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C’était un salut à vingt-et-une armes, sept à la fois. C’était un honneur que tout le monde ne méritait pas. Martinez était un ancien combattant très décoré qui avait servi sur deux théâtres d’opérations. À présent, il était mort, suicidé, mais ça n’aurait pas dû arriver.
Trois douzaines de soldats se tenaient en formation près de la tombe. Une poignée d’agents Delta et d’ex-agents Delta se tenaient un peu plus loin en civil. On reconnaissait les agents Delta parce qu’ils ressemblaient des stars du rock et s’habillaient comme des stars du rock. Ils étaient grands, larges d’épaules, en tee-shirt et en blazer, en pantalon kaki. Ils avaient une barbe foisonnante et une boucle d’oreille. L’un d’eux avait une large crête iroquoise taillée de près.
Luke se tenait seul, en costume noir, et il scrutait la foule. Il y cherchait un homme qu’il s’attendait à y trouver : un certain Kevin Murphy.
Près de l’avant, il y avait une rangée de chaises pliantes blanches. Une femme réconfortait une autre femme d’âge moyen habillée en noir. Près d’elle, une garde d’honneur constituée de trois Rangers, de deux Marines et d’un pilote de chasse retirèrent soigneusement le drapeau du cercueil et le plièrent. Un des soldats se mit sur un genou devant la femme en deuil et lui présenta le drapeau.
— De la part du Président des États-Unis, dit le jeune Ranger d’une voix brisée par l’émotion, de l’Armée des États-Unis et d’une nation reconnaissante, veuillez accepter ce drapeau comme symbole de notre appréciation pour le service honorable et loyal de votre fils.
Luke regarda une fois de plus les agents Delta. L’un d’eux s’était éloigné et montait seul un coteau verdoyant entre les pierres tombales blanches. Il était grand et sec, avec des cheveux blonds rasés près du crâne. Il portait un jean et une chemise élégante bleu clair. Même s’il était mince, il avait quand même les épaules larges et les bras et les jambes musclés. Ses bras semblaient presque trop longs pour son corps, comme les bras d’une star du basket-ball, ou d’un ptérodactyle.
L’homme marchait lentement, sans particulièrement se presser, comme s’il n’avait rien d’urgent à faire. Il marchait en fixant l’herbe du regard.
Murphy.
Luke quitta l’oraison funèbre et le suivit sur la colline. Il marcha beaucoup plus vite que Murphy et le rattrapa.
Si Martinez était mort, c’était pour de nombreuses raisons, mais la plus évidente était qu’il s’était tiré une balle dans la tête sur son lit d’hôpital. Or, pour cela, quelqu’un lui avait apporté une arme. Luke était sûr à cent pour cent de savoir qui c’était.
— Murphy ! dit-il. Attendez une minute.
Murphy leva le regard et se retourna. Le moment d’avant, il avait semblé perdu dans ses pensées mais, quand il avait entendu Luke, ses yeux s’étaient immédiatement réveillés. Son visage était étroit, en forme d’oiseau, beau à sa façon.
— Luke Stone, dit-il d’une voix monocorde.
Il ne semblait ni content ni mécontent de voir Luke. Son regard était froid. Comme tous les agents Delta, il avait des yeux qui exprimaient une intelligence froidement calculatrice.
— Permettez que je vous accompagne une minute, Murph.
Murphy haussa les épaules.
— Comme vous voulez.
Ils marchèrent au même rythme. Luke ralentit pour s’adapter au pas de Murphy. Pendant un moment, ils marchèrent sans dire un mot.
— Comment allez-vous ? dit Luke.
C’était une formule de politesse étrange de sa part. Luke avait fait la guerre avec cet homme. Ils avaient combattu ensemble une douzaine de fois. Maintenant que Martinez était mort, ils étaient les deux derniers survivants de la pire nuit que Luke ait vécue. On aurait cru qu’il y aurait une certaine intimité entre eux.
Cependant, Murphy ne donna rien à Luke.
— Je vais bien.
C’était tout.
Ni « Comment allez-vous ? », ni « Est-ce que votre bébé est né ?, ni « Il faut qu’on parle ». Murphy n’était pas d’humeur à converser.
— J’ai entendu dire que vous aviez quitté l’Armée, dit Luke.
Murphy sourit et secoua la tête.
— Que puis-je faire pour vous, Stone ?
Luke s’arrêta et saisit Murphy par l’épaule. Murphy se tourna vers lui et repoussa sa main d’un mouvement de l’épaule.
— Je veux vous raconter une histoire, dit Luke.
— Allez-y, dit Murphy.
— Je travaille pour le FBI, maintenant, dit Luke. Une petite agence discrète au sein du Bureau. Espionnage. Opérations spéciales. C’est Don Morris qui gère cette agence.
— Félicitations, dit Murphy. C’est ce que tout le monde disait. Stone est comme un chat. Il retombe toujours sur ses pattes.
Luke ne réagit pas à cette répartie.
— Nous avons accès à des informations. Les meilleures. Nous savons tout. Par exemple, je sais que vous avez manqué à l’appel début avril et que vous avez obtenu une décharge honorable environ six semaines plus tard.
À présent, Murphy riait.
— Vous avez dû chercher pas mal pour obtenir ces informations, hein ? Vous avez envoyé une taupe examiner mon dossier personnel ? Ou leur avez-vous seulement demandé de vous envoyer ça par courriel ?
Luke poursuivit.
— La police de Baltimore a un informateur qui est un lieutenant proche de Wesley ‘Cadillac’ Perkins, leader du gang de rue les Sandtown Bloods.
— C’est sympa, dit Murphy. Le métier de policier doit être fascinant tous les jours.
Il se retourna et recommença à marcher.
Luke marcha avec lui.
— Trois semaines auparavant, Cadillac Perkins et deux gardes du corps ont été attaqués à trois heures du matin pendant qu’ils entraient dans leur voiture dans le parking d’une boîte de nuit. Selon l’informateur, un seul homme les a attaqués, un grand homme blanc mince. Il a assommé les deux gardes du corps en trois ou quatre secondes. Ensuite, il a donné un coup de pistolet à Perkins et lui a volé une serviette contenant au moins trente mille dollars en liquide.
— Cet homme blanc devait être audacieux, dit Murphy.
— L’homme blanc en question a aussi volé à Perkins une arme, un Smith & Wesson.38 reconnaissable grâce à un slogan particulier gravé sur la crosse. Quand On Est Fort, On A Raison. Évidemment, ni l’attaque, ni le vol de l’argent ni la perte de l’arme n’ont été signalés à la police. C’était juste une chose dont cet informateur a parlé avec son responsable.
Murphy ne regardait pas Luke.
— Qu’est-ce que vous me dites, Stone ?
Luke regarda vers l’avant et remarqua qu’ils approchaient de la tombe de John F. Kennedy. Une foule de touristes se tenait le long des dalles de deux cents ans et prenaient des photos du feu de la flamme éternelle.
Le regard de Luke se dirigea vers le mur bas en granit qui se trouvait au bord du mémorial. Juste au-dessus du mur, il voyait le Washington Monument de l’autre côté du fleuve. Le mur lui-même portait de nombreuses inscriptions extraites du discours inaugural de Kennedy. Une citation célèbre attira l’attention de Luke :
NE DEMANDEZ PAS CE QUE VOTRE PAYS PEUT FAIRE POUR VOUS …
— L’arme que Martinez a utilisée pour se suicider avait l’inscription Quand On Est Fort, On A Raison sur la crosse. Le Bureau a remonté la chronologie de l’arme et a découvert qu’elle avait été utilisée pour commettre deux meurtres qui ressemblaient à des exécutions et qui semblaient être liés aux guerres entre vendeurs de drogue de Baltimore. Une de ces exécutions est le meurtre avec torture de Jamie Young le ‘Parrain’, ex-leader des Sandtown Bloods.
MAIS CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE POUR VOTRE PAYS.
Murphy haussa les épaules.
— Tous ces surnoms. Le Parrain. Cadillac. Ça doit être dur de les retenir.
Luke poursuivit.
— D’une façon ou d’une autre, cette arme a voyagé de Baltimore vers le sud jusqu’à arriver dans la chambre d’hôpital de Martinez en Caroline du Nord.
Murphy regarda Stone une fois de plus. Maintenant, ses yeux étaient inexpressifs. C’étaient des yeux d’assassin. Si Murphy avait déjà tué un homme, il en avait tué cent.
— Et si vous alliez droit au but, Stone ? Dites ce que vous pensez au lieu de me raconter une fable puérile sur les seigneurs de la drogue et les braqueurs.
Luke était dans une telle colère qu’il aurait presque pu frapper Murphy au visage. Il était fatigué. Il était agacé. Il avait le cœur brisé par la mort de Martinez.
— Vous saviez que Martinez voulait se suicider … commença-t-il.
Murphy n’hésita pas.
— C’est vous qui avez tué Martinez, dit-il. Vous avez tué toute la section. Vous. Luke Stone. Vous avez tué tout le monde. J’y étais. Vous vous souvenez ? Vous avez accepté une mission que vous saviez impossible parce que vous ne vouliez pas refuser d’obéir aux ordres d’un maniaque qui voulait mourir. Et pour quoi ? Pour faire avancer votre carrière ?
— Vous avez donné l’arme à Martinez, dit Luke.
Murphy secoua la tête.
— Martinez est mort cette nuit-là sur la colline, comme tous les autres, mais son corps était trop fort pour s’en rendre compte. Donc, il a eu besoin qu’on l’aide.
Ils se regardèrent fixement pendant un long moment. L’espace d’un instant, dans sa tête, Luke se retrouva à nouveau dans la chambre d’hôpital de Martinez. Les jambes de Martinez avaient été réduites en lambeaux et n’avaient pas pu être sauvées. L’une d’elles avait été sectionnée au bassin, l’autre sous le genou. Il pouvait encore se servir de ses bras, mais il était paralysé au-dessous de sa cage thoracique. C’était un cauchemar.
Des larmes avaient commencé à couler sur le visage de Martinez. Il avait martelé le lit de ses poings.
— Je t’avais dit de me tuer, avait-il dit en serrant les dents. Je t’avais dit … de … me … tuer. Maintenant regarde … cette horreur.
Luke l’avait regardé fixement.
— Je n’aurais jamais pu te tuer. Tu es mon ami.
— Ne dis pas ça ! avait répondu Martinez. Je ne suis pas ton ami.
Luke se libéra de ce souvenir. Il était à nouveau sur une colline verte à Arlington, par un jour d’été ensoleillé. Il était en vie et, dans l’ensemble, il allait bien. Quant à Murphy, il était encore ici et il lui donnait sa version des faits, une version que Luke ne voulait pas entendre.
Il y avait une foule de gens tout autour d’eux. Les gens regardaient la flamme de Kennedy et chuchotaient discrètement.
— Comme d’habitude, dit Murphy, Luke Stone a échoué en prenant du grade. Maintenant, il travaille pour son vieux commandant dans une agence d’espionnage civile super secrète. Ils ont de beaux jouets, là-bas, Stone ? Bien sûr, si Don Morris est à la tête de la boîte. De jolies secrétaires ? Des voitures rapides ? Des hélicoptères noirs ? C’est comme une émission télévisée, n’est-ce pas ?
Luke secoua la tête. Il était temps de changer de sujet.
— Murphy, depuis que vous avez manqué à l’appel, vous avez commis une série de vols à main armée dans des villes du nord-est. Vous avez ciblé des membres de gangs et des vendeurs de drogue, des gens qui, comme vous le savez, transportent de grandes quantités de liquide et qui ne signaleront jamais …
Sans avertissement, Murphy envoya un direct avec son poing droit. Arrivant comme un piston, il frappa Luke au visage juste sous l’œil. La tête de Luke recula brusquement.
— Tais-toi, dit Murphy. Tu parles trop.
Luke recula en trébuchant et heurta la personne qui se tenait derrière lui. Près de lui, quelqu’un d’autre eut le souffle coupé. Le coup avait été bruyant, comme une pompe hydraulique.
Luke recula de plusieurs pas en repoussant des gens. Pendant une fraction de seconde, il eut la sensation familière de flotter. Il secoua la tête pour se remettre les idées en place. Murphy l’avait frappé violemment.
Et Murphy n’avait pas terminé. Il lui en envoyait un autre.
Les gens s’écartaient d’eux des deux côtés pour s’éloigner de la bagarre. Une femme obèse, bien habillée dans son ensemble constitué d’une jupe et d’une veste beiges, tomba sur les dalles entre Luke et Murphy. Deux hommes se précipitèrent pour l’aider à se relever. De l’autre côté de ce petit tas, Murphy secouait la tête, agacé.
À la droite de Luke, il y avait la chaîne basse qui séparait les visiteurs de la flamme éternelle. Luke passa dessus, marcha sur les larges pavés puis passa dans un espace dégagé. Murphy le suivit. Luke enleva sa veste de costume d’un mouvement des épaules, révélant ainsi l’étui et son arme de service qui se trouvaient dessous. Maintenant, quelqu’un criait.
— Arme ! Il a une arme !
Murphy la montra, un demi-sourire au visage.
— Tu vas faire quoi, Stone ? M’abattre ?
La foule des gens descendait hâtivement la colline en un exode massif et rapide d’humains.
Luke détacha l’étui et le laissa tomber sur les pavés. Il se déplaça en cercle vers la droite en gardant la flamme éternelle de la tombe de John F. Kennedy juste derrière lui et les pierres tombales plates de la famille Kennedy devant lui. Au loin, il aperçut à nouveau le Washington Monument.
— Tu es sûr que tu veux faire ça ? dit Luke.
Murphy passa sur une des pierres tombales de la famille Kennedy.
— C’est ce que je désire le plus.
Luke leva les mains. Il ne quittait pas Murphy des yeux. Il oublia tout le reste. Il voyait Murphy comme si l’homme était baigné d’une étrange lumière, comme celle d’un projecteur. Murphy avait une portée beaucoup plus grande, mais Luke était plus fort.
Il fit signe avec les doigts de sa main droite.
— Allez, viens.
Murphy attaqua. Il fit semblant d’envoyer un coup à gauche, mais frappa durement du poing droit. Luke esquiva le coup et envoya lui-même un coup violent de la main droite. Murphy repoussa le bras droit de Luke vers l’extérieur. Maintenant, ils étaient près l’un de l’autre, juste à l’endroit où Luke voulait être.
Soudain, ils se saisirent l’un l’autre. Luke dégagea la jambe de Murphy d’un coup de pied, le souleva haut et le fit tomber au sol avec un bruit sourd. Luke sentit l’impact du corps de Murphy, qui fit vibrer les dalles. La tête de Murphy rebondit sur la plate-forme de pierre rude et ronde qui accueillait la flamme de Kennedy.
La plupart des hommes auraient abandonné à ce moment-là, mais pas Murphy, qui était un Delta.
Sa main droite jaillit une fois de plus. Les doigts s’attaquèrent au visage de Luke en essayant de trouver ses yeux. Luke recula la tête.
Alors, Murphy envoya un coup de son poing gauche. Luke le reçut au côté de la tête. Ses oreilles sifflèrent.
La droite de Murphy revint. Luke la bloqua, mais Murphy se releva d’un bond. Il se lança sur Luke et ils tombèrent vers l’arrière, Murphy au-dessus. La boîte en métal qui contenait la flamme de quinze centimètres de haut était juste à la droite de Luke.
Une brise souffla et le feu approcha d’eux. Luke en sentit la chaleur.
De toutes ses forces, il saisit Murphy et roula loin vers la droite. Le dos de Murphy entra en contact avec la flamme éternelle. Le feu s’éleva tout autour d’eux quand ils roulèrent sur la flamme. Luke atterrit sur le flanc gauche et utilisa son élan pour continuer à rouler.
Il se mit au-dessus de Murphy et lui prit la tête dans les deux mains.
Murphy le frappa au visage.
Luke le repoussa d’un mouvement des épaules et frappa la tête de Murphy contre le béton.
Murphy essaya de le repousser de ses mains.
Luke lui frappa la tête contre le béton une fois de plus.
— NE BOUGEZ PLUS ! cria une voix grave.
Le canon d’une arme était pressé contre la tempe de Luke. Il y était appuyé violemment. Du coin de l’œil, Luke vit les deux grosses mains noires qui tenaient l’arme et un uniforme bleu qui se profilait derrière elles.
Immédiatement, Luke leva les mains en l’air.
— Police, dit la voix, maintenant un peu plus calme, mais pas beaucoup plus.
— Monsieur l’agent, je suis l’agent Luke Stone, du FBI. Mon badge est dans cette veste, là-bas.
Maintenant, il y avait d’autres uniformes bleus. Ils entouraient Luke et l’écartaient de Murphy. Ils le plaquaient au sol et le maintenaient le visage contre la pierre. Il se fit aussi immobile que possible et n’offrit aucune résistance. Des mains lui firent une fouille au corps.
Il regarda Murphy, qui recevait le même traitement.
Tu n’as pas d’arme sur toi, pensa Luke.
Peu après, ils relevèrent Luke. Il regarda autour de lui. Il y avait dix policiers. Juste au bord du tumulte, une silhouette familière se profilait. Le grand Ed Newsam, qui regardait la scène de pas très loin.
Un policier tendit sa veste à Luke, son étui et son badge.
— OK, agent Stone, quel est le problème, ici ?
— Il n’y a pas de problème.
Le policier désigna Murphy. Murphy était assis sur les dalles, les bras autour des genoux. Il avait les yeux un peu dans le vague, mais il se remettait.
— Qui est ce gars ?
Luke poussa un soupir et secoua la tête.
— C’est un de mes amis. Un vieil ami de l’armée.
Il fit un demi-sourire et se frotta le visage. Il vit du sang sur sa main.
— Vous savez, parfois, quand on se retrouve …
La plupart des policiers s’éloignaient déjà.
Luke baissa les yeux vers Murphy. Murphy ne faisait aucun effort pour se relever. Luke plongea la main dans la poche de sa veste et en sortit une carte de visite. Il la regarda une seconde.
Luke Stone, Agent Spécial.
Dans le coin de la carte, il y avait le logo de l’EIS. Sous le nom de Luke, il y avait le numéro de téléphone d’un secrétaire du bureau. Cette carte avait quelque chose de ridiculement plaisant.
Il la tendit à Murphy.
— Tiens, imbécile. Appelle-moi. J’allais te proposer un travail.
Luke tourna le dos à Murphy et alla vers Ed Newsam. Ed portait une chemise élégante et une cravate noire et il avait un blazer plié sur l’épaule. Il était aussi grand qu’une montagne. Ses muscles ondulaient sous ses vêtements. Ses cheveux et sa barbe étaient noirs de jais. Son visage était jeune. Il n’avait pas une ride.
Il secoua la tête et sourit.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Luke haussa les épaules.
— Je ne sais pas vraiment. Et toi ?
— Ils m’ont envoyé te chercher, dit Ed. Nous avons une mission. Des otages à sauver. Priorité élevée.
— Où ? dit Luke.
Ed secoua la tête.
— C’est ultra-secret. Nous ne le saurons que pendant le briefing. Cependant, ils veulent que nous soyons prêts à passer à l’action dès que le briefing sera terminé.
— Quand a lieu le briefing ?
Ed s’était déjà retourné et redescendait la colline.
— Maintenant.
CHAPITRE QUATRE
Midi vingt, Heure de l’Est
Quartier Général de l’Équipe d’Intervention Spéciale
McLean, Virginie
— Ne t’inquiète pas. Tu as l’air très beau.
Luke était dans les toilettes des hommes du vestiaire des employés. Il s’était enlevé sa chemise et il se lavait le visage au lavabo. Une égratignure profonde lui traversait la joue gauche. Le côté inférieur droit de sa mâchoire était rouge, contusionné et commençait à gonfler. Murph l’avait salement cogné à cet endroit.
Luke avait les jointures des doigts à vif et déchirées. Les plaies étaient ouvertes et le sang coulait encore un peu. Il avait lui-même envoyé quelques bons coups à Murphy.
Derrière lui, le grand Ed se profilait dans le miroir. Ed avait remis son blazer et avait entièrement l’apparence d’un professionnel élégant et accompli. Dans ce travail, Luke était supposé être le supérieur d’Ed. Il ne pouvait pas remettre sa propre veste de costume parce qu’elle s’était salie là où il l’avait jetée par terre.
— Allons-y, l’ami, dit Ed. Nous sommes déjà en retard.
— Je vais avoir une mine de déterré.
Ed haussa les épaules.
— La prochaine fois, fais comme moi. Garde un costume supplémentaire, plus une tenue décontractée de bureau, dans ton casier. C’est étonnant que je sois obligé de t’apprendre ça.
Luke avait remis son tee-shirt et commençait à boutonner sa chemise élégante.
— D’accord, mais qu’est-ce que je vais faire, maintenant ?
Ed secoua la tête, mais il souriait.
— C’est ce que les gens attendent de toi, de toute façon. Dis-leur que tu t’entraînais un peu au tae kwon do dans le parking pendant ta pause café.
Luke et Ed quittèrent le vestiaire et remontèrent vigoureusement l’escalier en béton pour se rendre à l’étage principal. La salle de conférence, que Mark Swann avait rendue aussi technologiquement avancée que possible, était au fond d’un couloir latéral étroit. Don avait tendance à l’appeler le centre de commandement, mais Luke sentait qu’il laissait un peu trop courir son imagination. Un jour, le terme serait peut-être adéquat.
Luke avait des crampes à l’estomac. Ces réunions étaient une nouvelle expérience pour lui et il avait du mal à s’y habituer. Don lui avait dit que ça viendrait.
Dans l’armée, les briefings étaient simples. Ils se déroulaient comme suit :
Voici l’objectif. Voici le plan d’attaque. Des questions ? Des suggestions ? OK, chargez le matériel.
Ces briefings-là ne se déroulaient jamais comme ça.
La porte de la salle de conférence était droit devant. Elle était ouverte. La salle était un peu petite et, s’il avait fallu y loger vingt personnes, l’endroit aurait rappelé une rame de métro bondée à l’heure de pointe. Ces réunions déstabilisaient Luke. Il y avait d’interminables discussions et des retards. La présence de tant de personnes le rendait claustrophobe.
Il y aurait forcément des huiles de plusieurs agences et leurs assistants en train de s’affairer. Les huiles insisteraient pour avoir leur mot à dire, les assistants saisiraient des messages sur leurs téléphones BlackBerry, rayeraient des notes sur des bloc-notes jaunes, entreraient et sortiraient, passeraient des appels téléphoniques urgents. Qui étaient ces gens ?
Luke passa le seuil, suivi de près par Ed. Les néons du plafond étaient brillants, aveuglants.
Il n’y avait personne dans la salle. En fait, pas vraiment personne, mais peu de gens. Cinq personnes, pour être précis. Avec Luke et Ed, ça ferait sept.
— Voici les hommes que nous attendions tous, dit Don Morris.
Il ne souriait pas. Don n’aimait pas attendre. Il avait l’air redoutable avec sa chemise élégante et son pantalon chic. Son langage corporel était détendu, mais son regard était perçant.
Un homme passa devant Luke. C’était un général quatre étoiles grand et mince qui portait un uniforme vert de cérémonie impeccable. Ses cheveux gris étaient coupés jusqu’au cuir chevelu. Sur son visage bien rasé, pas un poil ne traînait ; les poils savaient qu’il valait mieux éviter de le défier. Luke n’avait jamais rencontré l’homme, mais il le connaissait intimement. Cet homme faisait son lit en priorité tous les matins. Le lit était impeccable, mais il le vérifiait probablement quand même, juste pour être sûr.
— Agent Stone, agent Newsam, je suis le Général Richard Stark, du Comité des chefs d’États-majors interarmées.
— Général, c’est un honneur de vous rencontrer.
Luke lui serra la main puis l’homme passa à Ed.
— Nous sommes très fiers de ce que vous avez fait il y a un mois. Vous honorez tous les deux l’Armée des États-Unis.
Un autre homme se tenait là. C’était un homme qui perdait ses cheveux et qui avait peut-être la quarantaine. Il avait un gros ventre rond et de petits doigts boudinés. Son costume ne lui allait pas bien : il était trop serré aux épaules et à la taille. Il avait le visage pâteux et un nez bulbeux. En le voyant, Luke pensait à Karl Malden qui faisait une publicité télévisée sur la fraude aux cartes bancaires.
— Bonjour, Luke. Je suis Ron Begley de la Sécurité Intérieure.
Ils se serrèrent aussi la main. Ron ne mentionna pas l’opération du mois précédent.
— Enchanté, Ron.
Personne ne parla du visage de Luke. Ce fut un soulagement, même s’il était sûr que Don le lui reprocherait après la réunion.
— Asseyez-vous, messieurs, dit le général en désignant la table de conférence, les invitant gracieusement à s’asseoir à leur propre table.




