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— Je vais devoir m’arrêter un peu, avoua-t-elle. Si j’essaie de faire la salle de bal, je pourrais m’endormir !
Elle remarqua alors qu’Amy et Chantelle échangeaient des regards malicieux.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en posant les mains sur ses hanches.
— Rien, dit Amy d’un ton qui suggérait le contraire.
— Est-ce qu’on peut lui montrer ? demanda Chantelle à Amy.
— C’est à toi de voir. C’est toi qui voulais que ce soit une surprise.
— Me montrer quoi ? s’exclama Emily.
Mais Chantelle et Amy ne faisaient que se parler entre elles. Elle s’impatientait.
— Les filles, je veux savoir quelle est la surprise ! s’écria-t-elle.
— D’accord, dit Chantelle. Viens avec moi.
Elle lui prit la main et la conduisit dans le couloir au plafond bas qui s’ouvrait sur la salle de bal. Mais au lieu de marcher tout droit, elle tourna à droite, le long du passage encore plus petit qui serpentait jusqu’aux appentis et au garage. Elles s’arrêtèrent à l’une des portes.
Emily fronça les sourcils, curieuse.
— Nous ne savions pas où nous pouvions faire ça, lui dit Chantelle. Parce qu’on ne voulait pas prendre une des chambres de l’auberge. Puis Amy m’en a suggéré une dans les appentis à l’extérieur. Alors… Elle fit une pause pour un effet dramatique, puis ouvrit la porte.
Emily cligna des yeux, puis haleta. La petite pièce avait été complètement transformée. Au lieu de murs en briques apparentes, ceux-ci avaient été plâtrés et peints en jaune. Au lieu du sol en ciment, on avait posé du vinyle et, par-dessus, un tapis duveteux. La pièce était remplie de lumières – des veilleuses, des guirlandes et des lumières musicales qui projetaient des étoiles sur les murs.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Emily, stupéfaite.
— C’est la salle de jeux ! s’exclama Chantelle.
Amy prit alors la parole.
— Nous avons pensé que ce serait bien pour les filles d’avoir un endroit pour jouer à l’écart du reste de l’auberge. Un endroit où elles pourraient faire autant de bruit qu’elles le voudraient sans déranger les clients. Et un endroit où ranger leurs jouets pour qu’ils ne finissent pas éparpillés partout.
Emily était si touchée. La pièce était adorable. Il ne restait plus qu’à la remplir de jouets !
— Je l’adore, merci beaucoup les filles, dit-elle en embrassant Amy et Chantelle tour à tour.
Elles retournèrent dans le salon pour qu’Emily puisse se reposer avant que le reste du travail de décoration ne commence. Puis, une fois qu’elle se sentirait revigorée, elles s’attelleraient à la tâche colossale de décorer la salle de bal.
— Tu sais qu’il manque quelque chose, dit Emily, une fois qu’elle eut accroché les dernières guirlandes lumineuses.
— Quoi ? demanda Chantelle.
— Un sapin de Noël ! s’écria Emily.
Les yeux de Chantelle s’écarquillèrent, excités.
— Bien sûr. Mais il nous en faut plus d’un, non ? Il nous en faut un pour la salle de bal et un pour le couloir. Et un pour chez Trevor. Et le spa. Et le restaurant.
— On dirait qu’il va falloir une forêt entière, plaisanta Amy.
— Et si on y allait tous demain ? suggéra Emily. Yvonne m’a parlé d’une magnifique pépinière de sapins en dehors de la ville. Ce n’est pas celle de l’année dernière, celle-là est censée être énorme. On pourrait y passer la journée ?
— Mamie Patty peut venir aussi ? demanda Chantelle.
Emily secoua la tête.
— Elle part aujourd’hui, dit-elle.
L’expression de Chantelle se fit triste. Emily détestait la voir triste.
— Pourquoi tu ne lui demandes pas ? lui suggéra-t-elle.
Patricia l’avait surprise récemment. Peut-être resterait-elle dans les parages s’ils disaient clairement qu’ils le souhaitaient aussi.
Chantelle bondit hors de la salle de bal et fonça dans le couloir jusqu’à l’endroit où Patricia se détendait dans le salon.
— Mamie Patty ! cria Chantelle, sa voix assez forte pour porter jusqu’à Emily, qui se dandinait à travers la maison en essayant de la rattraper. Tu peux venir avec nous choisir les sapins de Noël demain ?
Emily entra dans le salon, juste au moment où Patricia secouait la tête.
— J’ai réservé un vol pour rentrer chez moi, dit Patricia. Il part ce soir.
— S’il te plaît, dit Chantelle. Elle grimpa sur le canapé à côté de Patricia et lui passa les bras autour du cou. Je veux vraiment, vraiment que tu restes.
Patricia avait l’air stupéfaite par cette démonstration d’affection. Elle tapota le bras de Chantelle et leva les yeux vers Emily, debout sur le seuil. Emily sourit, touchée par la douce scène, par tout l’amour que Chantelle avait à donner, même à ceux qui s’étaient comportés d’une manière qui aurait dû l’en dissuader. Sa capacité à pardonner et sa gentillesse inspiraient toujours Emily.
— Eh bien, je ne veux pas gêner, dit Patricia en parlant à Chantelle, mais en dirigeant ses paroles vers Emily.
— Tu ne gênes pas, dit Emily. Nous avons adoré t’avoir ici. Et ce n’est pas comme si l’auberge était occupée en ce moment. C’est le moment idéal pour rester. Si tu veux.
— S’il te plaît ! supplia Chantelle.
Finalement, Patricia sourit.
— D’accord. Je vais rester et vous aider à choisir un sapin.
Emily pouvait voir que Patricia était touchée d’être invitée, d’être accueillie après tous ses mauvais comportements et les terribles disputes qu’elles avaient eues. Emily fut alors envahie par la reconnaissance, réalisant que la vie pouvait toujours changer pour le mieux. Il semblait que l’on n’était jamais trop vieux pour ressentir la joie de Noël pour la première fois !
CHAPITRE DEUX
Chantelle avait l’air ravi quand Emily et Daniel arrivèrent pour la récupérer à l’école le lendemain, avec Patricia patiemment assise sur le siège arrière. Elle n’avait pas l’air à sa place dans la camionnette dans son ensemble deux pièces et son blazer, mais Chantelle ne parut pas s’en rendre compte. Elle sauta sur le siège arrière, rayonnante, les joues roses à cause du froid.
— C’est l’heure du sapin de Noël ! déclara-t-elle.
Daniel les conduisait. Le temps n’avait pas encore complètement tourné, bien qu’il fasse beaucoup plus froid qu’avant. Il n’y avait même pas de givre, qui était pourtant courant à cette époque de l’année. Emily était reconnaissante que le temps se soit maintenu jusqu’à présent. Cela signifiait qu’Evan, Clyde et Stu avaient pu faire leur travail sur l’île sans entrave.
La pépinière de sapins de Noël était assez loin hors de Sunset Harbor. Ils pouvaient, bien sûr, simplement se rendre au dépôt d’Ellsworth, mais ce n’était pas une expérience magique pour Chantelle ! Ils allèrent donc encore plus loin, jusqu’à celui de Taunton Bay.
En descendant la petite route cahoteuse et pleine de nids-de-poule qui menait à la pépinière, Emily put constater que la distance en sus en valait la peine. La pépinière était énorme, et grâce à la pente de la colline qui s’étendait de la route jusqu’au lac, ils avaient une vue imprenable sur tous les arbres.
— C’est comme toute une forêt de Noël, dit Chantelle, émerveillée.
Daniel s’arrêta sur le parking de fortune, qui n’était en fait qu’une parcelle de terre aplatie, couverte de foin pour éviter qu’elle ne devienne trop boueuse. Il y avait une petite maison en bois sur le côté, avec une pancarte faite à la main qui annonçait : Arbres de Noël !
Emily jeta un regard à Patricia, à l’arrière à côté de Chantelle. Elle arborait son typique air snob et regardait par la fenêtre avec une expression effrayée à la vue du sol en terre battue sur lequel elle était sur le point de poser les pieds. Mais elle tint sa langue et Emily sourit en son for intérieur. Cela, en soi, ressemblait à une petite victoire.
Tout le monde sortit de la camionnette en même temps que la porte d’entrée de la maison s’ouvrait. Un homme sortit et leur fit signe. Il avait l’air très enjoué, avec un ventre rond. Emily se demandait s’il avait déjà songé à devenir un Père Noël, il en avait assurément l’apparence.
— Salut tout le monde ! dit-il en souriant. Je suis Terry. Vous êtes ici pour abattre votre propre arbre ?
— Pour sûr, dit Daniel.
Chantelle se précipita vers l’homme.
— En fait, il nous faut cinq arbres. Nous avons une auberge, vous voyez, un restaurant et un spa et ils ont tous besoin d’un arbre. La salle de bal aussi.
— Et si on commençait par un seul ? suggéra Emily, pensant au fait qu’il n’y avait pas de clients à l’auberge en ce moment pour en profiter. Si on a besoin de plus, on peut revenir pour une autre excursion.
Cela semblait plaire à Chantelle, et elle acquiesça d’un signe de tête.
Terry leur montra les outils dont ils auraient besoin, puis ils se saluèrent et se dirigèrent vers la forêt. Emily pensa à la pépinière qu’ils avaient visitée l’année précédente, qui était très animée, et qui ressemblait davantage à une foire avec des tours en tracteur et un stand de chocolat chaud. Elle aimait mieux ce retour aux sources, d’autant plus que dès qu’ils furent dans la forêt, tout devint très silencieux.
— C’est comme si nous étions les seules personnes au monde, dit-elle en berçant son ventre d’un geste protecteur.
Elle regarda en arrière pour voir comment Patricia s’en sortait. Malgré le fait qu’elle marchait sur la pointe des pieds et que son expression soit légèrement pincée, elle ne se plaignait pas du tout. Emily se demandait si elle s’amusait même, mais était trop fière pour l’admettre.
— Mamie Patty, dit Chantelle en revenant en courant pour prendre sa main. Je crois qu’il y en a des vraiment, vraiment vert foncé par ici. Allez !
Emily sourit en voyant sa fille tirer sa mère avec elle. Elle ne pouvait se souvenir d’un moment où Patricia se soit montrée si docile en participant à une activité. Chantelle déteignait clairement sur elle.
Daniel passa un bras autour des épaules d’Emily, rapprochant son corps du sien.
— C’est merveilleux, n’est-ce pas ? dit-il. J’adore la voir s’enthousiasmer pour ce genre de choses. J’ai hâte de voir à quel point elle va aimer Hanukkah.
— À quelle date ça commence cette année ? lui demanda Emily.
— Le seize.
— Alors après que Charlotte se soit jointe à nous ? demanda-t-elle en souriant, pensant au fait d’avoir un nouveau-né à la maison en cette merveilleuse période de l’année, alors que tout le monde faisait la fête.
— Peut-être même le premier jour, dit-il en souriant. Ne serait-ce pas adorable ?
Emily acquiesça d’un signe de tête. Il serait certainement ravissant pour Daniel que sa fille naisse un jour aussi important.
À ce moment-là, ils entendirent Chantelle appeler à travers les arbres.
— Maman ! Papa ! Nous l’avons !
Ils se sourirent puis se dirigèrent vers sa voix. Chantelle se tenait à côté d’un arbre magnifique, avec les aiguilles les plus sombres qu’Emily ait jamais vues. Il était merveilleusement symétrique, aussi, le genre d’arbre parfait qui aurait pu être utilisé dans les magazines. Et bien sûr, il était énorme.
— Mamie Patty l’a choisi, dit Chantelle en regardant Patricia avec fierté.
— Vraiment ? demanda Emily, ravie de voir à quel point les deux s’entendaient bien.
Même Patricia avait l’air satisfaite.
— Dans ce cas, dit Daniel, Mamie Patty devrait porter le premier coup.
— Oh mon Dieu, non, répondit Patricia en secouant les mains devant la scie que lui offrait Daniel.
— Oui ! s’écria Chantelle en sautillant et en tapant dans ses mains. S’il te plaît, Mamie Patty ! C’est vraiment amusant. Je te promets que tu vas aimer.
Patricia hésita, puis finit par céder.
— Oh, d’accord alors. Si vous insistez.
Elle prit la scie à Daniel et regarda l’arbre comme si c’était un ennemi. Daniel se pencha et écarta les grosses branches de son chemin, exposant le tronc là où elle devait couper. Patricia s’accroupit, dans une tentative manifeste de ne pas laisser son genou toucher le sol boueux. Emily ne put s’empêcher de rire intérieurement. Sa mère ressemblait à une grenouille !
Patricia tendit la main et scia le tronc de l’arbre. Elle poussa un cri, ravie, et regarda la famille qui l’observait.
— Tu as raison, dit-elle à Chantelle. C’est amusant !
Emily gloussa à haute voix. À peine quelques jours dans le Maine avec sa famille et Patricia avait goûté aux s’mores et coupé du bois !
Terry arriva alors avec son tracteur et mit l’arbre à l’arrière.
— Tout le monde à bord, dit-il.
Ils montèrent tous à l’arrière avec l’arbre, mais Patricia ne bougea pas. Elle avait l’air abasourdie.
— Vous voulez que je monte là-dedans ?
Chantelle bondissait sur le banc en bois.
— C’est marrant ! Tu dois me croire !
— Ai-je le choix ? demanda Patricia.
Chantelle secoua la tête, toujours en souriant diaboliquement.
Patricia soupira et monta dans la remorque du tracteur.
Une fois tout le monde installé, Terry les ramena à leur voiture et aida Daniel à fixer le très gros arbre sur le toit de sa camionnette. Puis ils le payèrent et quittèrent la pépinière, tous euphoriques.
— J’ai hâte de le décorer, dit Chantelle. Tu vas m’aider Mamie Patty ?
Patricia acquiesça.
— Oui, mais je dois partir après ça. D’accord ?
Chantelle fit la moue, l’air un peu triste.
— Si tu le dois. Mais j’ai adoré que tu sois là. Tu reviendras pour Noël ?
Emily regardait sa mère dans le rétroviseur. Elle ne pouvait même pas se souvenir de la dernière fois qu’elles avaient passé Noël ensemble. Même quand elle vivait à New York avec Ben, elles avaient eu tendance à passer Noël avec sa famille plutôt qu’avec Patricia. Ce n’était pas comme si la femme s’était un jour particulièrement mise dans l’esprit de Noël, et cela semblait être une idée stupide pour Emily de se faire subir tout cela. Elle se demandait si le côté plus doux de Patricia qu’elle avait vu ces derniers jours pouvait aller aussi loin.
— Peut-être, dit-elle, évasivement. Je pense que tes parents auront peut-être beaucoup de choses à faire à ce moment-là. Le bébé sera né d’ici là, n’est-ce pas ?
— Encore mieux ! la pressa Chantelle. Elle a besoin de rencontrer sa Mamie Patty.
Comprenant clairement qu’elle se heurtait au côté têtu de Patricia, Chantelle fit une autre suggestion.
— Ou si ce n’est pas pour Noël, peut-être le Nouvel An ? On fait une fête à l’auberge. Tu peux venir à celle-là, n’est-ce pas ?
Patricia resta évasive dans ses réponses.
— Nous verrons, fut tout ce à quoi elle s’engagea.
Chantelle regarda ensuite Emily.
— Tu penses que Papa Roy voudra venir pour Noël ? demanda-t-elle.
Emily se sentait tendue. Il était encore moins probable que son père puisse venir avec sa santé qui se détériorait.
— On peut demander, lui dit Emily, et la conversation retomba dans le silence.
Ils arrivèrent à l’auberge et Daniel se gara. Stu, Clyde et Evan étaient à la maison, aussi sortirent-ils pour aider à porter l’arbre à l’intérieur. Puis, ensemble, les quatre hommes le traînèrent jusqu’à sa place dans le vestibule.
— C’est un sacré arbre, dit Clyde en sifflant. Il essuya la transpiration de son front et baissa les yeux vers Chantelle. Comment vas-tu mettre l’ange au sommet ? Même sur mes épaules, je ne pense pas que tu y arriveras.
Pour souligner son point de vue, il se saisit d’une Chantelle riante et la mit sur ses épaules. Il commença à la faire parader. Emily remarqua que Patricia grimaçait. Sûrement à cause du plancher de bois dur en dessous, un instinct maternel que même Patricia possédait !
— Je vais chercher l’échelle, dit Stu en se dirigeant vers le garage.
Evan et Clyde aidèrent aussi en prenant toutes les boîtes de décorations du garage. Puis les trois hommes partirent en ville pour regarder un match et prendre un verre après leur longue journée de travail sur l’île, ne laissant que la famille pour décorer.
— Nous devons mettre de la musique de Noël, dit Emily, se dirigeant vers la réception où le système de sonorisation avait été installé. Elle trouva un vieux CD des Crooners de Noël et le mit. La voix de Frank Sinatra emplit la pièce.
— Et… ajouta Daniel, il nous faut des chocolats chauds !
Chantelle hocha la tête avec enthousiasme et ils se précipitèrent tous dans la cuisine. Daniel fit bouillir du lait sur la gazinière, tandis que Chantelle fouillait le garde-manger à la recherche de restes de guimauves. Elle revint avec non seulement des guimauves, mais aussi des vermicelles arc-en-ciel et de la crème fouettée.
— Excellent, dit Daniel, en leur versant chacun une tasse de chocolat chaud, puis en les nappant de crème, de guimauves et de vermicelles.
Emily n’avait jamais vu Patricia consommer une chose pareille de sa vie ! Les s’mores avaient été assez impressionnants à voir, mais ceci était tout autre chose. C’était comme si Patricia avait été métamorphosée par l’esprit de Noël, enfin, après soixante ans de résistance !
Ils retournèrent dans le vestibule, où le sapin de Noël géant attendait d’être décoré, et se mirent au travail. Bien sûr, Chantelle prit les commandes.
— On a besoin de lumières ici, papa, dit-elle à Daniel, en montrant du doigt un endroit dénudé. Et Mamie Patty, ces rennes doivent être sur cette branche.
Emily se pencha vers sa mère et dit :
— Chantelle a une vision très précise.
Patricia rit.
— Oui, je peux voir ça. Elle a le sens du détail. Un jour, elle fera une merveilleuse décoratrice d’intérieur.
Emily pouvait définitivement l’imaginer. Soit ça, soit une sorte d’organisatrice d’événements. Elle se toucha le ventre, se demandant quel genre de personnalité la petite Charlotte aurait, si elle serait semblable à sa sœur – une leader, une organisatrice, une socialisatrice, une artiste – ou si elle serait différente. Peut-être tiendrait-elle d’Emily elle-même, et serait moins encline à être sous les feux de la rampe, plus satisfaite de lire un livre et d’emmener les chiens promener tranquillement à la campagne. Ou peut-être serait-elle comme son père, pragmatique et travailleuse, sujette à ces moments où l’on broie du noir . Ou, comme Emily avait tendance à le penser, elle pourrait tenir de la tante qui lui avait donné son nom : douce, imaginative, curieuse, calme. Elle avait hâte de le découvrir.
— Mamie Patty, dit alors Chantelle, interrompant la rêverie d’Emily. Comment était maman quand elle avait mon âge ?
Patricia était occupée à étirer un gros morceau de guirlande scintillante à travers les branches, la passant dessus dessous pour éviter qu’elle ne tombe.
— À huit ans ? Laisse-moi réfléchir. Ses cheveux étaient alors très bouclés, beaucoup plus bouclés qu’aujourd’hui. Elle portait ces magnifiques robes à carreaux. Tu te souviens, ma chérie ?
Emily fit remonter son esprit dans le temps. La robe à carreaux et les collants qui démangeaient avec lesquels sa mère l’habillait toujours, avaient été à l’origine de nombreuses bagarres. Emily avait détesté le fait de ne pas avoir le droit de courir ou de grimper aux arbres parce que Patricia ne voulait pas qu’elle abîme ses vêtements.
— Je me souviens, répondit-elle.
Patricia continua.
— Son père lui enseignait aussi le piano à l’époque. Elle était très douée, mais elle s’en est désintéressée.
Emily aurait aimé ne pas l’avoir fait. Avoir continué à s’asseoir à côté de son père sur ce tabouret de piano usé, à apprendre des chansons de comédies musicales et de vieux classiques. C’étaient de précieux moments et elle n’en avait pas profité au maximum. Elle ne savait pas alors qu’elle en aurait besoin.
— Papa Roy ? demanda Chantelle.
— Oui, dit Patricia. Elle sourit. Il était très doué au piano. Et il adorait ça. C’est pourquoi il devait en avoir un dans cette maison, même si nous n’étions ici que quelques semaines par an. Mais il allumait le feu et jouait du piano, et Emily s’enveloppait dans une couverture et s’endormait. Elle poussa un soupir mélancolique. Il y a toujours eu des moments merveilleux au milieu, n’est-ce pas, ma chérie ?
Emily savait ce qu’elle voulait dire. Au milieu de la douleur d’avoir perdu Charlotte. Qu’après sa mort, quand le silence avait grandi entre ses parents comme un mur de verre invisible, il y avait eu des moments de normalité, de joie même, quand le calme était empli de beauté et que leurs esprits étaient soulagés du chagrin.
— J’aime Papa Roy, dit Chantelle à Patricia. Est-ce qu’il était un très bon mari ?
Patricia regarda Chantelle. Et à la stupéfaction et à la surprise d’Emily, elle tendit la main et caressa la tête de la fille.
— Il l’était. Pas toujours. Mais personne n’est parfait.
— Tu l’aimais ?
— De tout mon cœur.
— Et maintenant ? demanda Chantelle.
— Chut, interrompit Emily. C’est une question personnelle.
— Ça ne me dérange pas, dit Patricia. Elle regarda alors Chantelle directement et parla sans se démonter. Nous avons passé de nombreuses années en tant que mari et femme, beaucoup de bonnes années. Mais nous n’étions pas heureux et le plus important dans la vie, c’est d’être heureux. Cela a été très difficile de lui dire au revoir, mais au final, c’était pour le mieux. Et oui, je l’aime toujours maintenant. Une fois qu’on aime quelqu’un, on ne peut jamais vraiment s’arrêter.
Emily se détourna alors, essuyant la larme qui s’était formée dans le coin de son œil. Durant toute sa vie, Patricia n’avait jamais fait que dire du mal de son père. Jamais elle ne l’avait entendue admettre qu’elle aimait encore Roy.
Le silence tomba alors, et la famille posa tranquillement les dernières décorations sur l’arbre. L’air mélancolique qui planait autour d’eux ne se dissipa que lorsque Daniel sortit la statue de l’ange de la boîte.
— C’est l’heure, dit-il en le remettant à Chantelle.
Avec un sourire excité sur le visage, Chantelle grimpa à l’échelle, étira son bras autant qu’elle le pouvait, et plaça l’ange sur la branche au sommet de l’arbre.
— Ta da ! s’écria-t-elle.
Daniel l’aida à redescendre de l’échelle et tout le monde fit un pas en arrière pour admirer leur œuvre. Emily se sentit bouleversée par l’émotion lorsqu’elle réalisa qu’il s’agissait du premier arbre qu’elle avait décoré avec sa mère depuis près de vingt ans. Patricia s’était éloignée du rituel peu après la mort de Charlotte. Mais maintenant, avec une nouvelle famille autour d’elle et un nouvel enfant qui grandissait dans le ventre d’Emily, elle était revenue. Le timing était émouvant pour Emily, comme si l’esprit de Charlotte avait joué un rôle pour que cela se produise.
— Je pense que c’est le plus bel arbre que j’aie jamais vu, dit-elle, regardant avec gratitude chacun des membres de sa famille.
*
L’arbre étant terminé et les chocolats chauds bus, il fut temps pour Patricia de dire au revoir.
— J’aimerais que tu n’aies pas à partir, dit Chantelle, les bras serrés autour de la taille de Patricia.
Emily regarda sa mère embrasser l’enfant dans ses bras, l’air beaucoup moins maladroite qu’elle ne l’était habituellement avec les marques manifestes d’affection.
— Nous pouvons parler au téléphone, si tu veux, dit Patricia à l’enfant.
— Tu nous appelleras sur Face Time ? s’exclama Chantelle, le visage fendu par un énorme sourire.
— Est-ce que je vais faire quoi maintenant ? demanda Patricia, l’air perplexe.
— Messagerie vidéo, maman, expliqua Emily. Chantelle adore ça.
— On passe des appels vidéo avec Papa Roy tout le temps, lui dit Chantelle. On peut ? On peut le faire ? On peut ?
Patricia acquiesça.
— Bien sûr. Si c’est ce que tu veux.
Elle avait l’air sincèrement touchée, pensa Emily, que Chantelle veuille rester en contact avec elle.
— Et, ajouta Emily, s’il te plaît, réfléchis à venir pour Noël. Nous serions ravis de t’avoir ici.
— Je ne veux pas gêner, dit Patricia.
Daniel intervint alors.
— Vous ne gêneriez pas, dit-il. Nous n’avons pas de réservation pour le moment. Si vous voulez un peu votre propre espace, nous pourrions même vous mettre dans la remise.