Maintenant et À Tout Jamais

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Emily essaya de tourner les robinets dans l’évier, mais rien n’arriva. Elle se mordilla la lèvre, consternée. Pas de chauffage, pas d’électricité, pas d’eau. Que lui réservait encore la maison ?
Elle arpenta la demeure, à la recherche de boutons ou d’interrupteurs qui pourraient contrôler l’eau, le gaz, et l’électricité. Dans le placard sous l’escalier elle trouva une boîte à fusibles, mais actionner les interrupteurs ne fit rien. La chaudière, se souvenait-elle, était en bas dans le sous-sol – mais l’idée de descendre là-bas sans aucune lumière pour la guider la remplissait d’appréhension. Elle avait besoin d’une torche ou d’une bougie, mais elle savait qu’il n’y aurait rien de cette sorte dans la maison abandonnée. Malgré cela, elle vérifia les tiroirs de la cuisine juste au cas où – mais ils étaient seulement pleins de couverts.
La panique commença à papillonner dans la poitrine d’Emily, et elle s’obligea à réfléchir. Elle se rappela des moments qu’elle et sa famille passaient à la maison. Elle se souvenait de la manière dont son père s’arrangeait pour que le fioul soit livré pour chauffer la maison durant les mois d’hiver. Cela rendait sa mère folle car c’était si cher, et qu’elle pensait que chauffer une maison vide était une dépense inutile. Mais le père d’Emily avait maintenu que la maison avait besoin d’être gardée chaude pour protéger la plomberie.
Emily réalisa qu’elle avait besoin de faire livrer du fioul à la maison pour être au chaud. Mais sans réseau sur son téléphone, elle n’avait aucune idée de la façon dont elle ferait arriver cela.
Tout à coup, on frappa à la porte. C’était un coup lourd, régulier, réfléchi, un qui résonnait partout à travers les couloirs vides. Emily se figea, ressentit un tressautement d’anticipation dans la poitrine. Qui pourrait se présenter, à cette heure, avec cette neige ?
Elle quitta la cuisine et avança à pas feutrés sur le plancher du couloir, silencieuse avec ses pieds nus. Ses mains planèrent au-dessus de la poignée, et après une seconde d’hésitation, elle parvint à se ressaisir et ouvrit la porte.
Debout devant elle, vêtu d’une veste à carreaux, ses cheveux sombres et longs jusqu’à la mâchoire saupoudrés de flocons de neige, se tenait un homme duquel Emily ne put s’empêcher de penser qu’il ressemblait à un bucheron, ou au Chasseur dans le Petit Chaperon Rouge. Pas son genre habituel, mais il y avait certainement de la beauté dans ses yeux bleus et froids, dans la barbe de trois jours de son menton bien dessiné, et Emily fut choquée par le pouvoir de son attraction envers lui.
« Je peux vous aider ? », demanda-t-elle.
L’homme la regarda en plissant des yeux, comme s’il la jaugeait. « Je suis Daniel », dit-il. Il tendit la main pour qu’elle puisse la serrer. Elle la prit, remarquant la rugosité de ses mains. « Qui êtes-vous ? »
« Emily », répondit-elle, soudainement consciente de la sensation du battement de son propre cœur. « Mon père est propriétaire de cette maison. Je suis venue pour le week-end. »
Le regard oblique de Daniel s’intensifia. « Le propriétaire n’a pas été là depuis vingt ans. Avez-vous obtenu la permission pour juste faire un saut ? »
Son ton était dur, légèrement hostile, et Emily recula.
« Non », dit-elle maladroitement, un peu mal à l’aise qu’on lui rappelle l’expérience la plus douloureuse de sa vie – la disparition de son père – tout en étant pris de court par le ton bourru de Daniel. « Mais j’ai son approbation pour aller et venir comme je le souhaite. Qu’est-ce que c’est pour vous de toute façon ? » Elle fit correspondre son ton rude au sien.
« Je suis le gardien ici », répondit-il. « Je vis dans la remise dans l’enceinte. »
« Vous vivez ici ? » s’écria Emily, et l’image d’un week-end calme dans la vieille maison de son père se brisa en morceaux devant elle. « Mais je voulais être seule pour ce week-end. »
« Oui, eh bien, vous et moi tous les deux », répondit Daniel. « Je n’ai pas l’habitude de voir des gens faire irruption sans être annoncés. » Il jeta un regard suspicieux par-dessus son épaule. « Et violer la propriété. »
Emily croisa les bras. « Qu’est-ce qui vous fait penser que j’ai violé la propriété ? »
Daniel leva un sourcil en réponse. « Eh bien, à moins que vous n’ayez prévu de vous asseoir ici dans l’obscurité et le froid pendant tout le week-end, alors je m’attendrais à ce que vous ayez trafiqué. Avoir mis en route la chaudière. Purger les tuyaux. Ce genre de choses. »
La brusquerie d’Emily céda la place à l’embarras. Elle rougit.
« Vous n’avez pas réussi à mettre la chaudière en route n’est-ce pas ? », répondit Daniel. Il y avait un sourire ironique sur ses lèvres qui disait à Emily qu’il était légèrement amusé par sa situation délicate.
« Je n’en ai juste pas encore eu la chance », répondit-il, de manière hautaine, tentant de sauver la face.
« Vous voulez que je vous montre ? », demanda-t-il, presque doucement, comme si le faire ne le dérangeait pas.
« Vous le feriez ? », demanda Emily, un peu stupéfaite et confuse par son offre pour l’aider.
Il s’avança sur le paillasson. Des flocons de neige voletèrent de sa veste, créant une tempête de neige miniature dans le couloir.
« Je préfèrerais le faire moi-même plutôt que nous ne cassiez quelque chose », dit-il pour s’expliquer, accompagné par un haussement d’épaule nonchalant.
Emily remarqua que la neige qui tombait à l’extérieur s’était transformée en une sorte de blizzard. Même si elle ne voulait pas l’admettre, elle était plus que reconnaissante que Daniel soit apparu quand il l’avait fait. Sinon, elle serait probablement morte de froid durant la nuit.
Elle ferma la porte et tous deux avancèrent dans le couloir, vers la porte menant au sous-sol. Daniel était venu préparé. Il sortit une torche, éclairant le passage le long de l’escalier vers la cave. Emily le suivit en bas, un peu paniquée par l'obscurité et les toiles d'araignée, tandis qu’elle descendait dans l'obscurité. Elle avait été terrifiée par le vieux sous-sol quand elle était enfant et s’était rarement aventurée là-bas. L'endroit était rempli de toutes les vieilles machines et mécanismes qui gardaient la maison en fonctionnement. Les voir la bouleversa et la fit se demander une fois de plus si venir ici était une erreur.
Heureusement, Daniel fit démarrer la chaudière en quelques secondes, comme si c’était la chose la plus aisée au monde. Emily ne pouvait pas s’empêcher de se sentir un peu dérangée par le fait qu'elle avait besoin d'un homme pour l'aider, quand la raison même pour laquelle elle était venue ici en premier lieu était de retrouver son indépendance. Elle réalisa alors que, malgré la beauté sauvage de Daniel et son attirance indéniable envers lui, elle avait besoin qu’il parte le plus tôt possible. Elle allait difficilement s’engager dans un cheminement de découverte de soi avec lui dans la maison. L’avoir sur le terrain était déjà assez mauvais.
En ayant terminé avec la chaudière, ils quittèrent tous deux le sous-sol. Emily était soulagée d’être sortie de cet endroit froid, humide et moisi, et de nouveau dans la partie principale de la maison. Elle suivit Daniel alors qu’il se dirigeait le long du hall, vers la buanderie à l'arrière de la cuisine. Immédiatement, il se mit au travail pour purger les tuyaux.
« Êtes-vous préparée pour chauffer la maison tout l'hiver? », lui demanda-t-il depuis sa position sous le plan de travail. « Car ils vont geler autrement. »
« Je ne reste que pour le week-end », répondit Emily.
Daniel glissa de sous le comptoir et se redressa, les cheveux ébouriffés et hérissés partout. « Vous ne devriez pas blaguer avec une vieille maison comme ça », dit-il en secouant la tête.
Mais il s’occupa tout de même de l'eau.
« Alors, où est la chaleur ? », demanda Emily dès qu'il en eut fini. Il faisait encore très froid, malgré le fait que la chaudière était en marche et les tuyaux maintenant dégagés. Elle se frotta les bras, en essayant d’activer sa circulation sanguine.
Daniel rit, nettoyant ses mains sales sur un torchon. « Elle ne commence par miraculeusement à fonctionner, vous savez. Vous aurez besoin d'appeler pour faire livrer du fioul. Tout ce que je pouvais faire était de la mettre en route. »
Emily soupira de frustration. Ainsi Daniel n’était pas tout à fait le Chevalier en Armure Étincelante qu’elle pensait qu'il était.
« Tenez », dit Daniel, en lui remettant une carte de visite. « C'est le numéro d'Éric. Il vous en livrera. »
« Merci », marmonna-t-elle. « Mais on dirait que je ne peux pas capter le réseau ici. »
Elle pensa à son téléphone portable, aux barres vides, et se souvint à quel point elle était vraiment complètement seule.
« Il y a une cabine téléphonique sur la route », dit Daniel. « Mais je ne voudrais pas prendre le risque d'aller là au milieu de la tempête de neige. Et de toute façon, ils seraient fermés maintenant. »
« Bien sûr », marmonna Emily, qui se sentait frustrée et complètement perdue.
Daniel dut remarquer qu’Emily était énervée et se sentait abattue. « Je peux faire démarrer un feu pour vous », offrit-il, hochant la tête en direction du salon. Ses sourcils se haussèrent dans l’expectative, presque timidement, lui donnant soudain un air enfantin.
Emily voulait protester, lui dire de la laisser seule dans la maison glaciale car c’était la moindre des choses qu’elle méritait, mais quelque chose la fit hésiter. Peut-être était-ce parce qu'avoir Daniel dans la maison la fit se sentir tout à coup moins seule, moins coupée de la civilisation. Elle ne s’était pas attendue à ne pas avoir de réseau, à ne pas pouvoir communiquer avec Amy, et le fait de passer sa première nuit seule dans la maison froide et sombre était intimidant.
Daniel devait avoir lu son hésitation, car il sortit de la pièce avant qu'elle n’ait eu la chance d'ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit.
Elle suivit, en silence, reconnaissante qu'il ait été capable de lire la solitude dans ses yeux et ait offert de rester, même si c’était sous le prétexte d’allumer un feu. Elle trouva Daniel dans le salon, occupé à construire une pile soignée de petit bois, de charbon, et de buches dans la cheminée. Elle fut immédiatement frappée par un souvenir de son père, de lui accroupi à côté de la cheminée, créant habilement des feux, y consacrant autant de soin et de temps que quelqu'un aurait pu le faire pour une grande œuvre d'art. Elle l’avait observé en faire des milliers, et les avait toujours aimés. Elle trouvait les feux hypnotiques, et passait des heures allongée sur le tapis devant eux, contemplant les flammes orange et rouge qui dansaient, assise depuis si longtemps que la chaleur lui piquait le visage.
L’émotion commença à grimper dans la gorge d'Emily, menaçant de l'étouffer. Penser à son père, voir si clairement le souvenir dans son esprit, faisait monter à ses yeux des larmes longtemps réprimées. Elle ne voulait pas pleurer devant Daniel, ne voulait pas ressembler à une jeune fille pathétique et sans défense. Alors, elle ravala ses émotions à l'intérieur et rentra avec détermination dans la pièce.
« En fait je sais comment faire un feu », dit-elle à Daniel.
« Oh, vous le savez ? », répondit Daniel, levant les yeux vers elle avec un sourcil froncé. « Je vous en prie. ». Il lui tendit les allumettes.
Emily les saisit et en frotta une, la petite flamme orange vacillant dans ses doigts. La vérité était qu’elle n’avait fait que regarder son père faire du feu ; elle-même n’en avait jamais réellement allumé un. Mais elle pouvait voir si parfaitement dans sa mémoire la façon de le faire qu'elle se sentait confiante dans ses capacités. Elle s’agenouilla donc et mit le feu au petit bois que Daniel avait placé dans la cheminée. En quelques secondes, le feu grandit, émettant un craquement familier lui parut aussi réconfortant et nostalgique que toutes les autres choses que la grande maison contenait. Elle se sentit très fière d'elle-même tandis que les flammes commençaient à croître. Mais au lieu d'aller dans la cheminée, la fumée noire commença à s’échapper dans la pièce.
« MERDE ! », cria alors que des panaches de fumée tournoyaient autour d'elle.
Daniel se mit à rire. « Je pensais que vous aviez dit que vous saviez comment faire un feu », dit-il, ouvrant le conduit. Le panache de fumée fut immédiatement aspiré dans la cheminée. « Tadam ajouta-t-il avec un sourire.
Pendant que la fumée autour d'eux se dispersait, Emily lui lança un regard mécontent, trop fière pour le remercier pour l'aide dont elle avait eu si clairement besoin. Mais elle était soulagée d'être enfin au chaud. Elle sentit sa circulation reprendre, et la chaleur revint dans ses orteils et son nez. Ses doigts raides se détendirent.
Dans la lumière du feu, le salon était éclairé, baigné dans une lumière orange et douce. Emily put enfin voir tous les vieux meubles anciens avec lesquels son père avait rempli la maison. Elle parcourut du regard les objets miteux et délaissés autour d’elle. La grande bibliothèque se tenait dans un coin, autrefois remplie de livres qu'elle avait passés ses jours d'été sans fin à lire, maintenant seuls quelques-uns restaient. Puis il y avait le vieux piano à queue près de la fenêtre. Sans doute était-il désaccordé à présent, mais autrefois, son père lui jouait des chansons et elle chantait en cœur. Son père s’était tant enorgueilli de cette maison, et la voir maintenant, la lumière éclatante révélant son état négligé, la bouleversait.
Les deux canapés étaient couverts de draps blancs. Emily pensa à les enlever, mais sut que cela produirait un nuage de poussière. Après le nuage de fumée, elle n’était pas certaine que ses poumons pourraient l’endurer. Et de toute façon Daniel avait l'air d’être assez confortablement assis par terre à côté de la cheminée, donc elle vint juste s'installer à côté de lui.
« Alors », dit Daniel, réchauffant ses mains face au feu. « On vous a obtenu un peu de chaleur au moins. Mais il n'y a pas d'électricité dans la maison et j’imagine que vous n’avez pas pensé à mettre une lampe de poche ou une bougie dans votre valise. »
Emily secoua la tête. Sa valise était remplie de choses futiles, rien d'utile, rien dont elle avait vraiment besoin pour s’en sortir ici.
« Papa avait l'habitude de toujours avoir des bougies et des allumettes », dit-elle. « Il était toujours préparé. Je suppose que je m’étais attendue à ce qu'il y en ait encore tout un placard plein, mais après vingt ans… »
Elle ferma la bouche, soudain consciente d'avoir exprimé un souvenir de son père à voix haute. C’était quelque chose qu'elle ne faisait pas souvent, gardant habituellement ses sentiments le concernant cachés profondément en elle. La facilité avec laquelle elle avait parlé de lui la stupéfia.
« Nous pouvons simplement rester ici alors », dit doucement Daniel, comme s’il voyait qu’Emily éprouvait à nouveau un souvenir douloureux. « Il y a plus qu’assez de lumière pour voir avec le feu. Voulez-vous du thé ? »
Emily fronça les sourcils. « Du thé ? Comment allez-vous précisément le faire sans électricité ? »
Daniel sourit, comme s’il acceptait une sorte de défi. « Regardez et prenez en de la graine. »
Il se leva et disparut du grand salon, revenant quelques minutes plus tard avec une petite casserole ronde qui ressemblait à un chaudron.
« Qu'avez-vous là? », demanda Emily, curieuse.
« Oh, juste le meilleur thé que vous ayez jamais bu », dit-il en plaçant le chaudron sur les flammes. « On n'a jamais vraiment pris le thé jusqu'à ce qu’on en ait goûté un fait au feu de bois. »
Emily le contempla, la façon dont la lumière du feu dansait sur ses traits, les accentuant d'une manière qui le rendait encore plus attrayant. La façon dont il était si concentré sur sa tâche ajoutait à l’attrait. Emily ne pouvait s’empêcher d’admirer son pragmatisme, son ingéniosité.
« Là », dit-il en lui tendant une tasse et brisant sa rêverie. Il l’observa, dans l'expectative, tandis qu’elle prenait une première gorgée.
« Oh, c'est vraiment bon », déclara Emily, soulagée, au moins, de chasser le froid de ses os.
Daniel se mit à rire.
« Quoi ? », le mit au défi Emily.
« Je ne vous avez pas encore vu sourire, c’est tout », répondit-il.
Emily détourna les yeux, se sentant soudain timide. Daniel était à peu près aussi éloigné de Ben qu’un homme pourrait l’être, et pourtant son attirance pour lui était puissante. Peut-être que dans un autre endroit, une autre fois, elle aurait cédé à son désir. Elle n’avait été avec personne d’autre que Ben pendant sept ans, après tout, et elle méritait un peu d’attention, une certaine excitation.
Mais ce n’était pas le bon moment. Pas avec tout ce qui se passait, avec sa vie dans un chaos et un bouleversement complet, et avec les souvenirs de son père tourbillonnant dans son esprit. Elle avait l’impression que partout où elle regardait, elle pouvait voir son ombre ; assis sur le canapé avec une jeune Emily recroquevillée à côté de lui, lisant à haute voix pour elle ; surgissant à la porte en rayonnant d’une oreille à l’autre après avoir découvert une antiquité précieuse au marché aux puces, puis passant des heures à la nettoyer soigneusement, la restaurer dans sa gloire passée. Où étaient toutes les antiquités maintenant ? Toutes les figurines et œuvres d'art, la vaisselle commémorative et les couverts de l’époque de la Guerre Civile ? La maison ne s’était pas immobilisée, figée dans le temps, comme dans ses souvenirs. Le temps avait pris son dû sur la propriété d'une manière qu'elle n’avait même pas envisagé.
Une autre vague de chagrin se brisa sur Emily tandis elle regardait autour d’elle la pièce poussiéreuse et en pagaille, elle qui autrefois avait été débordante de vie et de rires.
« Comment cet endroit s’est-il retrouvé dans cet état ? », s’écria-t-elle soudain, incapable de repousser le ton accusateur dans sa voix. Elle fronça les sourcils. « Je veux dire, vous êtes censé en prendre soin, n'êtes-ce pas ? »
Daniel tressaillit, comme pris de court par son agressivité soudaine. Quelques instants plus tôt, ils avaient partagé un moment doux et tendre. Quelques secondes plus tard, elle lui donnait du fil à retordre. Daniel lui lança un regard froid. « Je fais de mon mieux. C’est une grande maison. Il n'y a que de moi. »
« Désolée », dit Emily, qui fit immédiatement marche arrière, n’aimant pas le moins du monde être la cause de l’expression assombrie de Daniel. « Je ne voulais pas vous lancer une pique. Je veux juste dire… » Elle regarda dans sa tasse et fit tourner les feuilles de thé. « Cet endroit était comme quelque chose sortie d'un conte de fées quand j'étais enfant. C’était tellement impressionnant, vous savez ? Si beau. » Elle leva les yeux pour voir Daniel la regarder attentivement. « C’est juste triste de la voir comme ça. »
« À quoi pensiez-vous ? », répondit Daniel. « Elle a été abandonné pendant vingt ans. »
Emily détourna tristement les yeux. « Je le sais. Je suppose que je voulais juste imaginer qu'elle avait été figée dans le temps. »
Figée dans le temps, comme l'image de son père qu'elle avait dans son esprit. Il avait encore quarante ans, n’avait pas vieilli d'un jour, était identique à la dernière fois qu'elle l'avait vu. Mais là où qu’il soit, le temps lui aurait affecté tout comme il avait affecté la maison. La détermination d'Emily à réparer la maison durant week-end devint encore plus forte. Elle ne voulait rien de plus que restaurer ce lieu, ne serait-ce qu’un peu, dans son ancienne gloire. Peut-être qu’en le faisant, ce serait comme ramener son père à elle. Elle pourrait le faire en son honneur.
Emily avala sa dernière gorgée de thé et posa la tasse. « Je devrais aller au lit », dit-elle. « Ça a été une longue journée. »
« Bien sûr », répondit Daniel en se levant. Il se mut rapidement, sortant d’un pas désinvolte de la chambre, le long du couloir et vers la porte, laissant Emily le suivre derrière. « Appelez moi juste quand vous aurez un problème, d’accord ? », ajouta-t-il. « Je suis juste dans la remise là-bas. »
« Je n’en aurais pas besoin », dit Emily, indignée. « Je peux le faire moi-même. »
Daniel tira et ouvrit la porte d'entrée, laissant le tourbillon de neige entrer. Il s’emmitoufla dans sa veste, puis regarda par-dessus son épaule. « L’orgueil ne vous mènera pas loin dans ce lieu, Emily. Il n'y a rien de mal à demander de l'aide. »
Elle voulait crier lui quelque chose, se défendre, pour réfuter son affirmation selon laquelle elle était trop fière, mais à la place elle observa son dos tandis qu’il disparaissait dans la neige sombre et tourbillonnante, incapable de parler, sa langue complètement nouée.
Emily ferma la porte, boquant le monde extérieur et la fureur de la tempête de neige. Elle était maintenant complètement seule. De la lumière du feu dans le salon se répandait dans le couloir, mais n’était pas été assez forte pour atteindre les escaliers. Elle leva les yeux vers le long escalier en bois qui disparaissait dans l'obscurité. À moins qu'elle ne soit prête à dormir sur un des canapés poussiéreux, elle devrait avoir le courage de s'aventurer à l'étage dans le noir complet. Elle avait l’impression d’être de nouveau un enfant, effrayée de descendre dans le sous-sol rempli d'ombres, inventant toutes sortes de monstres et de goules qui l’attendaient là-bas pour l’attraper. Seulement maintenant, elle était une adulte de trente-cinq ans, trop effrayée de monter à l'étage car elle savait que la vue de l'abandon était pire que n’importe quelle goule que son esprit pouvait créer.
Au lieu de cela, Emily retourna dans le salon pour absorber le restant de chaleur du feu. Il y avait encore quelques livres sur l'étagère – Le Jardin Secret, Cinq Enfants, Ça – des classiques que son père lui avait lu. Mais qu’en était-il du reste ? Où étaient passés les biens de son père ? Ils avaient disparu dans cet endroit inconnu, tout comme son père l’avait fait.
Alors que les braises commençaient à mourir, l'obscurité s’installa autour d'elle, faisant écho à son humeur sombre. Elle ne pouvait plus repousser la fatigue ; le temps était venu de gravir les marches.
Juste au moment où elle quittait le salon, elle entendit un léger grattement venir de la porte d’entrée. Sa première pensée fut qu’une bête sauvage furetait à la recherche de restes, mais le bruit était trop précis, trop réfléchi.
Le cœur battant, elle avança à pas feutrés le long du hall en silence et s’approcha de la porte, en appuyant son oreille contre elle. Quoi qu'elle pensait avoir entendu, il avait disparu. Tout ce qu'elle pouvait entendre était le vent hurlant. Mais quelque chose la força à ouvrir la porte.
Elle l'ouvrit et vit que, posé sur le perron, se trouvaient des bougies, une lampe de poche et des allumettes. Daniel a dû revenir et les laisser pour elle.
Elle les saisit, en acceptant à contrecœur son aide, piquée dans sa fierté. Mais en même temps, elle était plus que reconnaissante qu'il y ait quelqu'un qui veille sur elle. Elle avait peut-être abandonné sa vie et fuit jusqu’à cet endroit, mais elle n’était pas complètement seule ici.
Emily alluma la lanterne et se senti finalement assez courageuse pour monter à l'étage. Tandis que la lumière douce la conduisait dans l'escalier, elle en profita pour regarder les photos encadrées sur le mur, les images à l'intérieur fanées par le temps, les toiles d'araignée en travers couvertes de poussière. La plupart des images étaient des aquarelles des environs – des bateaux naviguant sur l'océan, les conifères dans le parc national – mais une était un portrait de famille. Elle s’arrêta, contemplant la photo, regardant l'image d'elle-même quand elle était une petite fille. Elle avait complètement oublié cette photographie, l’avait confinée dans une partie de sa mémoire et enfermée pendant vingt ans.
Ravalant ses émotions, elle continua à gravir les marches. Le vieil escalier craquait bruyamment sous ses pieds et elle remarqua que certaines des marches s’étaient fissurées. Elles avaient été éraflées par des années de pas et un souvenir la frappa, elle montant et descendant ces marches avec ses chaussures rouges.
Droit devant la lumière de la lampe illuminait le corridor – les nombreuses portes en chêne foncé, la fenêtre qui allait du sol au plafond maintenant barricadée avec des planches. Son ancienne chambre était la dernière à droite, en face de la salle de bains. Elle ne pouvait pas supporter l'idée de regarder dans chacune des deux pièces. Trop de souvenirs étaient contenus dans sa chambre, trop pour elle pour les libérer dès maintenant. Et elle n'avait pas vraiment envie de découvrir quel genre de petites bêtes avait fait de la salle de bain leur maison au fil des ans.