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“Parfait.” Finalement, un semblant de soulagement arriva. Il faisait confiance au médecin pour faire ce qu’il faudrait… ou du moins être en mesure de lui expliquer ce qui se passait dans sa tête. “Envoyez-moi les infos, et je vous retrouverai là-bas.”
“Entendu. Au revoir, Agent Steele.” Guyer raccrocha, et Zéro s’assit lourdement sur le bord de son lit. Ses mains tremblaient toujours et le sol de sa chambre était encombré de toute cette nostalgie éparpillée
Peut-être que c’était normal, se dit-il. Peut-être que le rêve m’a ébranlé et que ce n’était qu’un bref oubli au réveil. Peut-être que j’ai paniqué pour rien.
Bien sûr, il ne croyait pas vraiment à tous les mensonges qu’il pouvait se raconter.
Mais malgré ce qui se passait dans sa tête, il fallait que la vie continue. Il se força à se lever, à enfiler un jean et une chemise. Il remit les objets dans sa boîte, la ferma à clé et la remit sous le lit.
Dans la salle de bains, il se brossa les dents et se passa de l’eau froide sur le visage avant de traverser le couloir jusqu’à la cuisine, juste à temps pour voir Maya refermer la porte du four et mettre le minuteur.
Zéro fronça les sourcils. “Qu’est-ce que tu fais ?”
Elle haussa les épaules et repoussa les mèches sur son front. “Je mets juste la volaille dans le four.”
Il cligna des yeux. “Tu fais cuire la dinde ? C’est un truc que t’apprend West Point ?”
Maya esquissa un sourire. “Non.” Puis, elle brandit son téléphone. “Mais Google, si.”
“Bon… ok. Dans ce cas, je crois que je vais faire un peu de café.” Il fut à nouveau agréablement surpris de constater qu’elle en avait déjà fait couler. Maya avait toujours été aussi indépendante qu’intelligente. Mais, pour lui, son comportement était presque comme si elle essayait de reprendre du poil de la bête. Il ne put s’empêcher de se demander si elle se sentait aussi impuissante que lui au sujet de Sara. Peut-être était-ce sa façon de montrer son soutien.
Aussi, il décida de ne pas s’en mêler et de la laisser faire comme elle voulait. Il prit un tabouret au comptoir et but son café, essayant de chasser de sa tête ses désagréments du réveil. Quelques minutes plus tard, Sara débarqua dans la cuisine, encore en pyjama, les yeux à moitié ouverts, avec ses cheveux rouge-blonds ébouriffés.
“Bonjour,” dit joyeusement Maya.
“Joyeux Thanksgiving,” ajouta Zéro.
“Mmh,” marmonna Sara en se traînant jusqu’à la cafetière.
“Toujours pas du matin, hein, Pouêt-Pouêt ?” la taquina gentiment Maya.
Sara grommela autre chose, mais il vit l’ébauche d’un sourire sur ses lèvres en entendant son surnom d’enfance. Il sentit une chaleur le gagner intérieurement, et ce n’était pas seulement dû au café. C’était cette sensation dont il avait manqué depuis un certain temps, la sensation d’être vraiment à la maison.
Et puis, évidemment, son téléphone mobile sonna.
L’écran lui indiqua que c’était Maria qui appelait et il fit la grimace. Il avait oublié de lui envoyer l’heure et l’adresse pour venir aujourd’hui. Puis, il paniqua à nouveau. Ce n’était pas son genre d’oublier quelque chose comme ça. Était-ce un autre symptôme de son système limbique malade ? Et s’il ne l’avait pas vraiment oublié, mais que ça avait été éjecté de son esprit, tout comme le prénom de Kate ?
Calme-toi, s’ordonna-t-il. C’est juste une petite absence, rien de plus.
Il prit une profonde inspiration, puis répondit au téléphone. “Je suis vraiment désolé,” dit-il immédiatement. “J’étais censé t’envoyer un message, et ça m’est complètement sorti de la tête…”
“Ce n’est pas pour ça que j’appelle, Kent.” Maria avait l’air grave. “Et c’est moi qui devrais m’excuser, parce que j’ai besoin que tu viennes.”
Il fronça les sourcils. Maya le remarqua et imita son expression, alors qu’il se levait de son tabouret pour s’éloigner dans la pièce adjacente. “Que je vienne ? Tu veux dire à Langley ?”
“Oui, je suis désolée. Je sais que le moment ne pourrait pas être plus mal choisi, mais j’ai un problème et il faut que tu assiste à ce briefing.”
“Je…” Sa première idée fut de refuser catégoriquement. Non seulement, c’était un jour férié, et non seulement il gérait toujours la convalescence de Sara, mais Maya lui rendait visite pour la première fois depuis longtemps. Et il ne parlait même pas de sa profonde inquiétude au sujet de cette terrifiante perte de mémoire. Aussi, Maria avait raison : ça ne pouvait pas plus mal tomber.
Il faillit lâcher, “Je dois vraiment venir ?” mais il tint sa langue par peur que les mots ne sortent sur un ton trop énervé.
“Je n’ai pas envie de faire ça plus que toi,” dit Maria avant qu’il n’ait eu le temps de réfléchir à un moyen de refuser. “Et je ne veux vraiment pas abuser de ma position.” Zéro comprit clairement cette phrase-là : Maria lui rappelait qu’elle était sa boss à présent. “Mais je n’ai pas le choix, ça ne vient pas de moi. Le Président Rutledge t’a demandé personnellement.”
“Il m’a demandé, moi ?” répéta Zéro d’un air étonné.
“Eh bien, il a demandé ‘l’homme qui a dévoilé l’affaire Kozlovsky,’ donc c’est à peu près ça…”
“Il parlait peut-être d’Alan,” suggéra Zéro avec un infime espoir.
Maria rigola doucement, même si ça sortit plus comme un léger soupir. “Je suis désolée, Kent,” dit-elle pour la troisième fois. “Je vais essayer de faire en sorte que le briefing soi court, mais…”
Mais ça veut dire que je vais être envoyé sur le terrain. Le message sous-jacent était clair comme le jour. Et le pire, c’était qu’il n’avait aucune excuse ou alibi pour décliner. Il était sous le joug de la CIA à cause de ce qu’il avait fait, maintenant plus que jamais, et il ne pouvait pas vraiment dire non au président qui était, sans aucun conteste, le boss du boss de sa boss.
“Ok,” concéda-t-il. “Donne-moi trente minutes.” Il raccrocha et gémit doucement.
“C’est bon.” Il se retourna d’un coup, et vit que Maya se tenait juste derrière lui. L’appartement n’était pas assez grand pour que cet appel ait été discret, et il était sûr qu’elle avait pu deviner la nature de la conversation, même en n’ayant entendu que ses paroles à lui. “Va faire ce que tu dois faire.”
“Ce que je dois faire,” dit-il fermement, “c’est rester ici avec Sara et toi. C’est Thanksgiving, nom de dieu…”
“Apparemment, tout le monde n’a pas eu l’info.” Elle faisait la même chose qu’il avait tendance à faire, à savoir noyer le poisson avec un peu d’humour. “C’est bon. Sara et moi allons nous occuper du dîner. Reviens dès que tu pourras.”
Il acquiesça, reconnaissant pour sa compréhension, alors qu’il aurait voulu en dire plus. Mais, finalement, il se contenta de murmurer “Merci” et se dirigea dans sa chambre pour changer de vêtements. Il n’y avait rien de plus à dire, car Maya savait tout aussi bien que lui que sa journée finirait certainement à bord d’un avion, plutôt qu’en train de fêter Thanksgiving avec ses filles.
CHAPITRE SIX
Quiconque songeant à l’expression “L’Amérique du Centre,” aurait des images en tête extrêmement proches de ce qu’on pouvait trouver à Springfield, Kansas. C’était une ville entourée de terres agricoles en pente douce, un endroit où le nombre de vaches dépassait celui des habitants, tellement bas qu’on pouvait rouler longtemps avant de rencontrer âme qui vive. Certains auraient trouvé l’endroit idyllique, d’autres l’auraient qualifié de charmant.
Samara le trouvait dégoûtant.
Il y avait quarante-et-une communes et villes aux États-Unis qui s’appelaient Springfield, ce qui rendait non seulement cette ville banale, mais particulièrement mal inspirée. Sa population était d’environ huit-cents personnes. Sa rue principale était constituée d’un bureau de poste, d’un bar et grill, d’une épicerie, d’une pharmacie et d’un magasin d’alimentation.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, c’était l’endroit idéal.
Samara tira ses cheveux roux flamboyants en arrière et les attacha en queue de cheval, exposant ainsi le petit tatouage sur sa nuque, le simple et unique caractère signifiant “feu” qui se translittérait en Pinyin par Huŏ, le surnom qu’elle avait pris depuis sa défection.
Elle s’appuya contre le camion et entreprit d’examiner ses ongles en attendant le moment venu. Elle pouvait entendre la musique se rapprocher, alors que des adolescents et des jeunes adultes jouaient faux en essayant de suivre le rythme d’une caisse claire. Ils seraient bientôt à son niveau.
Derrière elle, dans la zone de chargement du camion, se trouvaient quatre hommes avec l’arme. L’attaque à La Havane s’était étonnement bien passée, facilement même. Avec un peu de chance, les gouvernements de Cuba et des USA penseraient qu’il s’était agi d’un coup d’essai, alors que leur arme avait déjà été totalement testée. Le but de l’attaque à La Havane était bien plus que ça : il s’agissait d’introduire le chaos, de semer la zizanie, de présenter l’illusion d’un avertissement qui faisait se gratter les têtes et se questionner les puissances de ce monde.
Non loin d’elle, Mischa était assise sur le trottoir derrière le camion coloré, arrachant paresseusement les mauvaises herbes qui s’étaient frayé un chemin à travers les fissures de la chaussée. Cette fille de douze ans était généralement calme, consciencieusement silencieuse et délicieusement mortelle. Elle portait un jean, des sneakers blanches et, c’en était presque drôle, un sweatshirt bleu à capuche avec le mot BROOKLYN imprimé en lettres blanches sur le devant.
“Mischa.” La fille leva ses yeux verts ternes et passifs. Samara tendit son poing fermé, et la fille ouvrit la main. “Il est bientôt l’heure,” lui dit Samara en russe, alors qu’elle déposait deux objets dans sa petite paume : des oreillettes électroniques spécialement conçues pour contrecarrer une fréquence particulière.
L’arme en elle-même était banale, et même laide. En la voyant, la plupart des gens n’auraient pas su ce que c’était et auraient eu du mal à croire qu’un tel objet soit une arme… ce qui ne faisait que jouer en leur faveur. La fréquence était émise par un large disque de métal d’un mètre de diamètre et de plusieurs centimètres d’épaisseur, produisant des ondes sonores ultra-basses dans un cône unidirectionnel. Le plus puissant de ses effets se produisait sur une portée d’environ cent mètres, mais les effets délétères de l’arme pouvaient être ressentis jusqu’à trois-cents mètres de distance. Le lourd disque était monté sur un dispositif pivotant qui non seulement le maintenait droit comme une antenne parabolique, mais qui lui permettait aussi de tourner dans n’importe quel sens. Le dispositif était à son tour soudé à un chariot en acier équipé de quatre roues épaisses, contenant également la batterie lithium-ion qui alimentait l’arme. La batterie à elle seule pesait trente kilogrammes et, en incluant le chariot, l’arme supersonique pesait cent-trente-six kilos, raison pour laquelle ces armes étaient généralement montées sur des bateaux ou sur des Jeeps.
Mais fixer leur arme à un véhicule l’aurait rendue bien moins mobile et bien moins discrète, raison pour laquelle il y avait quatre hommes dans le camion. Chacun d’eux était un mercenaire surentraîné mais, pour elle, ils n’étaient bons qu’à déplacer l’arme. Si celle-ci avait été plus légère et plus maniable, Samara et Mischa auraient pu gérer cette opération elles-mêmes, elle en était persuadée. Mais elles devaient travailler avec les moyens du bord, et l’arme était aussi compacte que possible par rapport à sa grande puissance.
Samara avait été légèrement préoccupée par la logistique mais, jusqu’ici, ils n’avaient rencontré aucun souci. Immédiatement après l’attaque à La Havane, ils avaient chargé l’arme à l’aide d’une rampe sur un bateau qui les avait conduits au Nord, jusqu’à Key West. Au petit aérodrome, ils l’avaient rapidement transférée dans un avion-cargo de taille moyenne qui les avait emmenés à Kansas City. Tout avait été organisé des semaines plus tôt, acheté et payé. Maintenant, tout ce qu’ils avaient à faire était de mettre leur plan minutieux à exécution.
Samara s’avança de manière naturelle jusqu’au croisement, tandis que la musique de la fanfare en marche augmentait. Elle était en vue maintenant, et avançait à sa rencontre. Le camion était garé sur le trottoir devant l’épicerie, à deux voitures de distance de l’angle où des cônes orange bloquaient la route pour le trajet de la parade.
Samara avait fait ses recherches. L’Université de Springfield faisait une parade chaque année, le jour de Thanksgiving, menée par cette fanfare mobile qui suivait un circuit sur trois kilomètres en partant du parc local et en traversant la ville avant de retourner au lieu de départ. Au premier rang de la parade se trouvait un groupe frappant sur des tambours avec des majorettes agitant en rythme les bâtons dans leurs poings. Derrière eux, suivait la minuscule équipe de football de l’université et leur bande de pom-pom girls. Ensuite, venait un cabriolet avec le maire de Springfield et sa femme. Derrière eux se trouvaient la caserne de pompiers locale. Pour fermer la marche, il y avait des membres de la faculté et l’association d’athlétisme.
Tout ceci était tellement américain que c’en était écœurant.
“Mischa,” répéta Samara. La fille hocha la tête et fourra les oreillettes électroniques dans ses oreilles. Elle se releva du trottoir et se mit en position près de la cabine du camion, appuyée contre la portière côté conducteur pour éviter la portée de la fréquence.
Samara détacha la radio à sa ceinture. “Deux minutes,” dit-elle dedans en russe. “Allumez-la.” Elle avait elle-même appris le russe à l’équipe, insistant pour que ce soit la seule langue qu’ils parlent en public.
Un vieil homme avec un sweat polaire fronça les sourcils en passant à côté d’elle : entendre quelqu’un parler russe à Springfield, Kansas, était à peu près aussi étrange que d’entendre un chien Shar-Pei parler cantonais. Samara lui jeta un regard mauvais, et il se dépêcha d’avancer jusqu’au croisement pour observer la parade.
On aurait dit que la ville entière était sortie pour l’événement. Des chaises de jardin étaient alignées le long des trottoirs et les enfants attendaient avec impatience de rattraper les bonbons qui seraient jetés des seaux par poignées.
Samara jeta un coup d’œil à la fille par-dessus son épaule. Parfois, elle se demandait s’il restait la moindre réminiscence de son enfance en elle, si elle observait les autres enfants avec envie ou s’ils étaient des aliens pour elle. Mais les yeux de Mischa restaient froids et distants. S’il y avait le moindre doute derrière eux, elle était devenue experte dans l’art de le cacher.
La fanfare tourna à l’angle, avec force klaxons et roulements de tambours, de dos à Samara et au camion, alors qu’elle descendait la rue. Des jeunes en maillot suivaient à pied. C’était l’équipe de football de l’université qui jetait des bonbons à la foule. Les gamins se précipitèrent et s’accroupirent en groupes pour les ramasser, comme des charognards sur une carcasse.
Un minuscule objet vola vers Samara et atterrit près de ses pieds. Elle le ramassa précautionneusement à deux doigts. C’était un Tootsie Roll. Elle ne put s’empêcher de sourire ironiquement. Quelle tradition incroyablement bizarre que les jeunes des pays riches se bousculent les uns les autres pour récupérer les bonbons les moins chers qui soient, jetés n’importe comment sur la chaussée.
Samara rejoignit Mischa près de la cabine du camion, l’extrémité tournant le dos à la parade et à ses spectateurs. Elle lui tendit un bonbon. Un éclair d’intérêt passa sur le jeune visage passif de Mischa en le prenant.
“Spasiba,” murmura la fille. Merci. Mais au lieu de déballer le papier et de le manger, elle le fourra dans la poche de son jean. Samara l’avait bien formée. Elle aurait sa récompense quand elle la mériterait.
Samara porta de nouveau la radio à ses lèvres. “Lancez dans trente secondes.” Elle n’attendit pas la réponse, et mit ses oreillettes, entendant un sifflement doux, mais aigu dans ses oreilles. Les quatre hommes dans l’espace de chargement du camion la déclencheraient de là. Ils n’avaient pas besoin d’exposer l’arme, ni même d’ouvrir la porte à l’arrière du camion. La fréquence ultrasonique était capable de traverser l’acier, le verre, et même la brique qui altérait toutefois légèrement son efficacité.
Samara croisa les bras et resta debout à côté de Mischa, faisant le compte à rebours dans sa tête. Elle ne pouvait plus entendre la fanfare ou les applaudissements des spectateurs. Elle n’entendait que le sifflement électronique des oreillettes. C’était étrange de voir tant de monde mais de ne rien entendre, comme une télévision quand on appuie sur muet. Pendant un moment, elle songea à cet adage ridicule : Si un arbre tombe dans la forêt et que personne n’est là pour l’entendre, fait-il tout de même un bruit ? Leur arme ne faisait aucun bruit. La fréquence était trop basse pour être détectée par le spectre de l’audition humaine. Mais ils tomberaient quand même.
Samara n’entendait plus la musique et la foule, et elle n’entendit pas non plus les cris quand ça commença. Mais quelques instants après que son compte à rebours eut atteint zéro, elle vit des corps tomber sur l’asphalte. Elle vit les habitants de Springfield, Kansas, paniquer, fuir, se piétiner les uns les autres comme tous ces enfants se ruant sur les bonbons. Certains d’entre eux se tordirent, plusieurs vomirent. Les instruments tombèrent au sol et les bonbons s’éparpillèrent par terre. À moins de vingt-cinq mètres d’elles, un joueur de football tomba à genoux et se mit à cracher du sang.
Il y avait une telle beauté dans ce chaos. Toute l’existence de Samara avait été basée sur le régime, le protocole, l’exercice… Et pourtant, peu de gens savaient comme elle à quel point tout ça n’était pas fiable quand le chaos pointait le bout de son nez de manière imprévisible. Dans ce genre de situation, seuls les instincts comptaient. C’était alors que les gens prenaient véritablement conscience d’eux-mêmes et de quoi ils étaient capables. Dans le chaos qui se déroulait silencieusement devant ses yeux, des membres d’une même famille piétinaient ceux qu’ils aimaient. Les maris et les femmes s’abandonnaient pour s’auto-préserver. La confusion régnait. Des corps étaient renversés. La foule allait finir par causer plus de dommages que l’arme en elle-même.
Mais ils ne pouvaient pas traîner là. Elle fit un signe à Mischa, qui contourna la cabine du camion et grimpa côté passager, tandis que Samara prenait le volant et mettait la clé dans le contact. Mais elle ne démarra pas tout de suite. Ils allaient attendre une minute de plus… assez longtemps pour que les conséquences de l’attaque soient considérées comme véritablement dévastatrices et laisser ceux qui voudraient les poursuivre totalement perplexes quant au choix de Springfield, Kansas.
CHAPITRE SEPT
Zéro pénétra dans le Centre du Renseignement George Bush, le quartier général de la CIA dans la communauté non incorporée de Langley en Virginie. Il s’avança sur l’onéreux sol en marbre, ses pas faisant écho alors qu’il foulait le grand emblème circulaire, un bouclier et un aigle en blanc et gris, entourés des mots “Central Intelligence Agency, United States of America,” et il se dirigea tout droit vers les ascenseurs.
Il n’y avait presque personne, seulement quelques gardes de sécurité et assistants administratifs bossant sur de la paperasse. Il était toujours fortement agacé d’avoir été appelé, d’avoir été obligé de laisser ses filles un jour de fête, et il espérait que le briefing, comme le suggérait son nom, serait bref.
Mais il ne comptait pas parier là-dessus.
“Tiens-moi la porte,” héla une voix familière, alors que Zéro appuyait sur le bouton du sous-sol où la réunion allait se tenir. Il tendit la main pour empêcher les portes de se refermer et, l’instant d’après, l’Agent Todd Strickland arriva à son niveau. “Merci, Zéro.”
“Tu as été appelé aussi, hein ?”
“Ouais.” Strickland secoua la tête. “Juste quand je partais pour l’hôpital des vétérans.”
“Tu allais passer Thanksgiving avec les vétérans ?”
Strickland hocha la tête d’un air distant que Zéro prit comme un signe indiquant qu’il n’avait pas envie d’en parler. Todd Strickland avait à peine trente ans, bien musclé avec un cou épais, arborant toujours la coupe de cheveux militaire qu’il avait portée pendant qu’il était à l’armée. Ses yeux vifs, ses traits charmants et ses joues bien rasées lui donnaient un air juvénile et avenant, mais Zéro savait que derrière cette façade se trouvait une force à ne pas négliger, l’un des meilleurs Rangers qu’il avait vus. Todd avait passé presque quatre ans de sa jeune existence à traquer des insurgés à travers les déserts du Moyen Orient, dormant dans le sable, pénétrant dans des grottes, et menant des raids sur des bases. C’était un combattant de la tête aux pieds, mais il avait pourtant réussi à garder une compassion qui était toute aussi forte que son sens du devoir.
“Tu as une idée de pourquoi ils nous ont convoqués ?” demanda Zéro pendant que les portes de l’ascenseur s’ouvraient.
“À mon avis, c’est à cause de l’attaque à La Havane de la nuit dernière.”
“Il y a eu une attaque à La Havane la nuit dernière ?”
Strickland émit un petit rire. “Tu ne regardes jamais les infos ?” Ils avancèrent dans le couloir vide. On aurait dit que tous les gens qui bossaient à Langley profitaient chez eux, en famille, de ce jour férié… sauf eux, bien sûr.
“J’ai été légèrement occupé ces derniers temps,” répondit Zéro.
“En parlant de ça, comment vont les filles ?” Strickland n’était pas un étranger pour Maya et Sara. Quand la vie des filles avait été menacée par un assassin psychopathe, le jeune agent avait fait vœu de garder un œil sur elles, que Zéro soit dans les parages ou pas. Jusqu’ici, il avait tenu parole.
“Elles…” Il allait répondre simplement “elles vont bien,” mais il s’interrompit. “Elles grandissent. Putain, elles sont déjà grandes en fait.” Zéro soupira. “Mais pour être honnête, si on est envoyés quelque part aujourd’hui, je ne sais pas ce que je vais faire au sujet de Sara. Je ne crois pas qu’elle aille assez bien pour la laisser seule.”
Strickland s’arrêta, alors qu’ils atteignaient les portes fermées de la salle de conférence derrière lesquelles le briefing aurait lieu. Mais au lieu de les ouvrir, il attrapa quelque chose dans la poche arrière de son jean. “Je pense la même chose que toi.” Il tendit une carte de visite à Zéro.
Ce dernier fronça les sourcils. “C’est quoi ?” La carte était simple, couleur ivoire, avec un site internet, un numéro de téléphone et le nom “Centre de Convalescence Seaside House ” inscrits en relief.
“Je connais un endroit à Virginia Beach,” expliqua Strickland, “où des gens dans son cas peuvent aller pour… récupérer. J’y ai moi-même passé quelques semaines, il y a longtemps. L’équipe est super, ils pourront l’aider.”
Zéro acquiesça lentement, un peu pris au dépourvu que tout le monde semble voir les choses ainsi, sauf lui. Maya lui avait déjà dit que Sara avait besoin d’une aide professionnelle, et ça paraissait évident pour Todd aussi. Il savait exactement ce qui l’avait aveuglé : il voulait être capable de l’aider lui-même. Il voulait être celui qui la tirerait d’affaire. Mais il savait déjà au fond de lui qu’elle avait besoin de plus que ce qu’il pouvait lui offrir.
“J’espère que je ne dépasse pas les bornes,” poursuivit Todd. “Mais, euh… je les ai appelés pour m’assurer qu’ils avaient de la place. Ils ont une place pour elle, si elle veut.”
“Merci,” murmura Zéro. Il ne savait pas quoi dire d’autre. Ce n’était sûrement pas dépasser les bornes que de faire quelque chose que Zéro n’aurait certainement pas résolu de faire lui-même. Il mit la carte dans sa poche et fit un geste pour désigner la porte. “Après toi.”
Il avait assisté à un paquet de briefings durant sa carrière d’agent de la CIA, et il n’y en avait pas deux pareils. Ils étaient parfois pleins de monde et chaotiques, avec des représentants des agences de coopération et des visioconférences avec des experts sur le sujet abordé. D’autres fois, ils étaient petits, discrets et confidentiels. Et même s’il était certain que celui-ci se déroulerait ainsi, il fut tout de même surpris en entrant dans la salle de n’y trouver qu’une seule personne assise à table, avec une simple tablette devant elle.
Strickland semblait également étonné, car il demanda, “On est en avance ou quoi ?”
“Non,” dit Maria en se levant. “Pile à l’heure. Asseyez-vous.”





