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Mieux que personne, Sacchetti était en position de bien connaître tous ces menus faits de la vie journalière, qu’il a recueillis pour son amusement et pour le nôtre; il remplit dans la dernière moitié de sa vie la charge de Podestat, magistrature qui, outre ses attributions administratives et politiques, conférait un pouvoir presque arbitraire, et dont la juridiction singulièrement étendue allait des cas de simple police aux causes emportant la peine capitale: dans la même séance, le Podestat décidait d’une contestation à propos d’un panier d’œufs et envoyait un mauvais drôle à la potence. Sacchetti ne dut assurément pas être pour les petites villes de Bibbiena et de San-Miniato, où l’envoya successivement la République de Florence, ce qu’est Angelo, tyran de Padoue, dans le sombre drame de Victor Hugo: la griffe du tigre sur la brebis, l’homme devant qui les fenêtres se ferment, les passants s’esquivent, le dedans des maisons tremble; mais s’il n’entendait point, la nuit, des pas dans son mur, il est bien permis de croire que son esprit observateur et curieux pénétrait assez facilement les murs et les secrets des autres. De là, dans ses Nouvelles, tant de renseignements puisés aux meilleures sources sur les principales familles Italiennes et les personnages en vue de son temps; il aimait ses délicates fonctions, tout en se dépitant de ne pas les exercer sur un plus vaste théâtre, il se plaît à les rehausser, à rapporter de beaux procès, jugés soit par lui-même, soit par divers de ses collègues, et, au milieu de ses récits généralement plus plaisants que tragiques, il tient souvent en réserve quelque terrible histoire, propre à effrayer quiconque voudrait se moquer des Podestats, Prévôts, Capitaines-grands et autres gens de justice.
Par sa naissance autant que par ses aptitudes, Franco Sacchetti était destiné aux charges publiques. La famille des Sacchetti est citée avec celle des Pulci, par Machiavel, comme une des plus anciennes et des plus importantes du parti Guelfe, chassées de Florence lors d’un triomphe éphémère des Gibelins à l’approche de l’Empereur Frédéric II, réduites à se réfugier dans les forteresses du Val-d’Arno et dont l’exil faisait la sécurité des vainqueurs. Elles furent rappelées peu de temps après et depuis lors conservèrent presque toujours le pouvoir. Dante aussi en parle comme d’une des premières familles de Florence:
Grande fut jadis la colonne du Vair,Les Sacchetti, Giuochi, Fifanti, Barucci,Galli, et ceux qui rougissent à cause du Boisseau42…(Les Sacchetti appartenaient sans doute à la corporation des pelletiers); Dante les cite parmi les vieux Florentins dont le nom se perd dans la nuit des temps:
… Dirò degli alti Fiorentini,Dei quai la fama nel tempo è nascosa…(Paradiso, XVI, 86-87.)Pourtant une vieille haine existait entre les Sacchetti et les Alighieri. Dans l’Enfer, Dante rencontre un de ses parents, Geri del Bello, tué par un Sacchetti, et l’Ombre, lui rappelant que sa mort est restée jusqu’à présent sans vengeance, le menace fortement du doigt (Inferno, XIX, 25-27). Ces inimitiés, que le temps finit par éteindre, n’altérèrent en rien le culte que voua plus tard Franco Sacchetti au grand poète Florentin; maints endroits de ses écrits témoignent de sa profonde admiration pour le chantre de la Divine Comédie, et l’une de ses Nouvelles (CXXI —Le Tombeau du Dante), renferme l’éloge le plus original, le plus audacieux qu’on puisse faire de son génie.
Il grandit et atteignit l’âge viril à l’une des périodes les plus troublées de l’histoire de Florence, celle où de terribles calamités vinrent se joindre aux luttes des partis qui divisaient continuellement cette turbulente République. Nobles et Plébéiens étaient arrivés à se faire la guerre, non plus pour obtenir, comme le remarque Machiavel, partage égal du pouvoir, mais pour s’annuler et se proscrire, dès que l’une des deux factions l’emportait. Le Duc d’Athènes, amené et soutenu par la faction des Nobles, venait d’être chassé, les Nobles tous tués ou proscrits. Le parti populaire, auquel appartenaient les Sacchetti, dominait; la ville n’en était pas plus calme, déchirée entre diverses familles qui se disputaient les armes à la main les principales magistratures. Des bandes de condottieri, appelées les unes par le Pape, les autres par l’Empereur, erraient à travers l’Italie, pillant les campagnes, prenant d’assaut les petites villes, prêtes à se mettre au service de n’importe quelle cité ou de quel prince, et forçant tout le monde à se renfermer chez soi, à s’armer pour se défendre d’attaques imprévues. La peste vint apporter un surcroît de désolation et de terreur. Né en 1335, Sacchetti avait treize ans lorsque éclata cette terrible peste noire, décrite par Boccace sous de si sombres couleurs dans le prologue du Décaméron, et qui lui laissa, à lui aussi, des souvenirs ineffaçables, car il en a également parlé dans la préface de ses Nouvelles43. On a peu de détails sur la première partie de son existence; on sait seulement qu’il voyagea, pour apprendre le négoce; qu’il était en 1350 en Slavonie, en 1353 à Gênes. Il s’adonnait en même temps à la poésie et dut à un certain nombre de Canzones, de Sonnets, de Madrigaux et de Ballades, qui le firent placer par ses contemporains immédiatement au-dessous de Pétrarque, son premier renom littéraire; très peu de ses vers ont été conservés et, quoiqu’ils soient fort estimables, ils ne légitiment pas tout à fait une si favorable appréciation.
Une de ses meilleures pièces est celle qu’il composa en 1375, à propos de la mort de Boccace; d’autres Canzones lui furent inspirés à diverses époques de sa vie par les événements auxquels il se trouva mêlé, et suivant l’usage du temps, par ses amours. Il dit avoir poursuivi de ses instances, pendant vingt-six ans, une dame dont le nom est resté ignoré, et qu’il accabla sans résultat de ses bouquets à Chloris. Sur la fin de sa vie, il s’en désolait encore et, contant dans l’une de ses Nouvelles (CXI —Le paquet d’orties), l’histoire d’un Religieux qui avait, en amour, des procédés un peu plus expéditifs, «un autre, et je suis de ceux-là,» dit-il avec quelque tristesse, «un autre aura beau adresser aux femmes mille madrigaux ou ballades, il n’en recevra pas un salut!» Il a en outre composé des Sermons dont nous dirons un mot; enfin on a quelques lettres Latines qui indiquent un esprit très-cultivé44.
Le point culminant de sa carrière politique fut la part qu’il prit, en 1376, à la ligue des États du nord et du centre de l’Italie contre l’Église, sous le Pontificat de Grégoire XI. L’Italie échappait au Pape qui, de son palais d’Avignon, prétendait la gouverner plus étroitement que jamais. Toutes les villes qu’il tenait sous sa domination se soulevaient; Bologne chassait ignominieusement son Légat, Rome même n’était pas sûre. Pour se consolider dans Faënza, l’Évêque d’Ostie, un des plus grands scélérats de l’époque, au dire de Muratori, prit à sa solde l’Anglais John Hawkwood (le Giovanni Acuto ou Gian Acut de Sacchetti et des chroniques Italiennes), qui guerroyait depuis longues années dans la Péninsule, à la tête de bandes indomptables. L’Anglais pénétra dans Faënza, puis réclama au Légat la solde de ses hommes; c’était une comédie convenue d’avance. «Payez-vous sur les habitants,» répondit le Cardinal. Hawkwood commença par bannir onze mille citoyens, toute la population valide, puis, sûr de ne plus rencontrer de résistance, mit la ville à sac; toutes les femmes furent livrées aux soldats, trois cents massacrées. «Voilà quels chiens,» dit Muratori, »prenaient à leur service en Italie les ministres de l’Église!» Le cardinal de Genève, depuis Anti-Pape sous le nom de Clément VII, émerveillé des hauts faits d’Hawkwood, l’envoya contre Cesena, qu’il traita aussi cruellement, puis contre Florence, qui ferma ses portes. L’Anglais ne put que ravager les territoires environnants, détruire les moissons et menacer la ville d’une épouvantable famine. En gens avisés, les Florentins achetèrent Hawkwood, qui, recevant de grosses sommes pour les réduire et le double pour ne rien faire, resta tranquillement dans ses quartiers; plus tard, ils le prirent à leur solde et l’employèrent avec succès contre le Pape, circonstance à laquelle cet illustre bandit doit d’avoir à Florence un magnifique mausolée, surmonté de sa statue équestre, dans l’église de Santa-Croce.
Malheur à qui est sous toi, et ne se révolte,Car c’est juste raison de se soustraireA qui de sang humain veut se nourrir,s’écrie Sacchetti dans une furieuse invective adressée à Grégoire XI; il y rappelle les massacres ordonnés par le Cardinal de Genève:
… Le sang innocent de CesenaRépandu par tes loups avec tant de rage:Femmes grosses, vieilles, mortes en monceaux,Les membres coupés, saignant par toutes veines;Filles violées aux cris de: Qui en veut, la prenne!D’autres réfugiées en nouveau servage;Aucunes, avec leurs enfants, pour comble d’horreur,Frappées à mort sur l’autel des églises.O terre changée par elles en lac de sang rouge!O Pontife!..45.Mais il ne se contenta pas de faire des vers. Délégué comme ambassadeur de Florence près des seigneurs de la Romagne par le Conseil des Huit, magistrature dictatoriale créée en vue de la guerre, il se rendit à Bologne avec Matteo Velluti pour collègue, tandis que son frère, Giannozo Sacchetti, était envoyé au même titre à Sienne et à Chiusi; il acquit à la ligue Bologne et quelques autres villes, puis fut dépêché à Milan, y conclut l’alliance entre Barnabò Visconti et la République Florentine, et pendant cinq années ne cessa de réchauffer le zèle des adhérents, de susciter à l’Église de nouveaux ennemis. C’est à cette date que se rapportent ses relations avec les principaux chefs ou capitaines de la ligue: Malatesta de Rimini, Gambacorta de Pise, les Manfredi de Faënza, les Visconti, et surtout avec Ridolfo Varano de Camerino, qui eut le commandement en chef des forces alliées, et dont il rapporte tant de traits dans ses Nouvelles. Au retour de ses missions, en 1372, il fut surpris en mer par les Pisans et fait prisonnier; l’un de ses fils, qui l’accompagnait, Filippo, reçut une blessure grave pendant le combat. La République lui alloua soixante-dix florins d’or en dédommagement de ses pertes. Quelques années auparavant, il avait reçu de son pays une autre marque de faveur singulière. Son frère, Giannozo, se trouva compromis dans une obscure intrigue et convaincu de trahison: il affectait de grands principes religieux, couchait sur la dure, ne portait que des haillons, et n’avait pas laissé cependant d’accepter, en même temps que Franco, les fonctions d’ambassadeur; mais secrètement il travaillait pour le Pape et s’était abouché, à Padoue, avec les chefs des réfugiés Guelfes, que leur attachement au parti de l’Église avait fait bannir de Florence. De concert avec eux, il essaya de décider Carlo de Durazzo à s’emparer de Florence en se rendant à Naples, où il allait, sur la prière du Pape, chasser la reine Jeanne. Surpris avec quelques-uns des conjurés à Marignolle et mis à la torture, Giannozo avoua tout et fut condamné à mort; il eut la tête tranchée le 3 Octobre 1379. D’après une loi de Florence, nul des parents d’un condamné ne pouvait exercer de fonctions publiques: un décret de la Seigneurie, en date de 1380, releva expressément Franco Sacchetti de cette déchéance, manifestant ainsi la haute estime où le tenaient ses concitoyens. En 1383, Sacchetti fut élevé au Priorat; la date mérite d’être signalée: c’était au plus fort de la lutte entre Louis d’Anjou et Carlo de Durazzo, et la peste noire ayant fait de nouveau son apparition à Florence, les principaux habitants abandonnaient la ville, les magistrats désertaient leurs postes; il donna l’exemple du devoir. La même année, au sortir de sa charge, il entra au Conseil des Huit. Le reste de sa vie s’écoula dans des magistratures plus paisibles; on l’envoya successivement en qualité de Podestat à Bibbiena, à San-Miniato, puis à Portico (1398), avec le titre de Gouverneur de la province de Florence. Ses deux fils, Niccolo et Filippo Sacchetti, marchèrent sur ses traces; tous deux furent élevés au Priorat, comme leur père, et le second eut la charge de Gonfalonier de Justice en 1419.
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1
Advis pour dresser une Bibliothèque, présenté à Monseigneur le Président de Mesme, par Gabriel Naudé, Parisien. Réimprimé sur la deuxième édition (Paris, 1644). Paris, Liseux, 1876, petit in-18.
2
Socrate et l’Amour Grec (Socrates sanctus παιδερασθής): dissertation de Jean-Matthias Gesner, traduite en Français pour la première fois, texte Latin en regard, par Alcide Bonneau. Paris, Liseux, 1877, pet. in-18.
3
Un Vieillard doit-il se marier? Dialogue de Pogge, traduit pour la première fois par Alcide Bonneau, texte Latin en regard. Paris, Liseux, 1877, pet. in-18.
4
Vincenzio Pecchioli l’a reproduite dans l’Appendice de sa traduction Italienne de la Vie de Laurent le Magnifique, de Roscoe.
5
Paris, Liseux, 1876, pet. in-18.
6
Pogge eut de Vaggia de’ Buondelmonti cinq fils: Pietro-Paolo, Giovan-Batista, Jacopo, Giovan-Francesco et Filippo. Pietro-Paolo naquit en 1438, prit l’habit de Dominicain et fut promu prieur de Santa-Maria-della-Minerva, à Rome, fonctions qu’il exerça jusqu’à sa mort arrivée en 1464.
Giovan-Batista naquit en 1439; il obtint le grade de docteur en droit civil et en droit canon, fut ensuite chanoine de Florence et d’Arezzo, recteur de l’église Saint-Jean-de-Latran, acolyte du souverain Pontife et clerc assistant de la Chambre. Il a composé en Latin les vies de Niccolo-Piccinnino, fameux condottière du temps, et de Domenico Capranica, cardinal de Fermo. Il mourut en 1470.
Jacopo fut le seul des fils de Pogge qui n’embrassa pas l’état ecclésiastique. Ce fut un littérateur distingué. Entré au service du cardinal Riario, ennemi acharné des Médicis, il était son secrétaire en 1478 et fut engagé par lui dans la conspiration des Pazzi. Le cardinal Riario parvint à s’échapper, mais le malheureux Jacopo subit le sort de la plupart des autres conjurés, qui furent pendus aux fenêtres du Palais de Justice de Florence.
Giovan-Francesco, né en 1447, fut, comme Giovan-Batista, chanoine de Florence et recteur de Saint-Jean-de-Latran. Appelé à Rome, il y devint camérier du pape et abréviateur des lettres apostoliques. Léon X, qui l’avait en grande estime, le prit pour secrétaire. Il mourut à Rome en 1522 et fut enseveli dans l’église de San-Gregorio.
Filippo naquit en 1450; c’est de sa naissance que Pogge se félicite dans une lettre à Carlo Aretino en lui annonçant que, quoique septuagénaire, il vient d’avoir un fils plus fort et plus beau que tous ses aînés. Filippo obtint à l’âge de vingt ans un canonicat à Florence, puis il abandonna l’état ecclésiastique pour épouser une jeune fille appartenant à une famille illustre, dont il eut trois filles.
Outre ses cinq fils, Pogge eut encore une fille, Lucrezia, qu’il maria de bonne heure à un Buondelmonti. On ne sait si cette fille provenait de son mariage, ou si c’était un des enfants qu’il avait eus de sa maîtresse.
7
En ce cas, il aurait ressemblé à l’un des plus célèbres médecins de son siècle, le Ferrarais Jean Manard, mort en 1537, à l’âge de 74 ans. Ce Manard, «s’étant marié fort vieux avec une jeune fille, fit des excès qui le tuèrent. Les poètes ne manquèrent pas de plaisanter là-dessus, et principalement ceux qui sçurent qu’un astrologue lui avoit prédit qu’il périroit dans un fossé. Ce fut le sujet de ce distique de Latomus:
In fovea qui te periturum dixit Aruspex
Non est mentitus: conjugis illa fuit.
«On a tant brodé la pensée de ce distique, que l’on est venu jusques à dire que Manard, pour éviter la prédiction, s’éloignoit de tous les fossez. Il ne songeoit qu’au sens litéral, et ne se défioit point de l’allégorique; mais il reconnut par expérience que ce n’est pas toujours la lettre qui tue, et que l’allégorie est quelquefois le coup mortel.» (Bayle, art. Manard.)
8
La Civilité puérile, par Érasme de Rotterdam; traduction nouvelle, texte Latin en regard, précédée d’une Notice sur les Livres de Civilité depuis le XVIe siècle, par Alcide Bonneau. Paris, Liseux, 1877, pet. in-18.
9
Henri de Bourgogne, fils d’Adolphe, prince de Veere, et petit-fils d’Anne de Borsselen, marquise de Nassau. Cette dame avait été l’affectueuse protectrice d’Érasme, dans sa jeunesse: elle lui avait fait une pension de cent florins pour qu’il pût étudier la théologie à Paris et elle lui continua longtemps ses libéralités. Érasme écrivit pour son fils, Adolphe, prince de Veere, le traité intitulé: Oratio de virtute amplectenda, une de ses premières œuvres; il dédia plus tard à l’un de ses petits-fils, Maximilien de Bourgogne, le dialogue: De recta Latini Græcique sermonis pronuntiatione, auquel il fait allusion dans sa préface, et à l’autre le De Civilitate morum puerilium. Parmi ses lettres, on en rencontre un grand nombre adressées à Anne de Borsselen. – Veere, dans l’île de Walcheren, était au XVIe siècle un des ports fortifiés les plus importants de la Zélande. Cette ville fut apportée en dot, avec la principauté qui en dépendait, par Anne de Borsselen à son mari, Philippe de Bourgogne, fils de l’un des nombreux bâtards du duc Philippe le Bon.
10
Il les avait déjà formulés, en passant, dans divers autres de ses ouvrages. Un de ses colloques, Pietas puerilis, renferme quelques-unes des maximes qu’il a exposées plus complètement dans la Civilité puérile; il y revient encore dans ses Monita pædagogica.
11
Notons ici la particularité curieuse d’une des Civilités que possède la Bibliothèque de l’Arsenal (no 2544). Au lieu des quatrains de Pibrac, annoncés sur le titre, on trouve une poésie intitulée: La Manière civile de se comporter pour entrer en mariage avec une demoiselle:
Pour pratiquer l’honnestetéQue le beau sex’ demande,La plus belle civilitéEst de montrer qu’on aime.«Quelle heure est-il?» dira Suzon,Car souvent ça s’ demande;Vous répondrez d’un joli ton:«C’est l’heure où v’là que j’aime.»A sa fête vous lui ferezDe fleurs une guirlande;Pour devise vous lui mettrez:«Dès qu’on vous voit, on aime.»En attendant sous les ormeauxQue la belle se rende,Faites répéter aux échos:«Eh! v’nez donc, v’là que j’aime!»Quand la mère refuseraLa fille qu’on demande,Pour la fléchir l’amant dira:«Dam! v’là pourtant que j’aime!»Quand on dit ainsi ses raisons,Les mères les entendent,Car c’est le pain dans les maisonsQuand les deux époux aiment.Cette poésie badine est de Moncrif. L’historiogriffe des chats se trouvait un jour, paraît-il, à Châtellerault, chez un imprimeur de ses amis. Pour s’amuser aux dépens des Civilités, de ceux qui les éditent et de ceux qui les lisent, il improvisa cette pièce de vers et la fit composer avec ces caractères particulièrement illisibles dont Châtellerault avait le monopole. On plaça sans doute le feuillet, par mégarde, à la suite de l’ouvrage qui se débitait le plus en ce moment-là; mais la plaisanterie est un peu roide.
12
Les Facéties de Pogge Florentin, traduites en Français, avec le texte en regard. Première édition complète. Paris, Liseux, 1878, 2 vol pet. in-18. —Les Facéties, traduites en Français, avec le texte Latin. Seconde édition complète. Paris, Liseux, 1878, 2 vol. in-18. —Poggio. The Facetiæ, or Jocose Tales of Poggio, now first translated into English; with the Latin text. Paris, Liseux, 1879, 2 vol. in-18.
13
Comme exemple, voici le début de sa traduction, tel que nous le trouvons dans l’édition de Jehan Bonnefons, Paris, 1549, et, avec des rajeunissements d’orthographe, mais sans modifications essentielles, dans celle de Jean-Frédéric Bernard, Amsterdam, 1712:
Conte premier. —D’un pauvre pescheur qui loua et despita Dieu tout en une heure.
Ès parties de Lombardie auprès de la mer est une petite ville nommée Cajette, en laquelle ne demeuroient que tous povres gens, et dont la plus part n’avoient que boire ne que manger, fors de ce qu’ilz povoient gaigner et assembler en pescherie. Or est ainsi que entre eux Cajettans, fut ung nommé Navelet, jeune homme, lequel se maria à une moult belle jeune fille, qui se mist à tenir son petit mesnage, et est assez vray semblable, veu la grandeur luccative dont il estoit, qu’il n’avoit pas de toutes monnoies pour change tenir; dont il n’estoit pas fort joyeux, et non pas de merveilles: car gens sans argent sont à demy mors. Or est vray que pour la petite provision que ce povre jeune homme faisoit en la maison, sa femme souvent le tourmentoit et tempestoit, et si luy donnoit grandes reprouches: tellement que le povre compaignon, comme tout désespéré, proposa de s’en aller dessus la mer, et de laisser sa femme, en espérance de gaigner, et de ne retourner jamais en sa maison, ne au pays, tant qu’il eust aucune chose conquesté. Et a doncques mist à poinct toutes ses besongnes, et fist toutes ses réparations aux navires avecques aucuns certains complices et compaignons que il avoit. Partit d’avecques sa femme, laquelle il laissa en une povre maisonnette toute descouverte: ayant seulement ung petit lict, dont la couverture ne valloit comme riens. Et s’en alla dessus mer, là où il y fut près de cinq ans ou plus, sans revenir. Or advint que tantost après que ce dict gallant fut party, un Quidam, qui estoit tout de loisir, voyant la beaulté de ceste povre jeune femme (que son mary par povreté avoit abandonnée), vint à elle, et l’exhorta par belles parolles, dons et promesses qu’il luy feist, tant qu’elle se consentit à faire sa voulenté, et mist en oubly la foy de mariage qu’elle avoit promise à son mary. Ainsi recouvrit la povre femme pour son mary ung amy, lequel la vestit plaisamment, et luy donna un très-beau lict et belle couverture, luy feist refaire sa maison toute neufve, la nourrit et gouverna très-bien: et qui plus est, à l’aide de Dieu, et de ses voysins, en succession de temps luy feist trois beaulx enfans, lesquelz furent honnestement eslevez et nourris, tant qu’ilz estoient jà tous grans, quant le mary de la mère (qui estoit desjà oublié) retourna, lequel au bout de cinq ans ou environ arriva au port de la cité, non pas tant chargé de biens qu’il avoit espoir quand il partit. Après que ce povre homme fut descendu sur terre, il s’en alla en sa maison, laquelle il veit toute réparée, sa femme bien vestue, son lict couvert d’une belle couverture, et son mesnage très-bien empoint. Quant cest homme veit cest estoit, ainsi que dict est, il fut moult esbahy, et demanda à sa femme dont ce procédoit. Premier, qui avoit esté cause de refaire la maison, de la revestir si bien, qui luy avoit donné son beau lict, sa belle couverture, et générallement dont estoient procedez et venus tant de biens à la maison, qu’il n’y avoit au devant qu’il partist. A toutes les demandes que ce mary feist à cette femme, elle ne respondit aultre chose: sinon que la grace de Dieu les luy avoit envoyez, et luy avoit aidé. Adonc commença le povre homme à louer Dieu, et luy rendre grace de tant de biens qu’il luy avoit envoyez. Tantost après arriva dedans la maison ung beau petit enfant environ de l’aage de trois ans, qui se vint frotter encontre la mère, ainsi que la mère l’admonnestoit. Lors le mary se voyant tout esbahy commença à demander qui estoit celluy enfant. Elle respondit qu’il estoit à eulx. Et le povre homme tout estonné demanda dont il luy estoit venu, que luy estant dehors, et en son absence elle eust conceu et enfanté ung enfant. A ceste demande répondit la jeune femme, que ce avoit esté la grace de Dieu qui luy avoit envoyé. Adonc le povre homme, comme tout hors du sens et enragé, commença à maugréer et despiter Dieu, que tant sollicitement s’estoit meslé de ses besougnes et affaires; qu’il ne luy suffisoit pas de se mesler des affaires de la maison, sans qu’il touchast à sa femme, et lui envoyer des enfans. Ainsi en peu d’heure le povre homme loua, maugréa et despita Dieu de son fait. En ceste facecie est donné à entendre que il n’est rien si subtil et malicieux que une mauvaise femme, rien plus promt ne moins honteux pour controuver mensonges et excusations. Et à ceste cause qu’il n’est homme si ygnorant que aucunesfois ne congnoisse ou apperçoive une partie de sa malice et mensonge.