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“Je ne m’appelle pas Renault,” dit le jeune homme. “Je m’appelle Cheval, Adrien Cheval. Il y a bien eu un Renault, un étudiant d’université qui a été pris pour cet internat. Il est mort maintenant. C’est sa transcription et sa thèse que vous avez lues.”
Les yeux injectés de sang de Cicero s’élargirent encore. Les bords de sa vision devenaient sombres et brumeux, alors qu’il menaçait de perdre connaissance. “Je ne… je ne comprends pas… pourquoi ?”
“Dr. Cicero, s’il vous plaît. Retirez le respirateur. Si vous devez mourir, ne préférez-vous pas le faire avec un peu de dignité ? En regardant le soleil, plutôt que derrière un masque ? Si vous perdez connaissance, je vous assure que vous ne vous réveillerez jamais.”
Avec des doigts tremblants, Cicero leva lentement le bras et retira la capuche jaune serrée sur ses cheveux blancs. Puis, il attrapa le respirateur et le masque pour les retirer. La sueur qui avait perlé sur son front se figea instantanément et gela.
“Je veux que vous sachiez,” dit le français, Cheval, “que je vous respecte vraiment, ainsi que votre travail, Cicero. Je ne prends aucun plaisir à faire ça.”
“Renault, ou Cheval, qui que vous soyez, écoutez la voix de la raison.” Une fois le respirateur enlevé, Cicero regagna assez de ses facultés pour pouvoir faire son plaidoyer. Il ne pouvait y avoir qu’une seule motivation chez le jeune homme face à lui pour commettre une telle atrocité. “Peu importe ce que vous prévoyez de faire avec ça, je vous prie de bien réfléchir. C’est extrêmement dangereux…”
Cheval soupira. “J’en suis conscient, Docteur. Vous savez, j’étais moi-même étudiant à l’Université de Stockholm et j’étais réellement en doctorat. Cependant, j’ai commis une erreur l’an dernier. J’ai imité des signatures de professeurs sur un formulaire de demande afin d’obtenir les échantillons d’un entérovirus rare. Ils l’ont découvert et j’ai été renvoyé.”
“Alors… alors laissez-moi vous aider,” implora Cicero. “Je-je peux signer une telle demande. Je peux vous aider dans vos recherches. N’importe quoi, mais ça…”
“Recherches,” se moqua tranquillement Cheval. “Non, Docteur. Il ne s’agit pas de recherches. Les miens attendent et ce ne sont pas des hommes patients.”
Les yeux de Cicero lançaient des éclairs. “Rien de bon ne découlera de tout ça. Vous le savez bien.”
“Vous avez tort,” rétorqua le jeune homme. “Beaucoup mourront, c’est vrai. Mais ils mourront noblement, pour tracer la voie d’un avenir meilleur.” Cheval détourna le regard. Il n’avait pas envie de tirer sur ce gentil vieux docteur. “Vous aviez raison à propos d’une chose, toutefois. Ma Claudette : elle existe. Et l’absence rend effectivement mon cœur plus tendre. Maintenant, je dois y aller, Cicero, et vous aussi par conséquent. Mais je vous respecte et je souhaite vous accorder un dernier vœu. Y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez dire à votre Phoebe ? Vous avez ma parole que je lui transmettrai le message.”
Cicero secoua lentement la tête. “Je n’ai rien d’assez important à lui dire qui justifierait de mettre un monstre comme vous sur son chemin.”
“Très bien. Au revoir, Docteur.” Cheval leva le PA-15 et tira un seul coup dans le front de Cicero. La blessure gela, le temps que le docteur titube et s’effondre sur le sol de la toundra.
Dans le silence étrange qui suivit, Cheval prit un moment pour s’agenouiller et murmurer une courte prière. Ensuite, il se mit à l’œuvre.
Il nettoya ses empreintes et la poudre sur l’arme, puis la balança dans les flots de la rivière glaciale Kolyma. Ensuite, il fit rouler les quatre corps dans le trou pour qu’ils rejoignent le Dr. Scott. À l’aide d’une pelle et d’une pioche, il passa quatre-vingt-dix minutes à les recouvrir, ainsi que le bras décomposé mis à jour, avec de la terre partiellement gelée. Il démantela le site de fouilles, retirant les poteaux et arrachant le ruban jaune du périmètre. Il prit son temps, travaillant méticuleusement : personne ne tenterait de contacter l’équipe de recherche dans les huit à douze heures qui viendraient, et il faudrait au moins vingt-quatre bonnes heures avant que l’OMS n’envoie quelqu’un sur le site. Il y aurait certainement une enquête et les corps enterrés seraient découverts, mais Cheval n’avait pas envie de leur faciliter la tâche.
Pour finir, il s’empara des flacons en verre qui contenaient les échantillons du bras en décomposition et les fit soigneusement glisser, un à un, dans les tubes sécurisés en mousse de la boîte en acier inoxydable, pleinement conscient à chaque instant qu’un seul d’entre eux avait le pouvoir d’être extrêmement mortel. Puis, il referma les quatre crochets de la boite et rapporta les échantillons au campement.
Dans la salle blanche improvisée, Cheval entra dans la douche de décontamination portable. Six buses le pulvérisèrent sous tous les angle avec de l’eau bouillante et un émulsifiant intégré. Quand ce fut fini, il retira méthodiquement et soigneusement l’équipement de protection jaune, l’abandonnant au sol de la tente. Il était possible que des cheveux ou de la salive, permettant de l’identifier, soient restés dans la combinaison, mais il avait une dernière tâche à accomplir.
À l’arrière de la jeep tout-terrain de Cicero, se trouvaient deux jerricanes d’essence rouges et rectangulaires. Il ne lui en faudrait qu’un seul pour rejoindre la civilisation à nouveau. Il déversa entièrement l’autre sur la salle blanche, sur les quatre tentes en néoprène et sur l’auvent de toile.
Ensuite, il alluma le feu. L’incendie prit tout de suite et monta rapidement, envoyant rouler une fumée noire et huileuse vers le ciel. Cheval grimpa à bord de la jeep avec la boîte d’échantillons en acier et s’éloigna des lieux. Il ne se pressa pas et ne regarda pas dans le rétroviseur pour voir le site brûler. Il prit son temps.
L’Imam Khalil allait attendre. Mais le jeune français avait encore beaucoup à faire avant que le virus ne soit prêt.
CHAPITRE UN
Reid Lawson regarda par la fenêtre du bureau de chez lui pour la dixième fois en moins de deux minutes. Il commençait à se sentir nerveux : le bus aurait déjà dû arriver.
Son bureau se trouvait à l’étage, dans la plus petite des trois chambres de leur nouvelle maison de Spruce Street à Alexandria, en Virginie. C’était un changement bienvenu par rapport à la petite pièce exiguë qui lui servait de bureau quand ils vivaient dans le Bronx. Il avait déballé la moitié de ses affaires, le reste étant encore dans des cartons posés au sol, un peu partout dans la pièce. Il avait monté ses étagères, mais ses livres restaient pour l’heure empilés au sol, par ordre alphabétique. Les seules choses qu’il avait pris soin de monter et d’organiser totalement étaient son meuble de bureau et son ordinateur.
Reid s’était dit qu’il allait finalement s’en occuper aujourd’hui, près d’un mois après avoir emménagé, et finir de ranger son bureau.
Toutefois, il n’était pas allé plus loin que l’ouverture d’un carton. C’était toujours mieux que rien.
Le bus n’a jamais de retard, pensa-t-il. Il est toujours là entre quinze heures vingt-trois et quinze heures vingt-cinq. Il est quinze heures trente-et-une.
Je les appelle.
Il s’empara de son téléphone mobile sur le bureau et composa le numéro de Maya. Il fit les cent pas pendant qu’il sonnait, essayant de ne pas penser aux choses horribles qui avaient pu arriver aux filles entre l’école et la maison.
Il finit par tomber sur la messagerie vocale.
Reid se hâta de descendre l’escalier pour se diriger vers l’entrée, puis il enfila une veste légère. En Virginie, le climat du mois de mars était bien plus doux qu’à New York, mais encore un peu frais. Clés de voiture en main, il tapa le code de sécurité à quatre chiffres sur le panneau mural pour configurer le système d’alarme en mode “absent”. Il connaissait la route précise empruntée par le bus : il pourrait faire le chemin en sens inverse jusqu’au lycée si nécessaire, et…
Alors qu’il ouvrait la porte d’entrée, le bus jaune vif s’arrêta au bout de son allée.
“Grillé,” murmura Reid. Il ne pouvait pas vraiment retourner se cacher dans la maison. Elles l’avaient sans aucun doute repéré. Ses deux adolescentes sortirent du bus et remontèrent l’allée, s’arrêtant timidement devant la porte qu’il barrait à présent, alors que le bus était en train de repartir.
“Salut les filles,” dit-il aussi gaiement que possible. “Comment s’est passé l’école ?”
Son aînée, Maya, lui jeta un regard suspicieux en croisant les bras sur sa poitrine. “Tu allais où comme ça ?”
“Euh… j’allais juste chercher le courrier à la boîte aux lettres,” lui dit-il.
“Avec tes clés de voiture ?” Elle désigna son poing du doigt, dans lequel il tenait serrées les clés de son SUV gris métallisé. “Essaie encore.”
Oups, pensa-t-il. Grillé. “Le bus était en retard. Et vous savez ce que je dis : si vous avez du retard, vous devez m’appeler. Et pourquoi n’avez-vous pas répondu au téléphone ? J’ai essayé de vous appeler…”
“Six minutes, Papa.” Maya secoua la tête. “Six minutes, ce n’est pas du retard.’ Six minutes, c’est juste dû au trafic. Il y a eu un accrochage sur la route.”
Il fit un pas de côté pour les laisser entrer dans la maison. Sa plus jeune fille, Sara, lui fit un bref câlin en lui murmurant, “Salut, Papa.”
“Salut, ma puce.” Reid referma la porte à clés derrière eux et tapa de nouveau le code de l’alarme, avant de se retourner vers Maya. “Trafic ou pas, je veux être prévenu si vous devez avoir du retard.”
“Tu es névrosé,” murmura-t-elle.
“Pardon ?” Reid cligna des yeux, surpris. “Tu sembles confondre névrose et inquiétude.”
“Oh, je t’en prie,” rétorqua Maya. “Tu ne nous as pas quitté des yeux depuis des semaines. Pas une fois depuis que tu es rentré.”
Comme d’habitude, elle avait raison. Reid avait toujours été un père protecteur, et il l’était devenu encore plus depuis le décès de sa femme et de leur mère, Kate, survenu deux ans plus tôt. Mais, depuis ces quatre dernières semaines, il était devenu un véritable père hélicoptère, constamment en vol stationnaire et, s’il était tout à fait honnête envers lui-même, peut-être légèrement autoritaire.
Mais il n’était pas près de l’admettre.
“Ma chère et tendre enfant,” dit-il d’un air taquin, “à l’aube de l’âge adulte, tu vas devoir apprendre une vérité très dure à encaisser… à savoir que, parfois, tu as tort. Et là, tout de suite, tu as tort.” Il esquissa un sourire, mais pas elle. Il était dans sa nature de tenter de dissiper les tensions avec ses filles par de l’humour, mais Maya n’était pas dupe.
“Peu importe.” Elle se dirigea de l’entrée vers la cuisine. Elle avait seize ans et elle était sacrément intelligente pour son âge… parfois même, peut-être, trop intelligente pour son propre bien. Elle avait les cheveux bruns de Reid et son penchant pour les discours dramatiques mais, dernièrement, elle semblait avoir été contaminée par la propension qu’ont les adolescents à l’angoisse, tout du moins à la mauvaise humeur… découlant certainement d’un mélange entre les errements constants de Reid et l’absence évidente d’informations sur les événements qui étaient survenus le mois précédent.
Sara, la plus jeune des deux, monta à l’étage. “Je vais me mettre à mes devoirs,” dit-elle tranquillement.
Resté seul dans le couloir de l’entrée, Reid soupira et s’adossa contre le mur blanc. Il avait le cœur serré à cause de ses filles. Sara avait quatorze ans, était généralement gaie et douce, mais quand le sujet de ce qui s’était passé en février était abordé, elle devenait silencieuse ou quittait la pièce. Elle n’avait tout simplement pas envie d’en parler. À peine quelques jours plus tôt, Reid avait essayé de l’inciter à voir un thérapeute, une tierce personne neutre à qui elle pourrait parler. (Bien sûr, il faudrait que ce soit un docteur affilié à la CIA) Sara avait refusé d’un simple et succinct “non merci” et s’était dépêchée de quitter la pièce avant que Reid puisse prononcer un mot de plus.
Il détestait cacher la vérité à ses filles, mais c’était nécessaire. En dehors de l’agence et d’Interpol, personne ne devait connaître la vérité : à savoir que, depuis un peu plus d’un mois, il avait retrouvé une partie de ses souvenirs en tant qu’agent de la CIA sous le pseudonyme Kent Steele, également connu de ses pairs et de ses ennemis sous le nom d’Agent Zéro. Un suppresseur de mémoire expérimental dans sa tête lui avait fait complètement oublier Kent Steele et son métier d’agent pendant près de deux ans, jusqu’à ce que le dispositif soit retiré de son crâne.
La plupart de ses souvenirs en tant que Kent n’étaient toujours pas revenus. Ils étaient là, emprisonnés quelque part dans les tréfonds de son cerveau, coulant au goutte à goutte comme un robinet qui fuit, en général quand une stimulation visuelle ou orale les délivrait. Le retrait sauvage du suppresseur de mémoire avait causé un choc à son système limbique qui empêchait les souvenirs de revenir tout d’un coup… et Reid en était plutôt soulagé. En se basant sur le peu qu’il savait de sa vie en tant qu’Agent Zéro, il n’était pas sûr de vouloir se souvenir de tout. Sa plus grosse inquiétude était de se rappeler de quelque chose dont il ne voudrait pas se souvenir, un regret douloureux ou un acte horrible dont Reid Lawson aurait du mal à vivre en le sachant.
En outre, il avait été extrêmement occupé en permanence depuis les événements de février. La CIA l’avait aidé à reloger sa famille. À son retour aux États-Unis, il avait été envoyé avec ses filles à Alexandria, en Virginie, pas très loin de Washington, DC. L’agence l’avait également aidé à trouver un poste de professeur adjoint à l’Université de Georgetown.
Depuis, il avait été pris dans un tourbillon de choses à faire : inscrire les filles dans leur nouvelle école, s’acclimater à son nouveau boulot et déménager dans cette nouvelle maison en Virginie. Mais Reid y avait grandement contribué en s’occupant constamment l’esprit avec de nouvelles tâches qu’il se créait lui-même. Il avait repeint les pièces. Il avait amélioré la domotique. Il avait acheté de nouveaux meubles et de nouveaux vêtements pour l’école des filles. Il pouvait se le permettre : la CIA lui avait alloué une belle somme pour son implication à stopper l’organisation terroriste appelée Amon. C’était plus que son salaire annuel en tant que professeur. La somme lui était versée mensuellement pour éviter toute suspicion. Les chèques arrivaient sur son compte bancaire en tant que frais de consultation pour une fausse société d’édition censée créer une série de livres d’histoire à publier.
Entre l’argent et une bonne dose de temps libre (il ne donnait que quelques cours par semaine pour le moment), Reid essayait de s’occuper autant que possible. En effet, s’arrêter ne serait-ce qu’un petit moment signifiait penser. Et pensait signifiait réfléchir, non seulement à sa mémoire en morceaux, mais aussi à d’autres choses désagréables.
Comme les neuf noms qu’il avait mémorisés. Les neuf visages qu’il avait observés. Les neuf vies qui avaient été perdues à cause de son échec.
“Non,” murmura-t-il tout bas, seul dans le couloir d’entrée de leur nouvelle maison. “Ne t’inflige pas ça.” Il ne voulait pas se souvenir de ça maintenant. Aussi, il se dirigea vers la cuisine où Maya farfouillait dans le réfrigérateur pour trouver quelque chose à manger.
“Je crois que je vais commander des pizzas,” annonça-t-il. Comme elle ne répondait pas, il ajouta, “Qu’est-ce que tu en penses ?”
Elle referma le frigo en soupirant et s’adossa contre ce dernier. “Ça me va,” se contenta-t-elle de répondre. Puis, elle regarda autour d’elle. “La cuisine est plus jolie. J’adore la lucarne au plafond. La cour est plus grande aussi.”
Reid sourit. “Je parlais des pizzas.”
“Je sais,” répliqua-t-elle en haussant les épaules. “Mais comme on dirait que tu préfères éviter certains sujets ces derniers temps, je me suis dit que j’allais faire pareil.”
Il fut une nouvelle fois saisi par sa dureté. À plusieurs reprises, elle avait réclamé des informations sur ce qui lui était arrivé quand il avait disparu, mais il mettait toujours un terme à la conversation en insistant sur le fait que son histoire de couverture était la vérité, ce qui la mettait en colère car elle savait bien qu’il mentait. Ensuite, elle lâchait l’affaire pendant une semaine environ, avant que le cercle vicieux ne reprenne.
“Tu n’as pas besoin de te comporter ainsi, Maya,” dit-il.
“Je vais aller voir ce que fait Sara.” Maya tourna les talons et quitta la cuisine. L’instant d’après, il entendit ses pas dans l’escalier.
Il se pinça le bout du nez en guise de frustration. C’était dans des moments comme ça que Kate lui manquait le plus. Elle avait toujours su exactement quoi dire. Elle aurait su comment gérer deux adolescentes ayant subi ce qu’elles avaient subi.
Sa volonté de continuer à mentir était en train de faiblir. Il n’en pouvait plus de réciter son histoire de couverture encore et encore, celle que la CIA lui avait intimé de raconter à sa famille et à ses collègues sur la raison pour laquelle il avait disparu pendant une semaine entière. Cette histoire racontait que des agents fédéraux étaient venus frapper à sa porte pour lui demander de l’aide dans une affaire importante. En tant que professeur pour l’Ivy League, Reid était l’unique personne pouvant les aider dans leurs recherches. Pour ses filles, il avait passé la majeure partie de cette semaine-là dans des salles de réunion à consulter des livres et à scruter un écran d’ordinateur. C’était tout ce qu’il avait le droit de dire et il n’était pas autorisé à leur fournir de plus amples détails.
Il ne pouvait certainement pas leur parler de son passé dans la clandestinité en tant qu’Agent Zéro, ni leur dire qu’il avait aidé à empêcher Amon de bombarder le Forum Économique Mondial de Davos, en Suisse. Il ne pouvait pas leur raconter qu’il avait tué lui-même plus d’une dizaine de personnes en l’espace de seulement quelques jours, ni que chacun d’entre eux étant connu pour être terroriste.
Il devait s’en tenir à sa vague histoire de couverture, non seulement pour le bien de la CIA, mais aussi pour la sécurité de ses filles. Alors qu’il était parti dans une course folle à travers l’Europe, ses deux filles avaient été forcées de fuir New York, livrées à elles-mêmes pendant plusieurs jours, avant d’être récupérées par la CIA et conduites en lieu sûr. Elles avaient failli être enlevées par deux fanatiques d’Amon, une pensée qui hérissait encore les poils sur la nuque de Reid, parce que ça voulait dire que ce groupe terroriste avait des membres aux États-Unis. Et cela jouait certainement sur sa nature surprotectrice ces derniers temps.
On avait dit aux filles que les deux hommes qui avaient essayé de les embarquer étaient membres d’un gang local qui kidnappait des enfants dans le secteur. Sara semblait plutôt sceptique quant à cette histoire, mais elle avait accepté cette version en se disant que son père ne lui mentirait pas sur une chose pareille (ce qui, bien sûr, rendait Reid encore plus mal). Cette situation, ainsi que son aversion totale pour ce sujet, faisaient qu’il était plus facile pour elle d’éluder le problème et d’avancer dans la vie.
Maya, de son côté, était plus que dubitative. Elle était non seulement assez intelligente pour en savoir plus, mais elle avait également été en contact avec Reid par Skype durant cette épreuve et avait apparemment recueilli assez d’informations de son côté pour émettre quelques hypothèses. Elle avait elle-même assisté à la mort des deux radicaux abattus par l’Agent Watson et n’était plus tout à fait la même depuis.
Reid ne savait vraiment pas quoi faire, à part essayer de continuer à mener une vie aussi normale que possible.
Reid prit son téléphone portable et appela la pizzeria du haut de la rue, passant commande pour deux pizzas moyennes : une quatre fromages (la préférée de Sara), puis une autre aux saucisses et aux poivrons verts (la préférée de Maya).
Alors qu’il raccrochait, il entendit de nouveau des pas dans l’escalier. C’était Maya qui retournait à la cuisine. “Sara fait la sieste.”
“Encore ?” Sara dort beaucoup la journée ces derniers temps. “Elle ne dort pas la nuit ou quoi ?”
Maya haussa les épaules. “Je ne sais pas. Tu devrais peut-être lui demander.”
“J’ai essayé. Mais elle ne me dira rien.”
“Peut-être que c’est parce qu’elle ne comprend pas ce qui s’est passé,” suggéra Maya.
“Je vous ai déjà expliqué ce qui s’était passé.” Ne me faites pas raconter ça encore une fois, pensa-t-il, désespéré. S’il vous plaît, ne me forcez pas à vous mentir encore, droit dans les yeux.
“Peut-être qu’elle a peur,” insista Maya. “Peut-être qu’elle sait que son père, en qui elle est censée avoir confiance, lui ment…”
“Maya Joanne,” coupa Reid, “je te conseille de bien choisir les mots que tu emploies…”
“Et peut-être qu’elle n’est pas la seule !” Maya n’avait pas l’air de vouloir en rester là. Pas cette fois. “Peut-être que j’ai peur, moi aussi.”
“Nous sommes en sécurité ici,” lui répondit fermement Reid, essayant de paraître convainquant, même s’il n’y croyait pas vraiment lui-même. Un mal de tête était en train de se former à l’avant de son crâne. Il attrapa un verre dans le placard et le remplit d’eau fraîche au robinet.
“Ouais, comme nous pensions être en sécurité à New York,” répliqua Maya. “Peut-être que si nous savions ce qui s’est passé et dans quoi tu as réellement été impliqué, les choses seraient plus simples. Mais ce n’est pas le cas.” Qu’importe que ce soit dû à son incapacité à les laisser seule ne serait-ce que vingt minutes ou à ses propres suspicions sur ce qui s’était passé : elle voulait des réponses. “Tu sais très bien ce que nous avons subi. Mais nous, nous n’avons aucune idée de ce qui t’es arrivé !” Elle criait presque à présent. “Où tu es allé, ce que tu as fait, comment tu t’es blessé…”
“Maya, je te jure…” Reid posa le verre sur le comptoir et leva un doigt en guise d’avertissement à son attention.
“Jurer quoi ?” aboya-t-elle. “De dire la vérité ? Alors vas-y, dis-moi !”
“Je ne peux pas te dire la vérité !” hurla-t-il. En disant ces mots, il écarta les bras sur les côtés, l’une de ses mains faisant involontairement voler le verre du comptoir.
Reid n’eut pas le temps de réfléchir. Ses instincts prirent le dessus et, dans un geste rapide et souple, il tomba à genoux et rattrapa le verre dans les airs avant qu’il ne s’écrase au sol.
Il regretta immédiatement son geste, alors que l’eau se balançait dans le verre, une seule goutte s’en étant échappée.
Maya l’observait, les yeux écarquillés, même s’il n’aurait su dire si elle était surprise à cause de ses mots ou de ses actes. C’était la première fois qu’elle le voyait agir ainsi… et la première fois aussi qu’il reconnaissait à voix haut que ce qu’il leur avait dit n’était peut-être pas vraiment ce qui s’était produit. Peu importe qu’elle en soit déjà consciente ou qu’elle le présume uniquement. Il s’était trahi et ne pouvait plus faire machine arrière désormais.
“Coup de chance,” se hâta-t-il de dire.
Maya replia lentement ses bras contre sa poitrine, un sourcil levé, en se mordant la lèvre. Il connaissait cet air : c’était un regard accusateur dont elle avait directement hérité de sa mère. “Tu peux peut-être duper Sara et Tante Linda, mais moi, je n’y crois pas, pas une seule seconde.”
Reid ferma les yeux et soupira. Elle ne lâcherait pas l’affaire, donc il baissa d’un ton et se mit à parler en choisissant soigneusement chacun de ses mots.
“Maya, écoute. Tu es très intelligente… certainement bien assez pour faire certaines suppositions sur ce qui s’est passé,” dit-il. “Le plus important est de bien comprendre que savoir certaines choses peut s’avérer dangereux. Le danger potentiel auquel vous avez été confrontées pendant ma semaine d’absence pourrait devenir permanent si vous saviez tout. Je ne peux pas te dire si tu as raison ou tort. Je ne vais pas confirmer ou infirmer quoi que ce soit. Donc, à partir de maintenant, on n’a qu’à juste dire que… tu peux croire à toutes les hypothèses que tu as faites, tant que tu fais bien attention de les garder pour toi.”
Maya acquiesça lentement d’un signe de tête. Elle jeta un coup d’œil dans le couloir pour s’assurer que Sara n’était pas là avant de dire, “Tu n’es pas seulement un professeur. Tu travailles pour quelqu’un, au niveau du gouvernement : le FBI peut-être ou la CIA…”






