Cible Principale: L’Entraînement de Luke Stone, tome 1

- -
- 100%
- +
— Je veux que tu partes ! Sors ! Dehors !
Luke se leva. Il leva les mains.
— OK, Robby. OK.
— DEHORS !
Luke se dirigea vers la porte.
— J’espère que tu mourras, Stone. J’espère que ton bébé mourra.
Alors, Luke se retrouva dans le hall. Deux infirmières venaient vers lui. Elles ne couraient pas, mais elles marchaient vite.
— Est-ce qu’il va bien ? dit la première.
— Tu m’as entendu, Stone ? J’espère que ton …
Cependant, Luke s’était déjà couvert les oreilles et courait dans le hall. Il traversa le bâtiment en courant aussi vite que possible et en haletant. Il vit le panneau SORTIE, tourna vers lui et sortit brusquement par les portes doubles. Alors, il courut sur un sentier en béton dans les jardins. Çà et là, des gens se retournaient pour le regarder, mais Luke continuait à courir. Il courut jusqu’à ce que ses poumons commencent à le brûler.
Un homme arrivait dans l’autre sens. Il était plus âgé, mais large et fort. Il marchait droit, comme un militaire, mais il portait un jean et un blouson de cuir. Ce ne fut que lorsque Luke l’eut presque rejoint qu’il se rendit compte qu’il le connaissait.
— Luke, dit l’homme. Où cours-tu, mon garçon ?
Luke s’arrêta. Il se pencha et posa les mains sur les genoux. Sa respiration était rauque et difficile. Il se força à aspirer de grandes goulées d’air.
— Don, dit-il. Oh, mon Dieu, Don, c’est pas la forme.
Il se releva. Il tendit la main pour serrer celle de Don Morris, mais Don le prit dans ses bras et le serra fort. Luke fut tellement ému qu’il ne trouva pas de mots pour décrire ce qu’il ressentait. Don était comme un père pour lui. Son émotion grandit. Il se sentit en sécurité. Il se sentit soulagé. Il eut l’impression d’avoir passé très longtemps à garder beaucoup de choses en lui-même, des choses que Don savait intuitivement sans qu’il soit nécessaire de les lui dire. Être serré par Don Morris, c’était comme retourner chez soi.
Au bout d’un long moment, ils s’écartèrent l’un de l’autre.
— Que faites-vous ici ? dit Luke.
Il avait cru que Don était venu de Washington pour voir les huiles de Fort Bragg, mais Don lui fit comprendre son erreur en seulement quelques mots.
— Je suis venu te chercher, dit-il.
* * *
— C’est une bonne affaire, dit Don. Tu n’obtiendras pas mieux.
Ils roulaient dans les rues pavées bordées d’arbres du centre-ville de Fayetteville dans une berline de location quelconque. Don était au volant, Luke à la place du passager. Les gens étaient assis à des cafés en plein air et à des restaurants le long des trottoirs. C’était une ville militaire et beaucoup des gens qui se promenaient dehors se tenaient droit et étaient en bonne forme.
Cependant, en plus d’être en bonne santé, ils avaient aussi l’air heureux. À ce moment-là, Luke ne pouvait pas imaginer ce qu’ils ressentaient.
— Réexpliquez-moi, dit-il.
— Tu quittes l’armée avec le grade de Sergent Chef. Tu bénéficies d’une libération honorable, effective à la fin de cette année civile, mais tu peux partir en congé indéfini dès cet après-midi. La nouvelle rémunération s’applique immédiatement et continue jusqu’à la libération. Tes états de service sont intacts et ta pension d’ancien combattant et tous les autres avantages sont effectifs.
Cela semblait être une bonne affaire, mais, jusqu’à présent, Luke n’avait pas envisagé de quitter l’Armée. Pendant tout le temps où il avait été à l’hôpital, il avait espéré rejoindre son unité. Entre temps, dans les coulisses, Don avait négocié son départ.
— Et si je veux rester ? dit-il.
Don haussa les épaules.
— Tu es à l’hôpital depuis presque un mois. Les rapports que j’ai vus indiquent que ta thérapie a très peu progressé sinon pas du tout et qu’ils considèrent que tu es un patient peu coopératif.
Il poussa un soupir.
— Ils ne te reprendront pas, Luke. Ils pensent que tu es abîmé par la vie. Si tu refuses l’enveloppe que je viens de te décrire, ils prévoient de te renvoyer avec un licenciement psychiatrique involontaire à ton rang et à ton solde actuels, avec un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique. Je suis sûr que je n’ai pas à t’expliquer l’avenir que peuvent envisager les hommes qui quittent l’armée dans de telles circonstances.
Luke supposait que rien de ce que Don lui avait dit n’était une très grande surprise, mais c’était quand même triste à entendre. Il connaissait la situation. Dans l’Armée, la Force Delta n’avait même pas d’existence officielle. La mission était classée secret et n’avait jamais eu lieu. Donc, il ne pouvait pas espérer qu’on lui remette une médaille lors d’une cérémonie publique. Quand on faisait partie de Delta, on ne recherchait pas la gloire.
Pourtant, même s’il s’attendait à ce qu’on l’ignore, il n’aurait pas cru qu’on le jetterait comme un déchet. Il avait donné beaucoup de lui-même à l’Armée, et elle était prête à le jeter après une mauvaise mission. Certes, la mission avait été plus que mauvaise, elle avait été un désastre, une débâcle, mais pas par sa faute.
— Ils vont me jeter de toute façon, dit-il. Je peux partir tranquillement ou je peux partir avec pertes et fracas.
— C’est vrai, dit Don.
Luke soupira lourdement. Il regarda défiler la vieille ville. Ils sortirent du quartier historique et entrèrent dans une rue plus moderne avec ses centres commerciaux. Ils arrivèrent à la fin d’un long pâté de maisons. Don tourna vers la gauche et entra dans le parking d’un Burger King.
Luke allait revenir à la vie civile qu’il le veuille ou non. C’était un monde qu’il avait quitté quatorze ans auparavant. Il ne s’était pas attendu à le revoir un jour. Que se passait-il dans ce monde ?
Il regarda un jeune couple obèse se diriger vers la porte du restaurant en se dandinant.
— Que vais-je faire ? dit Luke. Après la fin de cette année ? Quel genre de travail civil puis-je obtenir ?
— Aucun problème, dit Don. Tu vas venir travailler pour moi.
Luke le regarda.
Don s’arrêta près de l’arrière du parking, où il n’y avait pas d’autre voiture.
— L’Équipe d’Intervention Spéciale est prête à partir. Pendant que tu te regardais le nombril au lit, je me suis battu avec les bureaucrates et j’ai rempli des papiers. J’ai obtenu un financement, au moins jusqu’à la fin de l’année. J’ai mon petit quartier général dans une banlieue de Virginie, pas loin de la CIA. En ce moment, ils finissent les travaux. J’ai l’approbation du directeur du FBI. De plus, j’ai parlé au téléphone, bien que brièvement, avec le Président des États-Unis.
Don se tourna dans la voiture et regarda Luke.
— Je suis prêt à embaucher mon premier agent. C’est toi.
D’un signe de la tête, il montra une grande pancarte qui se trouvait près de l’avant du parking. Luke jeta un coup d’œil à l’endroit qu’indiquait Don. Juste au-dessous du logo de Burger King, il y avait une série de lettres noires sur fond blanc. Si on les lisait dans leur ensemble, les lettres envoyaient un message peu réjouissant.
Nous embauchons. Contactez-nous.
— Si tu ne veux pas travailler pour moi, je parie que tu trouveras des quantités d’autres opportunités.
Luke secoua la tête, puis il rit.
— Quelle étrange journée, dit-il.
Don hocha la tête.
— Eh bien, elle va devenir encore plus étrange. Voici une autre surprise. Un cadeau, pour être précis. Je ne voulais pas te le donner à l’hôpital parce que les hôpitaux sont des endroits sinistres, surtout les hôpitaux pour anciens combattants.
Devant la voiture se tenait une belle, jeune femme aux longs cheveux marron. Elle regardait Luke les larmes aux yeux. Elle portait une veste légère et, au-dessous, elle avait une robe de maternité. La femme en question était enceinte depuis longtemps.
Enceinte du fils de Luke.
Il fallut une fraction de seconde à Luke pour la reconnaître. Jamais il ne l’aurait révélé à qui que ce soit, même pas sous la torture. Son esprit n’avait pas fonctionné correctement ces dernières semaines et il ne s’était pas attendu à la voir dans ce parking sinistre. Il ne s’était pas attendu à la voir ici. Sa présence était irréelle, surnaturelle.
Rebecca.
— Oh, mon Dieu, dit Luke.
— Oui, dit Don. Tu devrais aller lui dire bonjour avant qu’elle ne trouve quelqu’un de mieux. Par ici, ça ne lui prendrait pas longtemps.
— Pourquoi … pourquoi l’avez-vous emmenée ici ?
Don haussa les épaules. Il regarda le parking du Burger King.
— C’est plus romantique que la retrouver à la base.
Alors, Luke sortit de la voiture. Il la rejoignit en ayant l’impression de flotter. Il la prit dans ses bras et l’y garda longtemps. Infiniment. Il aurait voulu ne jamais la laisser partir.
Pour la première fois, Luke sentit des larmes couler sur son propre visage. Il respira profondément. C’était si bon de la tenir. Il ne parla pas. Il ne trouvait pas un seul mot à dire.
Elle leva les yeux vers lui et essuya les larmes de son visage.
— C’est formidable, non ? dit-elle. Don dit que tu vas travailler pour lui.
Luke hocha la tête. Il ne parlait toujours pas. Tout semblait donc avoir été décidé. Don et Becca avaient pris la décision pour lui.
— Je t’aime tant, Luke, dit-elle. Je suis tellement heureuse que cette vie militaire soit terminée.
CHAPITRE SIX
3 mai
7 h 15, Heure Avancée de l’Est
Quartier Général de l’Équipe d’Intervention Spéciale
McLean, Virginie, dans la banlieue de Washington, DC
— Je pense que j’ai peut-être quelque chose pour toi, dit Don Morris.
Ils étaient assis dans le nouveau bureau de Don. L’endroit commençait à prendre forme. Il y avait des photos de sa femme et de ses enfants sur le bureau, des rubans et des proclamations encadrés sur les murs. Le bureau lui-même était grand, en chêne poli. Dessus, il y avait une console de téléphone, un écran d’ordinateur, un téléphone portable, un téléphone satellite et pas grand-chose d’autre. Don n’aimait pas beaucoup les papiers.
— Cet endroit t’aidera à te lancer un peu. Depuis ton arrivée ici, tu as l’air un peu fébrile. Ça pourra résoudre le problème.
Luke le regardait fixement. C’était presque comme si Don venait de lire dans ses pensées. Don lui avait fait une faveur en lui donnant ce travail. Luke le savait. C’était une bouée qu’il avait lancée à un homme qui se noyait, mais Luke s’en éloignait déjà peu à peu. Jusqu’à présent, ils avaient passé des semaines à parler sur une chaise. Luke s’ennuyait. C’était OK mais, si cela se prolongeait trop, il allait devenir fou. Le travail de renseignement de bureau n’était pas pour lui. Cela commençait à devenir extrêmement clair.
— Je suis tout ouïe, dit Luke.
Derrière lui, Don indiqua la porte ouverte de son bureau.
— Allons dans le hall.
Luke suivit Don dans le hall étroit jusqu’à la salle de conférence brillamment éclairée qui se trouvait à l’autre bout. Ce petit complexe de bureaux avait encore été une antenne du Bureau pour le Logement et le Développement Urbain six mois auparavant. Don s’efforçait de donner à ce bâtiment un côté un peu plus vingt-et-unième siècle.
Dans cet ordre d’idées, un grand jeune homme à queue de cheval et avec une étrange paire de lunettes d’aviateur enveloppantes suspendait un écran plat à un mur. Un autre écran était déjà fixé à l’autre mur avec des câbles qui menaient à un panneau de contrôle posé sur la longue table de conférence. Le jeune homme portait un tee-shirt rouge, blanc et bleu, un jean et des tennis montantes Converse All-Star rouges.
Luke le regarda à peine. Il supposait qu’il était technicien dans une agence gouvernementale, ou peut-être un technicien mystérieusement employé par le FBI.
— Luke, je te présente Mark Swann, dit Don en tirant nonchalamment Luke de ses pensées. C’est notre nouveau concepteur et opérateur système. Il est responsable de nos réseaux d’informations, d’Internet, des connexions satellite … Mark va porter beaucoup de casquettes, au moins pendant un temps. Mark Swann, voici l’Agent Luke Stone. Luke est notre premier agent sur le terrain, mais nous allons en ajouter deux autres.
Le jeune homme se retourna. Il était maigre, avec des jambes en tuyau de poêle. Sur le devant de son tee-shirt, on voyait un drapeau américain avec l’inscription « Nous sommes le numéro 31 ! ».
Le jeune homme croisa le regard avec Luke, qui l’évalua rapidement. Il était jeune, avait peut-être guère plus de vingt ans et semblait même être plus jeune que ça. Son assurance frisait l’arrogance. Il était intelligent. Il avait probablement été spécialiste en ordinateurs au lycée. Il allait être dans une autre section que Luke. Il était spécialiste en équipements : il savait les démonter, les remonter et les faire fonctionner. Il n’avait probablement jamais pris part à une seule situation violente de toute sa vie et n’avait peut-être jamais assisté à cette sorte de situation.
Ils se serrèrent la main.
— Nous sommes le numéro trente-et-un, alors ? dit Luke. En quoi sommes-nous le numéro trente-et-un ?
Le gars haussa les épaules et sourit.
— Je ne sais pas, l’ami. Vous pouvez peut-être le deviner.
Luke faillit en rire.
— Malheureusement pas, dit-il. Vous devrez peut-être m’aider un peu.
— En soins médicaux, dit le jeune homme. Nous sommes trente-et-unièmes en soins médicaux selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Cela dit, nous sommes premiers en dépenses médicales, si vous voulez être fier de quelque chose.
Luke tenait encore la main du jeune homme.
— Je serais fier de vous casser quelques os et de voir si les docteurs américains peuvent les ressouder, mais vous préféreriez probablement les faire soigner au Mexique.
Swann retira sa main.
— À Cuba, peut-être, ou au Canada.
— Très bien, Mark, dit Don. Je suis sûr que l’Agent Stone est heureux de découvrir qu’il a risqué sa peau tant d’années pour un pays qui soigne si mal ses citoyens.
D’un signe de tête, Don désigna l’installation audio-visuelle.
— Comment ça progresse ?
Mark hocha la tête.
— Le premier écran est prêt. Haute définition, connexion à haute vitesse. Grâce à ce clavier, qui est sur la table, et ce petit écran, vous pouvez accéder à tous vos propres fichiers rien qu’en vous identifiant. Vous pouvez choisir ce que vous voulez partager et le grand écran l’affichera. Je peux facilement rendre cette fonctionnalité disponible à tous les occupants du bâtiment, mais je voulais juste que vous l’essayiez d’abord, pour voir si ça vous plaît.
Don hocha la tête.
— Très cool. Et les visiteurs ? Et pour partager des informations avec les autres lieux de réunion ?
Le jeune Mark Swann leva les mains comme pour dire Doucement !
— Ça arrive, mais nous allons devoir disposer d’un cryptage sécurisé avant de commencer à diffuser du renseignement à l’extérieur du bâtiment. Vous pouvez envoyer tous les courriels que vous voulez mais, pour diffuser des vidéos ou des données à d’autres endroits ou recevoir des émissions ici, cela se produira au cas par cas avec chaque partenaire, la CIA, la NSA, la Maison-Blanche s’il le faut, même le quartier général du FBI. Comme ils ont tous leurs propres procédures, nous allons suivre leurs instructions.
Don hocha la tête.
— OK, Mark. Ça me semble déjà très bien. Peux-tu nous laisser vingt ou trente minutes, à l’Agent Stone et à moi-même ? Et peux-tu demander à Trudy Wellington de venir ici ?
Swann hocha la tête.
— Bien sûr.
Quand il partit, Don regarda Luke.
— Drôle de gosse, dit Luke.
— C’est un expert, dit Don. Ici, mon but est de n’embaucher que les meilleurs et, dans ce domaine, ce n’est pas toujours celui qui correspond le mieux au profil. D’habitude, en matière de technologie, ce n’est pas le cas. Nous sommes des cow-boys, ici, Luke. Nous sommes des enfants qui colorient en dehors des lignes. C’est ce qu’ils veulent de nous. Le directeur du FBI l’a dit lui-même.
— Je suis avec vous, dit Luke.
— Normal. Tu es un des meilleurs agents spéciaux que j’aie vus dans toute ma longue carrière et, pour ce qui est de colorier en dehors des lignes … eh bien …
Soudain, une jeune femme apparut dans l’embrasure de la porte. Si possible, elle était encore plus jeune que le jeune homme qui venait de partir. Le personnel que Don embauchait pour son bureau était composé d’enfants. Cela dit, cette enfant-là était belle. Elle avait de longs cheveux marron frisés. Elle portait un chemisier élégant et un pantalon qui épousait ses courbes. Elle avait aussi de grandes lunettes rouges qui lui donnaient une apparence légèrement solennelle.
— Don ?
— Trudy ? Entrez. Je vous présente Luke Stone. C’est l’homme dont je vous ai parlé. Luke, voici Trudy Wellington. C’est notre nouvel agent de renseignements, une autre experte. Pendant son adolescence, elle a obtenu son diplôme au MIT, puis elle a passé deux ans aux stations d’écoute de la CIA. Maintenant, elle est avec nous, prête à prendre faire progresser l’espionnage de façon spectaculaire.
Luke serra la main à la jeune femme. Un peu timide, elle n’osait pas le regarder en face. Rien d’étonnant : c’était encore une gamine.
Luke regarda Don puis Trudy. Quelque chose dans leur langage corporel …
Non, c’était impossible. Don était marié depuis trente ans. Il avait une fille et un fils plus âgés que cette Trudy.
— Trudy va nous briefer sur la mission que nous avons actuellement.
Trudy s’assit à la table de conférence. Luke et Don en firent autant. Elle prit immédiatement le clavier, tira le petit moniteur vers elle et saisit ses identifiants. Les icônes de son ordinateur de bureau apparurent sur le grand écran plat accroché au mur.
— Vous savez déjà utiliser ça ? dit Don.
— Oui. En fait, nous avions du matériel audio-vidéo de ce type au MIT, bien sûr. J’en ai vu moins à la CIA, mais j’imagine qu’ils en ont quelque part. Swann m’y a déjà donné accès. Je pense qu’il l’a fait pour se vanter.
— De toute façon, c’est une très bonne chose, dit Don.
Luke hocha la tête. Il faillit rire à nouveau. Il repensa au Don au regard d’acier tel qu’il l’avait connu ces dernières années, en train de sauter en parachute dans des zones de combat, de commander des hommes sur le terrain, de tuer des mauvais hommes sans remords. Il était si fier de sa petite agence, des appareils technologiques de son bureau et des jeunes civils qui les manipulaient avec tant d’aisance que c’en était presque absurde. Tant mieux pour lui.
Sur l’écran, la carte d’identité d’un membre du Corps des Marines des États-Unis apparut. Elle montrait un soldat avec une coupe en brosse, une mâchoire large et un regard menaçant. Il avait à la fois l’air sarcastique, irrité et prêt à assassiner quelqu’un. Il ressemblait au genre d’homme à combattre à l’étranger puis à rentrer chez lui et à passer son temps à se battre dans les bars pendant ses permissions. Un client difficile.
Luke avait connu beaucoup de gars comme lui. En fait, il en avait assommé quelques-uns.
— Je vais supposer que vous ne connaissez ni l’un ni l’autre le sujet ou notre tâche actuels, dit Trudy. Cela pourra faire durer cette conversation plus longtemps qu’il ne le faudrait, mais le but est d’être sûrs qu’on se comprenne tous. D’accord ?
— Bien, dit Don.
— Pas de problème pour moi, dit Luke.
Elle hocha la tête.
— Commençons, dans ce cas. L’homme que vous voyez sur l’écran est l’ex-Sergent Edwin Lee Parr du Corps des Marines. Il a trente-sept ans et a grandi dans le Kentucky, au sud de Lexington. Ce vétéran a combattu lors des deux invasions de Panama en 1989 et pendant la Guerre du Golfe. Il a aussi été déployé pour assurer la paix à la fin de la Guerre du Kosovo. Il a reçu un Purple Heart et une Bronze Star pour ses services méritoires pendant l’invasion du Panama. Il a bénéficié d’une libération honorable en décembre 1999, après douze ans de service.
— Parr est rentré au pays et y a travaillé un peu partout dans le domaine de la sécurité pendant un an et demi. Il avait un permis de port d’arme dissimulée et a été principalement garde-du-corps, surtout pour les hommes d’affaires, souvent pour les diamantaires. Il a travaillé pour une entreprise du nom de White Knight Security et a fait la navette entre New York, Miami, Chicago, Los Angeles et San Francisco. Nous avons aussi la preuve qu’il s’est rendu à Tokyo, à Hong Kong et à Londres, mais nous ne savons pas comment les réglementations des armes à feu ont joué dans ces cas-là.
Luke regarda l’homme en colère dans le blanc des yeux. Ce travail n’avait pas l’air si mal pour un ancien combattant. Peu d’action, mais beaucoup de mouvement. Cela pourrait même plaire à un homme comme …
— Puis il y a eu le 11 septembre, dit Trudy.
— S’est-il rengagé ? dit Luke.
Elle secoua la tête.
— Non. En peu de temps, il y a eu une demande énorme de contractuels militaires expérimentés. White Knight Security a créé une division entièrement nouvelle, qu’elle a appelé White Knight Consultants. Edwin Parr a été un de leurs premiers experts en zones de combat. Il a été en Afghanistan et, maintenant, cela fait vingt-cinq mois de suite qu’il est en Irak.
Luke commençait à se demander quand elle allait en venir au fait. Edwin Lee Parr se trouvait en zone de combat, y faisait presque tout ce qu’il voulait en étant très peu contrôlé et gagnait dix fois plus qu’un soldat normal. Cette idée irritait Luke, pour le dire gentiment.
— Vingt-cinq mois ? dit Luke. Que fait-il là-bas ? Je veux dire, mis à part remplir son compte en banque ?
— Edwin Parr semble avoir versé dans la délinquance, dit Trudy.
Elle s’interrompit et détourna momentanément les yeux du clavier et de la souris.
— Les prochaines images sont violentes.
Luke la regarda fixement.
— Je pense que ça n’aura rien d’un problème, dit Don.
Trudy hocha la tête.
— Parr a été licencié par White Knight il y a quatre mois, alors qu’il avait travaillé cinq ans pour eux. Les dirigeants de White Knight disent ne pas être au courant de ses activités et ne pas savoir où il est. Ils déclinent toute responsabilité pour ses actions.
Une nouvelle image apparut sur l’écran. Elle montrait peut-être une douzaine de corps qui gisaient sur une sorte de place de marché. On reconnaissait tout juste qu’il s’agissait de corps humains, car ils avaient été déchiquetés par une bombe ou par une sorte d’arme à répétition à calibre élevé.
— Parr opère dans l’Irak du nord-ouest, dans ce que l’on appelle le triangle sunnite, hors de portée des troupes de la coalition. Au plus douze contractuels passés ou peut-être présents opèrent avec lui, ainsi que, pensons-nous, un ou deux déserteurs du Corps des Marines. On pense que c’est lui qui a ordonné le massacre de civils qui a eu lieu dans ce marché en plein air de Falloujah. On pense que cette photo a été prise suite au massacre. Pas moins de quarante personnes ont dû mourir dans cette attaque.
Luke était intéressé.
— Pourquoi ferait-il ça ?
Une nouvelle image apparut sur l’écran. Elle montrait deux torses brûlés et sans tête pendus à un pont.
— Les corps que vous voyez ici ont été identifiés comme étant les restes des ex-contractuels militaires américains Thomas Calence, trente-et-un ans, et Vladimir Garcia, trente-neuf ans. Leur jeep a été attaquée par des insurgés sunnites. Ils ont été capturés, décapités et brûlés. Quand c’est arrivé, aucun de ces deux hommes n’était engagé comme contractuel militaire. Le massacre perpétré dans l’image précédente semble avoir été une vengeance pour la mort de Calence et de Garcia dans le cadre d’une série toujours plus violentes d’attaques de représailles. Calence et Garcia avaient opéré avec Parr.
— Que faisaient-ils ? dit Luke.
Une nouvelle image apparut. C’était une carte de ce que l’on appelait le triangle sunnite.
— Le triangle sunnite était le bastion de Saddam Hussein en Irak. Le sud du pays est essentiellement chiite et Saddam a fait tout son possible pour éliminer les chiites, notamment par de nombreux massacres. Le nord est essentiellement kurde et, si cela se trouve, les Kurdes ont été traités encore plus cruellement que les chiites. Cependant, dans le centre du nord et dans le nord-ouest, l’Irak est sunnite. Saddam est né là et les gens de cette région lui sont fidèles. L’armée américaine a eu beaucoup de mal à pacifier cette région, dont la plus grande partie est encore inaccessible. Nous pensons que Parr opère là-bas parce que c’est là que l’essentiel des richesses de Saddam sont cachées.


