Le minotaure. La peste / Минотавр. Чума. Книга для чтения на французском языке

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Du reste, le narrateur, qu’on connaîtra toujours à temps, n’aurait guère de titre à faire valoir dans une entreprise de ce genre si le hasard ne l’avait mis à même de recueillir un certain nombre de dépositions et si la force des choses ne l’avait mêlé à tout ce qu’il prétend relater. C’est ce qui l’autorise à faire œuvre d’historien. Bien entendu, un historien, même s’il est un amateur, a toujours des documents. Le narrateur de cette histoire a donc les siens: son témoignage d’abord, celui des autres ensuite, puisque, par son rôle, il fut amené à recueillir les confidences de tous les personnages de cette chronique, et, en dernier lieu, les textes qui finirent par tomber entre ses mains. Il se propose d’y puiser quand il le jugera bon et de les utiliser comme il lui plaira. Il se propose encore… Mais il est peutêtre temps de laisser les commentaires et les précautions de langage pour en venir au récit lui-même. La relation des premières journées demande quelque minutie.
* * *Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arrivé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d’insolite. La présence de ce rat mort lui avait paru seulement bizarre tandis que, pour le concierge, elle constituait un scandale. La position de ce dernier était d’ailleurs catégorique: il n’y avait pas de rats dans la maison. Le docteur eut beau l’assurer qu’il y en avait un sur le palier du premier étage, et probablement mort, la conviction de M. Michel restait entière. Il n’y avait pas de rats dans la maison, il fallait donc qu’on eût apporté celui-ci du dehors. Bref, il s’agissait d’une farce.
Le soir même, Bernard Rieux, debout dans le couloir de l’immeuble, cherchait ses clefs avant de monter chez lui, lorsqu’il vit surgir, du fond obscur du corridor, un gros rat à la démarche incertaine et au pelage mouillé. La bête s’arrêta, sembla chercher un équilibre, prit sa course vers le docteur, s’arrêta encore, tourna sur elle-même avec un petit cri et tomba enfin en rejetant du sang par les babines entrouvertes. Le docteur la contempla un moment et remonta chez lui. […]
Le lendemain 17 avril, à huit heures, le concierge arrêta le docteur au passage et accusa des mauvais plaisants[33] d’avoir déposé trois rats morts au milieu du couloir. On avait dû les prendre avec de gros pièges, car ils étaient pleins de sang. Le concierge était resté quelque temps sur le pas de la porte, tenant les rats par les pattes, et attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme. Mais rien n’était venu.
«Ah! ceux-là, disait M. Michel, je finirai par les avoir.»
Intrigué, Rieux décida de commencer sa tournée par les quartiers extérieurs où habitaient les plus pauvres de ses clients. La collecte des ordures s’y faisait beaucoup plus tard et l’auto qui roulait le long des voies étroites et poussiéreuses de ce quartier frôlait les boîtes de détritus, laissées au bord du trottoir. Dans une rue qu’il longeait ainsi, le docteur compta une douzaine de rats jetés sur les débris de légumes et les chiffons sales […].
Rieux n’eut pas de peine à constater ensuite que tout le quartier parlait des rats.
[Vers onze heures, le docteur accompagne à la gare sa femme, qui, malade depuis un an, doit effectuer un séjour en montagne.]
L’après-midi du même jour, au début de sa consultation, Rieux reçut un jeune homme dont on lui dit qu’il était journaliste et qu’il était déjà venu le matin. Il s’appelait Raymond Rambert. Court de taille, les épaules épaisses, le visage décidé, les yeux clairs et intelligents, Rambert portait des habits de coupe sportive et semblait à l’aise dans la vie. Il alla droit au but. Il enquêtait pour un grand journal de Paris sur les conditions de vie des Arabes et voulait des renseignements sur leur état sanitaire. Rieux lui dit que cet état n’était pas bon. Mais il voulait savoir, avant d’aller plus loin, si le journaliste pouvait dire la vérité.
«Certes, dit l’autre.
– Je veux dire, pouvez-vous porter condamnation totale?
– Totale, non, il faut bien le dire. Mais je suppose que cette condamnation serait sans fondement.»
Doucement, Rieux dit qu’en effet une pareille condamnation serait sans fondement, mais qu’en posant cette question il cherchait seulement à savoir si le témoignage de Rambert pouvait ou non être sans réserves.
«Je n’admets que les témoignages sans réserves. Je ne soutiendrai donc pas le vôtre de mes renseignements.
– C’est le langage de Saint-Just», dit le journaliste en souriant.
Rieux dit sans élever le ton qu’il n’en savait rien, mais que c’était le langage d’un homme lassé du monde où il vivait, ayant pourtant le goût de ses semblables et décidé à refuser, pour sa part, l’injustice et les concessions. Rambert, le cou dans les épaules, regardait le docteur.
«Je crois que je vous comprends», dit-il enfin en se levant.
Le docteur l’accompagnait vers la porte:
«Je vous remercie de prendre les choses ainsi.»
Rambert parut impatienté:
«Oui, dit-il, je comprends, pardonnez-moi ce dérangement.»
Le docteur lui serra la main et lui dit qu’il y aurait un curieux reportage à faire sur la quantité de rats morts qu’on trouvait dans la ville en ce moment.
«Ah! s’exclama Rambert, cela m’intéresse.»
À dix-sept heures, comme il sortait pour de nouvelles visites, le docteur croisa dans l’escalier un homme encore jeune, à la silhouette lourde, au visage massif et creusé, barré d’épais sourcils. Il l’avait rencontré, quelquefois, chez les danseurs espagnols qui habitaient le dernier étage de son immeuble. Jean Tarrou fumait une cigarette avec application en contemplant les dernières convulsions d’un rat qui crevait sur une marche, à ses pieds. Il leva sur le docteur le regard calme et un peu appuyé[34] de ses yeux gris, lui dit bonjour et ajouta que cette apparition des rats était une curieuse chose.
«Oui, dit Rieux, mais qui finit par être agaçante.
– Dans un sens, Docteur, dans un sens seulement.
Nous n’avons jamais rien vu de semblable, voilà tout. Mais je trouve cela intéressant, oui, positivement intéressant.»
Tarrou passa la main sur ses cheveux pour les rejeter en arrière, regarda de nouveau le rat, maintenant immobile, puis sourit à Rieux:
«Mais, en somme, Docteur, c’est surtout l’affaire du concierge.»
[Les rats meurent de plus en plus nombreux. Les Oranais commencent à s’inquiéter.
Mais, le 28 avril, le docteur est appelé par un de ses anciens malades auprès d’un personnage singulier…]
Quelques minutes plus tard, il franchissait la porte d’une maison basse de la rue Faidherbe, dans un quartier extérieur. Au milieu de l’escalier frais et puant, il rencontra Joseph Grand, l’employé, qui descendait à sa rencontre. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, à la moustache jaune, long et voûté, les épaules étroites et les membres maigres.
«Cela va mieux, dit-il en arrivant vers Rieux, mais j’ai cru qu’il y passait.[35]»
Il se mouchait. Au deuxième et dernier étage, sur la porte de gauche, Rieux lut, tracé à la craie rouge: «Entrez, je suis pendu.»
Ils entrèrent. La corde pendait de la suspension audessus d’une chaise renversée, la table poussée dans un coin. Mais elle pendait dans le vide.
«Je l’ai décroché à temps, disait Grand, qui semblait toujours chercher ses mots, bien qu’il parlât le langage le plus simple. Je sortais, justement, et j’ai entendu du bruit. Quand j’ai vu l’inscription, comment vous expliquer, j’ai cru à une farce. Mais il a poussé un gémissement drôle, et même sinistre, on peut le dire.»
Il se grattait la tête:
«À mon avis, l’opération doit être douloureuse. Naturellement, je suis entré.»
Ils avaient poussé une porte et se trouvaient sur le seuil d’une chambre claire, mais meublée pauvrement. Un petit homme rond était couché sur le lit de cuivre. Il respirait fortement et les regardait avec des yeux congestionnés. Le docteur s’arrêta. Dans les intervalles de la respiration, il lui semblait entendre des petits cris de rats. Mais rien ne bougeait dans les coins. Rieux alla vers le lit. L’homme n’était pas tombé d’assez haut, ni trop brusquement, les vertèbres avaient tenu. Bien entendu, un peu d’asphyxie. Il faudrait avoir une radiographie. Le docteur fit une piqûre d’huile camphrée[36] et dit que tout s’arrangerait en quelques jours.
«Merci, Docteur», dit l’homme d’une voix étouffée.
Rieux demanda à Grand s’il avait prévenu le commissariat et l’employé prit un air déconfit:
«Non, dit-il, oh! non. J’ai pensé que le plus pressé…
– Bien sûr, coupa Rieux, je le ferai donc.»
Mais, à ce moment, le malade s’agita et se dressa dans le lit en protestant qu’il allait bien et que ce n’était pas la peine.
«Calmez-vous, dit Rieux. Ce n’est pas une affaire, croyez-moi, et il faut que je fasse ma déclaration.
– Oh!» fit l’autre.
Et il se rejeta en arrière pour pleurer à petits coups. Grand, qui tripotait sa moustache depuis un moment, s’approcha de lui.
«Allons, monsieur Cottard, dit-il. Essayez de comprendre. On peut dire que le docteur est responsable. Si, par exemple, il vous prenait l’envie de recommencer…»
Mais Cottard dit, au milieu de ses larmes, qu’il ne recommencerait pas, que c’était seulement un moment d’affolement et qu’il désirait seulement qu’on lui laissât la paix. Rieux rédigeait une ordonnance.[37]
«C’est entendu, dit-il. Laissons cela, je reviendrai dans deux ou trois jours. Mais ne faites pas de bêtises.»
Sur le palier, il dit à Grand qu’il était obligé de faire sa déclaration, mais qu’il demanderait au commissaire de ne faire son enquête que deux jours après.
«Il faut le surveiller cette nuit. A-t-il de la famille?
– Je ne la connais pas. Mais je peux veiller moimême.»
Il hochait la tête.
«Lui non plus, remarquez-le, je ne peux pas dire que je le connaisse. Mais il faut bien s'entr’aider.[38]»
Dans les couloirs de la maison, Rieux regarda machinalement vers les recoins et demanda à Grand si les rats avaient totalement disparu de son quartier. L’employé n’en savait rien. On lui avait parlé en effet de cette histoire, mais il ne prêtait pas beaucoup d’attention aux bruits du quartier.
«J’ai d’autres soucis», dit-il. […]
* * *[Quelques jours plus tard, le docteur assiste à l’enquête sur la tentative de suicide.]
Quand il arriva, le commissaire n’était pas encore là. Grand attendait sur le palier et ils décidèrent d’entrer d’abord chez lui en laissant la porte ouverte. L’employé de mairie habitait deux pièces, meublées très sommairement. On remarquait seulement un rayon de bois blanc garni de deux ou trois dictionnaires, et un tableau noir sur lequel on pouvait lire encore, à demi effacés, les mots «allées fleuries». Selon Grand, Cottard avait passé une bonne nuit. Mais il s’était réveillé, le matin, souffrant de la tête et incapable d’aucune réaction. Grand paraissait fatigué et nerveux, se promenant de long en large[39]
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Примечания
1
Ring – кольцевой бульвар в Вене
2
l’île Saint-Louis – остров Сен-Луи в Париже
3
un boulomane – любитель игры в шары
4
Diane chasseresse – Диана-охотница
5
sur le dessus de nos cheminées – на каминной полке
6
un petit noir – чашечка чёрного кофе
7
le Midi – Юг (Франции)
8
un bal masqué – маскарад
9
qui se donnent le plus grand mal pour paraître de mauvais garçons – которые стараются изо всех сил казаться хулиганами
10
pour la seule montre – просто напоказ
11
plaqués contre le ciel bleu – прижатые голубым небом
12
à flanc de coteau – на склоне холма
13
en raison du fait que pas une des cinq cents personnes qui s’y trouvent ne saurait tirer son mouchoir sans provoquer des graves accidents – по причине того, что ни один из пятисот присутствующих здесь человек не смог бы расстроиться (из-за поражения), не причиняя значительных повреждений
14
en manches de chemise – без пиджака, в рубашке ни один из пятисот присутствующих здесь человек не смог бы расстроиться (из-за поражения), не причиняя значительных повреждений
15
le puncheur – боксёр, обладающий сильным ударом
16
où les boxeurs auraient à vider une querelle personnelle, connue du public – где боксёры должны бы были положить конец личной распре
17
ces deux villes nord-africaines se seraient déjà saignées à blanc – эти два североафриканских города уже как-то обескровливали друг друга
18
l’usage du monde – знание света
19
une arcade sourcilière – надбровная дуга
20
Donne-lui de l’orge – Всыпь ему
21
un vainqueur aux points – победитель по очкам
22
un col-bleu – матрос
23
Anda! hombre! – (исп.) Давай, приятель!
24
un match nul – ничья
25
De monumets, Oran ne manque guère – Оран не испытывает недостатка в памятниках
26
à nœud papillon et à casque de liège blanc – в галстуке-бабочке и белом пробковом шлеме
27
lA’ngkor – Ангкор, руины древней столицы в Камбодже (IX–XIII в.)
28
la Tour de Babel – Вавилонская башня
29
Pâquerettes et boutons d’or – маргаритки и калужницы
30
Çakya-Mouni – принц Шакья-Муни Гаутама, легендарный основоположник буддизма
31
Il est midi, le jour lui-même est en balance – Полдень, сам день пребывает в нерешительности
32
un boulomane – любитель игры в шары
33
un mauvais plaisant – любитель глупых шуток
34
un regard appuyé – пристальный взгляд
35
mais j’ai cru qu’il y passait – но я думал, что он умер
36
l’huile camphrée – камфорное масло
37
rédiger une ordonnance – выписывать рецепт (на лекарство)
38
s’entr’aider (s’entraider) – помогать друг другу
39
de long en large – взад и вперёд








