qui vous a donné envie d’être journaliste ? », dit l’homme à côté d’elle.
« Je ne suis qu’une chroniqueuse », dit Keira en rougissant, « pas un reporter. »
« Juste une chroniqueuse ? », s’exclama l’homme, qui parlait fort et cherchait à attirer l’attention des autres autour de lui. « Vous entendez ça ? Elle dit qu’elle est juste une chroniqueuse. Eh bien, je peux à peine tenir un stylo, donc vous êtes un génie en ce qui me concerne. »
Tout le monde rit. Keira but nerveusement de petites gorgées de Guinness. L’hospitalité irlandaise était plus que la bienvenue, mais c’était aussi un choc culturel, et elle se surprit à avoir un mouvement de recul, en pensant à la myriade de façons dont elle pouvait étriller cet endroit dans son article.
« Je vais vous montrer votre chambre », dit finalement Orin, une fois qu’elle eut réussi à boire presque la moitié de la pinte de Guinness.
Elle le suivit dans un étroit escalier grinçant et le long d’un couloir au tapis élimé qui sentait fortement la poussière. Keira marcha silencieusement et prit tout cela en note, construisant des phrases cinglantes dans sa tête tout en observant le décor suranné. Les murs étaient décorés de photographies décolorées et encadrées d’anciennes équipes de football locales, et Keira sourit quand elle vit que la majorité des joueurs partageaient le même nom de famille, O’Sullivan. Elle prit une photo discrète de l’équipe de football en noir et blanc et l’envoya à Zach avec la légende : M. O’Sullivan a dû être un reproducteur prolifique.
« Voilà », dit Orin en ouvrant une porte, puis il la fit entrer.
La chambre était horrible. Bien que grande, avec un lit double et une énorme fenêtre, elle était affreusement décorée. Le papier peint était en quelque sorte couleur pêche, taché par endroits comme s’il avait été marqué par des années d’empreintes de mains sales. Le lit était recouvert d’une mince couette, qui était matelassée mais pas de la manière engageante d’une maison de campagne, plutôt comme la naufragée d’un magasin de fripes.
« C’est la chambre avec le bureau », dit Orin, souriant avec fierté, et il désigna un petit bureau en bois sous la fenêtre. « Pour quand vous écrirez. »
Keira rougit. Elle était intérieurement horrifiée à l’idée de rester dans la pièce crasseuse pendant un mois entier, mais elle réussit à articuler un reconnaissant, « Merci ». Voilà pour avoir pensé qu’elle pourrait faire contre mauvaise fortune bon cœur pendant un mois !
« Voulez-vous prendre un peu de temps pour vous installer avant de rencontrer Shane ? », demanda Orin.
Keira fronça les sourcils, confuse. « Qui est Shane ? »
« Shane Lawder. Votre guide touristique. Pour le festival », expliqua Orin.
« Bien sûr », dit Keira, en se souvenant que dans ses notes Heather avait mentionné qu’il y aurait un guide touristique. « Oui, s’il vous plaît, j’aimerais rencontrer Shane. » Elle n’avait aucune envie de passer une minute de plus dans la pièce, aussi laissa-t-elle tomber son sac sur le lit et redescendit l’escalier grinçant.
« Shane ! », cria Orin en reprenant son poste derrière le bar.
À la surprise de Keira, ce fut le violoniste qui répondit. Il posa son instrument – bien que le groupe de musiciens avec lequel il jouait continua comme si de rien n’était – et approcha.
Sous sa barbe hirsute, Keira pouvait voir qu’il avait une mâchoire ciselée. En fait, s’il n’y avait pas eu les cheveux, qui avaient désespérément besoin d’être coupés, et les vêtements dépenaillés, Shane aurait plutôt été beau. Keira se sentit coupable d’avoir pensé une telle chose, d’autant plus qu’avec Zach la situation était délicate et précaire en ce moment, mais elle pensa à la devise de Bryn : Il n’y rien de mal à regarder.
« Vous ne ressemblez pas beaucoup à un Joshua », dit Shane en lui serrant la main.
« Oh, personne ne vous l’a dit ? », dit Keira. « Quelque chose est arrivé et j’ai été envoyée à la place. Désolée pour ça. »
Shane lui lança un regard impertinent. « De quoi vous excusez-vous ? Je préférerais de beaucoup passer trente jours avec une belle femme comme vous. Sans vouloir offenser ce Joshua, je suis sûr qu’il est assez attirant, mais il n’a pas l’air d’être mon type. Vous voyez, comme c’est un homme et tout. »
Keira déglutit. Elle ne s’était pas attendue à ce que les hommes irlandais soient aussi directs. Mais elle se souvint de Zach et répéta le mantra dans sa tête, qu’elle ne faisait que regarder.
Alors que Shane prenait un tabouret à côté d’elle, Orin plaça une Guinness devant chacun d’eux. Keira gémit silencieusement. Elle ne pouvait pas supporter autant d’alcool !
Shane prit une grande gorgée dans son verre, puis étala quelques documents sur le bar.
« Le Festival de l’Amour dure trente jours », expliqua-t-il. « La plupart des activités ne commencent pas avant le soir, alors j’ai préparé un itinéraire des endroits que nous pouvons visiter pendant que vous êtes ici, afin que vous puissiez avoir une meilleure idée du pays dans son ensemble. Nous commencerons par le Burren pour la montagne, puis les falaises de Moher pour voir l’océan, puis nous irons dans le comté voisin, Kerry, à la belle vieille demeure d’époque de Killarney, puis vers Dingle. »
« Je pensais que vous me guidiez seulement pour le festival », dit Keira. « Pas à travers tout le pays ! »
« Vous allez devenir folle si vous ne vous éloignez pas un peu de Lisdoonvarna pendant la journée », expliqua Shane. « Tous les groupes de personnes qui vont et viennent, ça devient un peu trop. »
Keira rit silencieusement dans sa barbe. Elle doutait sérieusement que Lisdoonvarna fût aussi trépidante pendant le festival que New York l’était tous les jours.
« Il y a beaucoup d’alcool », poursuivit Shane. « Certaines fêtes continuent jusqu’au petit matin. Je dis quelques-unes, mais en réalité c’est la majorité. »
Keira pensa aux participants chahuteurs à l’enterrement de vie de garçon avec lesquels elle avait partagé le vol et se demanda si elle allait dormir au cours du mois à venir.
« Ça a l’air génial », dit-elle en jetant un coup d’œil au programme. « Mais j’aurai besoin de temps chaque jour pour écrire. Ça ne peut pas être qu’une partie de plaisir. »
Shane lui sourit. « Vous venez tout juste d’arriver ici et vous pensez déjà au travail ? »
« Je le dois », expliqua Keira. « C’est vraiment important pour moi. Je ne veux pas tout gâcher. »
« Et ne pas tout gâcher veut dire ne pas se laisser aller ? »
Keira n’était pas d’humeur à être remise en cause sur ses choix de vie. Elle en avait eu assez de la part de Zach et sa mère.
« Cela signifie simplement prendre du temps chaque jour pour écrire », réfuta-t-elle, un peu agacée.
L’expression de Shane conserva son sourire amusé. Il prit une langoureuse gorgée de sa pinte. « Vous êtes une de celles du genre collet monté, non ? », plaisanta-t-il. « À travailler sans arrêt sans se détendre. »
Keira lui lança un regard impassible. « Je ne sais pas comment vous pouvez prétendre savoir quoi que ce soit sur moi », dit-elle. « Vous me connaissez depuis cinq minutes. »
Shane ne cessait de sourire. Il ne répondit pas, comme si la dispute était déjà réglée.
Keira se tendit. Il était beau, c’était vrai, mais s’il continuait comme ça, il allait finir par l’agacer. Elle ne savait pas si elle pouvait supporter trente jours de taquineries, de boissons et ne pas avoir d’espace pour écrire.
Peut-être que cette mission allait être plus difficile qu’elle ne l’avait prévu.
*
Keira parvint finalement à s’éclipser à minuit. Elle avait perdu le compte du nombre de Guinness qu’Orin et Shane avaient bu, mais heureusement pour elle ils avaient arrêté d’essayer de la persuader de les suivre. Malgré tout, sa tête lui tournait un peu tandis qu’elle montait les escaliers vers sa chambre.
Elle ferma la porte, mais le bruit de la musique et des réjouissances en bas ne cessa pas. Keira se sentait tendue, comme si elle était trop comprimée. Elle regarda son téléphone, mais constata qu’il n’y avait aucun message de Zach. Il avait assurément eu le temps de les lire maintenant. Ce qui signifiait qu’il lui réservait un silence complet. Quelle maturité, pensa Keira.
Au moins, elle avait reçu des réponses de Nina et Bryn, qui posaient une myriade de questions. Elle envoya un message à Nina – qui allait éditer l’article – pour lui dire que son programme était rempli à ras bord, et de ne pas s’attendre à un quelconque travail pendant un moment. À Bryn, elle envoya une brève description des caractéristiques physiques de Shane et quelques émojis flamme.
Il est casse-pieds, par contre. Un de ces types arrogants qui pense que c’est attachant de te taquiner.
La réponse de Bryn ne se fit pas attendre. C’est attachant.
Keira rit et rangea son téléphone. La musique au rez-de-chaussée allait certainement la garder éveillée pendant quelques heures, alors elle pouvait aussi bien passer du temps sur son ordinateur. Elle le sortit de son sac et commença à rédiger un mail à Elliot avec certaines de ses premières idées pour aborder l’article. Grâce à toutes les Guinness, elle se retrouva capable d’adopter un ton encore plus sarcastique qu’elle ne l’avait anticipé.
Si vous vous êtes déjà demandé quelle odeur avait de la Guinness éventée incrustée dans un tapis depuis des décennies, alors ne cherchez pas plus loin que le Saint Paddy’s Inn à Lisdoonvarna, dans le Comté de Clare. En tant qu’Américaine exotique, mon arrivée a provoqué une étouffante effusion d’hospitalité irlandaise. Je dis étouffante, parce que refuser les offres de copieuses quantités d’alcool n’était tout simplement pas une option, d’où l’odeur de Guinness éventée mentionnée précédemment qui imprègne chaque centimètre carré de ce tripot crasseux et sombre. En fait, l’endroit est tellement imprégné de Guinness que les tapis, rideaux et papiers peints sont tous collants au toucher. Disons juste que je ne serai pas surprise si l’eau de ma douche matinale (dans la salle de bains démodée attenante) était noire et mousseuse…
Elle poursuivit sur le même ton sarcastique. Elle savait qu’il était méchant de critiquer le B&B et les gens amicaux qu’elle avait rencontrés jusqu’à présent, mais elle ne pouvait simplement pas s’en empêcher.
Elle termina et appuya sur envoyer. Elliot répondit presque immédiatement par un mail élogieux.
Continuez comme ça, Keira. C’est de l’or !
Juste à ce moment, le téléphone de Keira sonna. C’était Bryn. Keira soupira, réalisant qu’elle n’allait pas travailler plus ce soir-là. Elle referma son ordinateur portable et prit l’appel, tout en grimpant dans son lit.
« Quoi de neuf ? », demanda-t-elle à sa sœur.
« J’ai juste eu rendez-vous raté », expliqua Bryn. « Alors j’ai pensé que j’allais t’appeler pour avoir les dernières informations sur ce guide touristique bien foutu. »
Keira rit. « Eh bien, il a trop de cheveux. Et son sens de la mode est nul. Mais avec un peu d’effort il serait bien. »
« Je pense que tu devrais te lancer », dit Bryn.
Keira poussa une exclamation, surprise par l’impertinence de Bryn, même pour elle. « Et Zach ! », dit-elle en riant.
« Qu’en est-il de lui ? », répondit Bryn avec dédain.
Keira grommela. « C’est mon petit-ami », rappela-t-elle à Bryn. « Et même si Shane se faisait couper les cheveux et avait une toute nouvelle garde-robe, je ne pourrais pas passer plus de cinq minutes en sa compagnie avant de l’étrangler. »
Bryn rit. « Ça va rendre les prochaines semaines un peu difficiles, non ? »
« Ça et le fait que ma chambre se trouve au-dessus d’un pub qui ne semble pas avoir d’heure de fermeture et un groupe folk qui joue vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. »
« Ça a l’air incroyable », la contredit Bryn. « Bon sang, Keira, tu travailles tellement que tu ne peux même pas voir dans quelle situation excitante tu te trouves ! Tu viens de me dire que la fête ne s’arrête jamais avec un grognement. »






