Pour L’éternité, et un Jour

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Elle acquiesça. « Je m’en doutais aussi. Sauf les bouteilles d'alcool. »
Sans Chantelle pour amortir la situation, une tension s’éleva entre eux. Emily fit un geste vers le canapé.
« Tu veux t’asseoir ? »
Roy hocha de la tête et s'installa. Son visage avait pâli, comme s'il avait senti que le moment de rendre des comptes approchait d’eux.
Mais avant qu'Emily n’en ait eu la chance, Daniel apparu avec un plateau contenant la cafetière, la crème, le sucre et les tasses. Il le posa sur la table basse. Le silence enfla tandis qu'il remplissait les tasses.
Roy s'éclaircit la gorge. « Emily Jane, si tu as des questions à me poser, tu le pouvez. »
La capacité d'Emily à rester polie et cordiale cessa. « Pourquoi est-ce que tu m'as laissée ? », dit-elle.
Daniel leva brusquement la tête avec surprise. Ses yeux étaient aussi larges que des soucoupes. Il n'avait probablement pas réalisé que la joie d'Emily vis-à-vis du retour de Roy avait également entraîné sa colère, qu'elle avait porté son émotion avec elle pendant toute la visite de la maison. Il se leva alors.
« Je devrais vous laisser du temps à tous les deux », dit-il poliment.
Emily tourna les yeux vers lui. Il avait l'air si maladroit, là debout, comme s'il empiétait soudain sur une affaire privée, et Emily se sentit un peu coupable d'avoir fait tourner si rapidement la conversation au vinaigre en sa présence, sans lui donner l'occasion de s'excuser d'une manière plus polie.
« Merci », dit-elle tandis qu’il sortait en hâte de la pièce.
Elle reporta son regard vers son père. Roy semblait blessé par sa douleur évidente, mais il respirait calmement et la dévisageait avec des yeux doux.
« J'étais brisé, Emily Jane », commença-t-il. « Après avoir perdu Charlotte, j'étais un homme brisé. Je buvais. J'avais des liaisons. Je me suis aliéné mes amis à New York jusqu'à ce que je ne puisse plus supporter d’être là. Ta mère et moi nous sommes séparés, bien que ça n’ait pas été une surprise. Je suis venu ici pour remettre ma vie en ordre. »
« Seulement tu ne l’as pas fait », répondit Emily avec véhémence. « Tu as fui. Tu m'as laissée. »
Elle pouvait sentir des larmes lui picoter les yeux. Ceux de son père devenaient eux aussi rouges et embués. Il regarda ses genoux, une expression de honte sur le visage.
« J'ignorais les choses », dit-il tristement. « Je pensais pouvoir prétendre que tout allait bien. Même si cela faisait des années depuis la mort de Charlotte, je ne m’étais pas vraiment permis de ressentir quoi que ce soit. Je ne suis jamais allé dans la pièce que vous partagiez, je t’ai fait changer pour une autre, si tu t’en souviens. »
Emily acquiesça. Elle se souvenait parfaitement que son père avait bloqué l'accès à certaines parties de la maison, définissant certaines zones comme hors limites pour elle pendant ses visites estivales – le belvédère, le troisième étage, les garages, son bureau, le sous-sol – jusqu'à ce qu'elle eût tout oublié, qu’ils avaient jamais existé ou ce qu'ils contenaient. Elle se souvenait de son comportement de plus en plus incohérent, de son obsession de collectionner des antiquités qui lui semblait être moins un passe-temps et plus une obsession, son accumulation compulsive. Mais de surcroît elle se souvenait de la réduction des contacts, du fait qu’elle passait de moins en moins de temps avec lui dans le Maine jusqu'à ses quinze ans et, un été, il n’était simplement pas venu la chercher. C'était la dernière fois qu'elle l'avait vu.
Emily voulait être compréhensive vis-à-vis des actes de son père. Mais bien qu'une part en comprenne qu'il ait été un homme brisé qui avait un jour craqué, le tourment que ses actions lui avaient causé ne pouvait trouver d’explications convaincantes.
« Pourquoi est-ce que tu n'as pas dit au revoir ? », dit Emily, dont les larmes tombaient à torrents sur ses joues. « Comment as-tu pu juste partir comme ça ? »
Roy, lui aussi, semblait être submergé par l’émotion. Emily remarqua que ses mains tremblaient. Ses lèvres tremblaient pendant qu’il parlait. « Je suis vraiment désolé. J'ai été hanté par cette décision. »
« Tu as été hanté ? », s’écria Emily. « Je ne savais pas si tu étais mort ou vivant ! Tu m’as laissé là à me poser la question, à ne pas savoir. As-tu idée de ce que ça fait à une personne ? Toute ma vie était en suspens à cause de toi ! Parce que tu étais trop lâche pour dire au revoir ! »
Roy prit ses mots comme des coups répétés au visage. Il avait l'air aussi affligé que s'ils avaient véritablement été des coups physiques qu'elle lui aurait assenés.
« C'était inexcusable », dit-il, à peine plus qu'un murmure. « Alors je ne vais pas essayer de l'excuser. »
Emily sentit son cœur tambouriner sauvagement dans sa poitrine. Elle était si furieuse qu'elle ne pouvait même plus y voir clair. Toutes ces années d'émotions se déversaient hors d'elle avec la force d'un tsunami.
« Est-ce que tu as pensé combien cela me blesserait ? », cria-t-elle, sa voix augmentant d’un ton et en volume.
Roy semblait saisi par l’angoisse, son corps tout entier tendu, le visage tordu par le regret. Emily était heureuse de le voir ainsi. Elle voulait qu'il souffre tout autant qu'elle l'avait fait.
« Pas au début », confessa-t-il. « Parce que je n’avais pas tous mes esprits. Je ne pouvais penser à rien ou personne d'autre que moi-même, ma propre douleur. Je pensais que tu serais mieux sans moi. »
Il fondit alors en larmes, les sanglots déchirant son corps jusqu'à ce qu'il tremble sous le coup de l'émotion. Le regarder comme ça fut comme un coup reçu au cœur. Emily ne voulait pas voir son père céder et s’effondrer devant ses yeux, mais il devait savoir. Il n'y aurait pas de passage à autre chose, pas de réparation sans que tout cela soit exposé au grand jour.
« Alors, tu pensais que partir serait m’accorder une faveur ? », dit sèchement Emily, croisant les bras contre sa poitrine dans un geste protecteur. « Tu sais à quel point c’est tordu ? »
Roy pleurait amèrement entre ses mains. « Oui. J’étais déboussolé à l'époque. Je le suis resté très longtemps. Quand j'ai réalisé les dégâts que j'avais causés, trop de temps s'était écoulé. Je ne savais pas comment revenir là où les choses s’étaient arrêtées, comment défaire la blessure. »
« Tu n'as même pas essayé », l’accusa Emily.
« J'ai essayé », dit Roy, l’imploration dans son ton irritant encore plus Emily. « Tellement de fois. Je suis retourné à la maison à plusieurs reprises, mais chaque fois la culpabilité de ce que j'avais fait me submergeait. Il y avait trop de souvenirs. Trop de fantômes. »
« Ne dis pas ça », dit sèchement Emily, et immédiatement des images de Charlotte hantant la maison lui vinrent à l’esprit. « Ne t’avises pas. »
« Je suis désolé », répéta Roy, le souffle coupé par l’angoisse.
Il baissa les yeux sur ses genoux où ses vieilles mains tremblaient.
Sur la table devant eux, les tasses de café refroidissaient.
Emily prit une longue et profonde respiration. Elle savait que son père avait été déprimé – elle avait trouvé l’ordonnance parmi ses possessions – et qu'il n'était pas lui-même, que le chagrin le poussait à se comporter de manière impardonnable. Elle ne devrait pas le blâmer pour cela, et pourtant elle ne pouvait pas s’en empêcher. Il l’avait énormément déçue. L’avait laissée avec son chagrin. Avec sa mère. Il y avait tellement de colère bouillonnant dans le cœur d'Emily, même si elle savait que la culpabilité n’y avait pas sa place.
« Qu'est-ce que je peux faire pour me faire pardonner, Emily Jane ? », dit Roy, ses mains jointes en prière. « Comment puis-je même commencer à guérir les dommages que j'ai causés ? »
« Pourquoi ne commences-tu pas en remplissant les blancs », répondit Emily. « Dis-moi ce qui s'est passé. Où tu es allé. Ce que tu as fait pendant toutes ces années. »
Roy cligna des yeux, comme surpris par la suite de questions d'Emily.
« C'était le questionnement qui m'a tué », expliqua tristement Emily. « Si j’avais seulement su que tu étais en sécurité quelque part, j'aurais pu faire avec. Tu ne sais pas combien de scénarios j'ai échafaudés dans mon esprit, combien de vies différentes j'ai imaginé que tu vivais. J'ai passé des années à ne pas pouvoir dormir à cause de ça. C'était comme si mon esprit n'arrêtait pas d’inventer les options jusqu'à ce qu'il trouve la bonne, même s'il n'y avait aucun moyen d’y parvenir. C'était une tâche impossible et futile, mais je ne pouvais pas m'arrêter. Donc voilà comment tu peux aider. Commence par me donner la vérité, en me disant ce que j’ignorais pendant toutes ces années. Où étais-tu ? »
Les larmes de Roy se tarirent finalement. Il renifla, tamponna ses yeux avec sa manche. Puis il s’éclaircit la gorge.
« J'ai partagé mon temps entre la Grèce et l'Angleterre. J’ai trouvé une maison pour moi à Falmouth, en Cornouailles, sur la côte de l’Angleterre. C'est un bel endroit. Des falaises et des paysages merveilleux. Il y a une scène artistique fantastique là-bas. »
Comme c’est approprié, pensa-t-elle en se remémorant son obsession pour les œuvres de Toni, la façon dont il avait accroché une de ses peintures du phare dans la maison de New York qu’il avait partagé avec Patricia, et combien elle avait été en colère quand elle s’était rendu compte d’à quel point il avait été éhonté et irrespectueux.
« Comment as-tu pu te le permettre ? », le défia Emily. « La police a déclaré qu'il n'y avait eu aucune activité sur tes comptes bancaires. C'était l'une des raisons pour lesquelles je pensais que tu étais mort.
Roy grimaça à ce mot. Emily pouvait voir à quel point il se sentait mal d’être mis face à la douleur qu'il lui avait infligée. Mais il devait entendre cela. Et elle avait besoin de le dire. C'était la seule façon pour eux d'avancer.
« Je n'ai vendu aucune de mes antiquités, si c'est ce que tu veux dire », commença-t-il. « J'ai laissé tout ça pour toi. »
« Est-ce que je suis censée te remercier ? », demanda amèrement Emily. « Ce n'est pas comme si un diamant pouvait compenser des années de négligence. »
Roy acquiesça tristement, encaissant ses mots pleins de colère. Emily commençait à accepter qu'il reconnaissait, qu'il n'essayait plus d'expliquer ses actes, mais d'écouter plutôt le mal qu'ils lui avaient causé à elle.
« Tu as raison », dit-il doucement. « Je ne voulais pas dire que ça aurait pu. »
Emily serra la mâchoire. « Bien, continue alors », dit-elle. « Dis-moi ce qui s'est passé après ton départ. Comment tu as gagné ta vie. »
« Au début, je vivais au jour le jour », expliqua Roy. « Je gagnais de l'argent en faisant ce que je pouvais. Des petits boulots. Des réparations de voiture et de vélo. Du bricolage. Je suis retombé sur mes pieds en fabriquant et réparant des horloges. Je fais encore ça maintenant. Je suis horloger. Je crée des horloges décorées avec des clefs cachées et des compartiments secrets. »
« Bien sûr que tu fais ça », dit Emily avec amertume.
L’expression de honte réapparut sur le visage de Roy.
« Et pour les amours ? », demanda Emily. « Tu t’es réinstallé un jour ? »
« Je vis seul », répondit tristement Roy. « C’est le cas depuis que je suis parti. Je ne voulais pas causer plus de peine à quelqu’un d’autre. Je ne pouvais pas supporter d'être avec des gens. »
Pour la première fois, Emily commença à ressentir de la sympathie pour son père, l'imaginant seul, vivant comme un ermite. Elle commençait à avoir le sentiment d’avoir déversé autant de douleur qu’elle en avait besoin, qu'elle l’avait assez blâmé pour pouvoir enfin entendre son histoire. Une onde cathartique la parcourut.
« C'est pourquoi je n'utilise pas vraiment de technologie moderne », poursuivit Roy. « Il y a une cabine téléphonique en ville que j'utilise pour passer mes appels, qui sont rares. Le bureau de poste local me fait savoir si quelqu'un a répondu à mon annonce pour les pendules. Quand je me sens assez fort, je vais à la bibliothèque locale et je regarde mes mails pour voir si tu as pris contact. »
Emily marqua une pause, fronça les sourcils. C’était surprenant pour elle. « Tu faisais ça ? »
Roy acquiesça. « Je t’ai laissé des indices, Emily Jane. Chaque fois que je suis revenu à la maison, j'ai laissé une autre miette pour que tu la trouves. L'adresse mail a été la plus grande étape que j'ai franchie parce que je savais dès que tu l’aurais trouvée, cela te fournirait une ligne directe. Mais l'attente, l’anticipation, c'était insupportable. Donc je me suis limité à quelques passages par an. Quand j'ai eu ton mail, j'ai pris un vol directement jusqu’ici. »
Emily prit alors conscience que c'était la raison de ces mois d'angoisse supplémentaires qu'il lui avait fait traverser, après qu’elle ait appris qu'il était encore en vie et l’ait ensuite contacté. Il ne l’avait pas ignorée ou évitée, il n'avait tout simplement pas vu son mail.
« C’est vrai ? », demanda-t-elle, la gorge serrée tandis que ses yeux s’emplissaient de larmes. « Tu es vraiment venu ici dès que tu as vu que j’avais pris contact ? »
« Oui », répondit Roy, la voix à peine plus qu’un murmure. Ses propres larmes avaient recommencé à couler. « J'espérais et souhaitais et rêvais que tu prennes contact. Je pensais qu'un jour tu reviendrais dans cet endroit, quand tu serais prête. Mais je savais aussi que tu serais en colère contre moi. Je voulais que la balle soit dans ton camp. Je voulais que tu sois celle qui prendrait contact avec moi parce que je ne voulais pas m’immiscer dans ta vie. Si étais passée à autre chose sans moi, je pensais qu'il serait préférable que la situation reste ainsi. »
« Oh, papa », s’exclama Emily.
Quelque chose, finalement, fut libéré d'Emily. Quelque chose dans ce dernier, ultime aveu déchirant de son père était ce qu'elle avait eu besoin de savoir tout le long. Qu'il attendait qu’elle fasse le premier pas. Il ne l'avait pas évitée, n’était pas resté caché, il lui avait laissé des indices, ayant foi qu’une fois qu'elle aurait rassemblé toutes les pièces, elle prendrait sa propre décision de savoir si elle pouvait ou non lui pardonner et lui permettre de revenir dans sa vie.
Elle se leva et se précipita vers le canapé opposé, jetant ses bras autour de son cou. Elle sanglotait contre son épaule, des sanglots profonds qui secouaient son corps. Roy s'accrocha à elle, tremblant aussi de l'effusion de chagrin.
« Je suis tellement désolé », dit-il en s’étranglant, la voix assourdie par ses cheveux. « Je suis tellement, tellement désolé. »
Ils demeurèrent ainsi pendant un long moment, se tenant l’un à l’autre, versant chaque larme qui leur était nécessaire, faisant sortir jusqu’à la dernière goutte de douleur. Enfin, les pleurs cessèrent. Tout devint silencieux.
« As-tu d'autres questions ? », dit finalement Roy avec calme. « Je ne vais plus te cacher de secrets. Je ne cacherai rien. »
Emily se sentait épuisée, exténuée par l’émotion. La poitrine de son père se soulevait et retombait à chaque profonde respiration qu'il prenait. Elle était si fatiguée qu'elle avait l’impression de pouvoir s'endormir sur place dans ses bras. Mais en même temps, elle avait encore un million de questions qui brûlaient dans son esprit, mais une plus que les autres.
« La nuit où Charlotte est morte… », commença-t-elle. « Maman m'a donné quelques informations, mais seulement une version de l'histoire. Qu'est-il arrivé ? »
Les bras de Roy se raidirent autour d'elle. Emily savait qu'il était difficile pour lui de se souvenir de cette nuit-là, mais elle voulait désespérément connaître la vérité, ou au moins sa version. Peut-être pourrait-elle réunir les trois parties – celle de Patricia, de Roy, la sienne – et créer quelque chose qui ait un sens.
« Je vous avais prises pour Thanksgiving et Noël », commença Roy. « Les choses n’allaient pas bien avec votre mère, alors elle était restée à la maison. Mais ensuite, vous avez toutes les deux attrapé la grippe. »
« Je pense que je m’en souviens », dit Emily. Elle eut quelques souvenirs d'enfance de fièvres. « Le chien de Toni, Perséphone, était là. Je me suis effondré dans le couloir. »
Roy hocha de la tête, mais il avait l'air embarrassé. Emily savait pourquoi ; cela avait été un tournant dans sa liaison avec Toni, le moment où il avait été assez hardi pour laisser se croiser sa maîtresse et la vie de ses enfants.
« Tu te souviens de ta mère qui est arrivée à l’improviste ? », dit Roy.
Emily secoua la tête.
« Elle avait voulu être là pour s'occuper de vous deux puisque vous étiez si malade. »
« Cela ne ressemble pas à maman », dit Emily.
Roy rit. « Non, en effet. Peut-être était-ce une excuse. Elle soupçonnait une liaison et c'était sa façon d’agir que surgir à l’improviste et me surprendre en pleine action. »
Emily laissa échapper un acquiescement silencieux. C'était plus le style de sa mère.
« Tu as dû refouler la dispute parce que je suis sûr que nous crions assez fort pour qu’on entende jusqu’au port. » Il haussa les épaules. « Je ne sais pas si c'est ce qui a réveillé Charlotte. Elle était sous médicaments, qui l’avaient rendue vaseuse. Vous l’étiez toutes les deux. Mais elle s'est réveillée et je suppose qu'elle s'est perdue en nous cherchant, ou dans l’ensemble se sentait juste mal et sous médicaments. Elle a terminé dans la dépendance avec la piscine. Je suppose que tu connais le reste. »
Emily le savait. Mais ce qu'elle ne réalisait pas, c’était combien le rôle qu’elle avait à jouer dans tout cela était infime. Ce n'était pas sa faute si elle ne s’était pas réveillée quand Charlotte l'avait fait et n’avait pas empêché sa sœur de partir errer. Ce n’était pas non plus sa faute pour avoir parlé avec enthousiasme de la nouvelle piscine et d’avoir susciter l'excitation dans l'esprit de sa sœur pour aller la voir. Elle avait été malade, confuse, peut-être même terrifiée par la dispute de ses parents. Rien de tout cela n'avait été sa faute. Rien du tout.
Emily ressentit une soudaine libération. Un poids, dont elle n'avait même pas réalisé qu'elle le portait sur ses épaules, s’envola. Elle s'était accrochée à sa culpabilité pour la mort de Charlotte, même après que sa mère lui ait eu précisé que ce n'était pas sa faute. Maintenant, elle avait l'impression que son père lui avait donnée la permission de laisser partir cette culpabilité.
Elle se blottit contre lui, éprouvant un nouveau sentiment de paix qui s'installait en elle.
À cet instant-là, le silence fut brisé par le bruit de quelqu’un toquant doucement à la porte. Daniel passa la tête et jeta un coup d’œil.
« Daniel, entrez », dit Emily en lui faisant signe. Elle voulait qu’il soit là maintenant qu'elle et son père avaient mis cartes sur table. Elle avait besoin de son soutien.
Il approcha et se percha sur le bord du canapé en face d’eux. Emily essuya les larmes de ses cils, mais resta collée à son père, roulée en boule comme un enfant à côté de lui sur le canapé.
« Est-ce que quelqu'un a besoin de quelque chose ? », demanda doucement Daniel. « Un mouchoir ? Un petit remontant ? »
C'était juste ce qui était nécessaire à cet instant pour couper court à la tristesse. Emily hoqueta de rire. Elle sentit celui de Roy gronder dans son ventre.
« Je prendrais bien un verre », dit-elle.
« Moi aussi », répondit Roy. « Est-ce que le bar est approvisionné ? »
Daniel prit l'initiative. « Il l’est. Allons-y. C'est tellement génial là-dedans. Je vais nous préparer des boissons. »
Emily hésita. « Papa, c'est une bonne idée ? », dit-elle.
« Pourquoi ça ne le serait-il pas ? », répondit Roy, l'air confus.
Emily baissa la voix. « À cause de ton problème d'alcool. »
Roy parut stupéfait. « Quel problème d'alcool ? » Puis son visage pâlit. « Est-ce que Patricia t’as dit que j'étais alcoolique ? »
« Tu étais un alcoolique », répondit Emily. « Je me souviens de toi en train de boire. Tout le temps. »
« Je buvais beaucoup », admit Roy. « Tous les deux, ta mère et moi. C'est l'une des raisons pour lesquelles notre relation était si instable. Mais je n'étais pas un alcoolique. »
« Et les laits de poule au petit-déjeuner pour Noël ? », demanda-t-elle en se rappelant à quel point son père avait été irrité quand elle avait renversé son verre.
« C'était juste Noël ! », s’exclama Roy.
Une autre partie du passé d'Emily prit un nouveau sens. Elle avait cru en la version des évènements amère et biaisée de Patricia, lui avait permis de remplacer ses propres souvenirs de son père. Elle éprouva une vague de fureur envers sa mère pour avoir fait de Roy le méchant dans leur expérience la plus traumatisante.
Ils allèrent dans le bar clandestin et prirent place au comptoir. Daniel se mit à l’œuvre pour les cocktails.
« Nous avons un barman le soir pour s’en charger », expliqua-t-il à Roy. « Alec. Il est fantastique. Meilleur que moi en, tout cas. »
Il leur versa à chacun une Margarita. Roy prit une gorgée.
« C’est excellent », dit-il. Alors, avec un air faussement timide, il ajouta: « Je dois dire, quel beau gentleman tu t’es avéré être. »
Emily sentit son cœur bondir. Elle sourit, enfin ravie, en ayant l’impression que tout était comme il devait l’être.
« Je dois vous remercier pour ça », répondit Daniel, timidement, sans vraiment regarder Roy dans les yeux. « Pour m'avoir fait découvrir des choses qui m’importent. La pêche. La navigation. »
« Tu navigues encore ? », demanda Roy.
« J'ai un bateau au port. Rénové grâce à Emily. Nous sortons en famille. Chantelle adore ça aussi. Elle est excellente à la pêche. »
« Je navigue encore beaucoup », dit Roy. « Quand je ne travaille pas sur une horloge, je passe mon temps sur un bateau. Ou dans le jardin. »
« Vous vous souvenez de ce jour où vous m'avez appris comment cultiver des légumes ? », demanda Daniel.
« Bien sûr », répondit Roy. Il sourit en se le remémorant. « Je n'avais jamais vu un tel petit voyou dépenaillé travailler aussi dur avec un déplantoir. »
Daniel rit. « J'étais avide d'apprendre », dit-il. « De saisir l’opportunité. Même si, vu de l'extérieur, on aurait dit que je détestais le monde. »
Emily trouva étrange de les voir plaisanter et rire. Il y avait tellement moins de peine entre eux. C'était plus comme de la camaraderie. Daniel était pour toujours reconnaissant envers l'homme qui lui avait donné une chance quand il en avait eu besoin, même si cet homme avait disparu pour lui aussi. Peut-être était-ce juste une surprise pour Emily de réaliser à quel point ils avaient été proches autrefois, en sachant aussi que l'été que tous deux avaient passé ensemble avait été un été qu’elle et son père avaient passé séparés.
Son téléphone vibra et elle vit un message d’Amy concernant leur arrivée prévue dans l'après-midi. Elle et Jayne devaient s’occuper d’affaires urgentes et faire un arrêt, donc elles arriveraient plus tard que prévu. Emily se rendit compte, coupablement, qu’elle avait complètement oublié qu’elles étaient en route. Elle avait été tellement accaparée par son père que tout le reste lui était sorti de l’esprit.
Elle renvoya rapidement un message et reporta ensuite son attention sur son père et Daniel. Ils riaient encore jovialement.
« Je suis tellement content que le bateau ait réussi à tenir », s’exclama Daniel. « Qui aurait pensé que le temps tournerait ainsi ? Une tempête au milieu de l'été. »
« C'était un timing malencontreux », répondit Roy. « Étant donné que c'était ta première sortie en bateau. »
« Eh bien, j’avais le meilleur professeur, donc je n'étais pas si effrayé que ça. » Il sourit, le regard dans le vide, perdu dans le souvenir. « Merci de m'avoir fait découvrir les bateaux, l'eau, et la navigation. Je ne peux pas imaginer ma vie sans eux maintenant. »
Emily observa pendant que Roy souriait, ainsi que Daniel. Maintenant qu'elle avait libéré sa colère, elle éprouvait un sentiment de paix, de justesse. Cela aurait toujours dû être ainsi. Son père passant du temps avec son fiancé, tous deux jouissant de la compagnie de l'autre, impatients de bientôt appartenir à la même famille.