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Awad décrivit un arc avec son couteau et trancha la gorge d’Avi. La bouche de l’homme s’ouvrit de surprise, mais aucun son ne sortit pendant qu’une cascade de sang s’échappait de son cou ouvert et souillait le sol.
“Non !” cria Yosef. Idan ferma les yeux et laissa échapper un sanglot.
Avi tomba en avant sur le ventre, le visage sur le côté, tandis qu’une mare de sang sombre s’infiltrait dans la pierre.
Sans prononcer un mot de plus, Ben Saddam les laissa là une fois de plus.
Restés seuls, ils endurèrent tous deux cette nuit sans sommeil et ne s’adressèrent aucune parole, même si Yosef pouvait entendre les légers sanglots d’Idan qui pleurait la perte de son mentor, Avi, dont le corps en train de refroidir gisait à quelques mètres d’eux.
Au matin, trois hommes arabes entrèrent sans un mot dans le sous-sol et emportèrent le corps d’Avi. Deux autres arrivèrent tout de suite après, suivis par Ben Saddam.
“Lui.” Il désigna Yosef et ses deux acolytes le soulevèrent avec rudesse par les épaules. Alors qu’il était traîné vers la porte, il réalisa qu’il ne reverrait peut-être plus jamais Idan.
“Sois fort,” cria-t-il par-dessus son épaule. “Que dieu te garde.”
Yosef plissa les yeux sous la lumière vive du soleil, pendant qu’il était traîné dans une cour entourée d’un haut mur de pierre, puis jeté sans ménagement à l’arrière d’un pick-up dont la benne était recouverte d’un toit en toile. On passa un sac de jute sur sa tête, et il fut une fois de plus plongé dans l’obscurité.
Le pick-up démarra et quitta la base. Dans quelle direction ils allaient, Yosef n’aurait su le dire. Il ne savait plus depuis combien de temps ils roulaient et les voix dans la cabine étaient à peine audibles.
Au bout d’un moment, deux heures ou peut-être même trois, il put entendre le bruit d’autres véhicules, des moteurs qui tournaient, des chauffeurs qui klaxonnaient. Au-delà, il entendait les vendeurs haranguer les passants et ces derniers crier, rire ou discuter. Une ville, comprit Yosef. Nous sommes dans une ville. Mais quelle ville ? Et pourquoi ?
Le pick-up ralentit et, soudain, une dure voix profonde pénétra directement dans son oreille. “Tu es mon messager.” Aucun doute possible : la voix appartenait à Ben Saddam. “Nous sommes à Bagdad. À deux pâtés de maisons à l’est, se trouve l’ambassade américaine. Je vais te relâcher, et tu vas te rendre là-bas. Ne t’arrête en aucun cas. Ne parle à personne jusqu’à ce que tu sois arrivé. Je veux que tu leur raconte ce qui t’es arrivé, à toi et à tes compatriotes. Je veux que tu leur dises que c’est la Confrérie qui a fait ça, ainsi que leur chef, Awad Ben Saddam. Fais cela et tu auras gagné ta liberté. Est-ce que tu comprends ?”
Yosef acquiesça. Il était confus à propos du contenu de ce simple message et sur la raison pour laquelle il devait le délivrer, même s’il était pressé d’être libéré de cette Confrérie.
On enleva le sac de jute de sa tête et, en même temps, il fut jeté durement hors de la benne du pick-up. Yosef grogna et roula en tombant au sol. Un objet fut lancé derrière lui et atterrit juste à côté de lui Il était petit, marron et rectangulaire.
C’était son portefeuille.
Il cligna des yeux à cause de la soudaine lumière du jour, tandis que des passants s’arrêtaient, étonnés de voir un homme attaché aux poignets jeté de l’arrière d’un véhicule en mouvement. Mais le pick-up ne s’arrêta pas. Il poursuivit sa route et s’évanouit dans le dense trafic de l’après-midi.
Yosef s’empara de son portefeuille et se releva. Ses vêtements étaient poisseux, tachés, et il avait mal partout. Il avait le cœur brisé en pensant à Avi et Idan. Mais il était libre.
Il descendit la rue, ignorant les regards des habitants de Bagdad, pendant qu’il se dirigeait vers l’ambassade des USA. Un énorme drapeau américain guidait ses pas, placé au sommet d’un très haut poteau.
Yosef était à moins de vingt-cinq mètres de la grande clôture grillagée qui entourait l’ambassade, surmontée de fils barbelés, quand un soldat américain le héla. Il y en avait quatre postés à la porte, chacun armé d’un fusil automatique et portant un équipement tactique complet.
“Halte !” ordonna le soldat. Deux de ses camarades levèrent leur arme dans sa direction, tandis que le sale Yosef aux mains liées, à moitié déshydraté et en sueur, s’arrêtait net. “Identifiez-vous !”
“Je m’appelle Yosef Bachar,” répondit-il en anglais. “Je suis l’un des trois journalistes israéliens ayant été kidnappés par des rebelles islamistes près d’Albaghdadi.”
“Fais passer le message à l’intérieur,” dit le soldat qui donnait les ordres à un autre. Alors que deux armes étaient toujours pointées sur Yosef, le soldat s’approcha de lui prudemment en tenant son fusil à deux mains, le doigt sur la gâchette. “Mains sur la tête.”
Yosef fut soigneusement fouillé à la recherche de la moindre arme, mais la seule chose que trouva le soldat fut son portefeuille et, dedans, sa carte d’identité. Des appels furent passés puis, quinze minutes plus tard, Yosef Bachar fut autorisé à entrer dans l’ambassade des États-Unis.
On coupa les cordes à ses poignets et on le fit entrer dans un bureau qui était petit, sans fenêtres, mais non dénué de tout confort. Un jeune homme lui apporta une bouteille d’eau qu’il accepta avec reconnaissance.
Quelques minutes plus tard, un homme en costume noir, avec des cheveux bien peignés de la même couleur, entra dans la pièce. “M. Bachar,” dit-il, “je suis l’Agent Cayhill. Nous avons été mis au courant de votre situation et sommes très heureux de vous voir vivant et en bonne santé.”
“Merci,” dit Yosef. “Mon ami Avi n’a pas eu autant de chance.”
“J’en suis navré,” dit l’agent américain. “Votre gouvernement at été informé de votre présence ici, ainsi que votre famille. Nous allons organiser votre transfert pour que vous puissiez rentrer chez vous aussi vite que possible, mais nous devons d’abord discuter de ce qui vous est arrivé.” Il leva le doigt pour désigner l’endroit où se rejoignaient les murs et le plafond dans l’angle. Une caméra noire était dirigée vers le bas, sur Yosef. “Notre échange est enregistré et la bande audio de notre conversation est diffusée en direct à Washington, D.C. Vous avez le droit de refuser d’être enregistré. Vous pouvez demander la présence d’un ambassadeur ou d’un autre représentant de votre pays si vous le souhaitez…”
Yosef leva sa main, fatigué. “Ce ne sera pas nécessaire. Je veux parler.”
“Alors allez-y dès que vous serez prêt, M. Bachar.”
Et c’est ce qu’il fit. Yosef détailla ce qu’il avait vécu pendant trois jours, à commencer par le trek vers Albaghdadi et leur voiture arrêtée sur une route dans le désert. Tous les trois, lui, Avi et Idan, avaient été forcés de monter à l’arrière d’un pick-up avec des sacs sur la tête. Ces derniers n’avaient pas été retirés jusqu’à ce qu’ils soient dans le sous-sol de leur base où ils avaient passé trois jours dans le noir. Il leur raconta ce qui était arrivé à Avi d’une voix légèrement tremblante. Il leur parla d’Idan, toujours dans leur base et à la merci de ces fanatiques.
“Ils m’ont dit qu’ils me libéraient pour délivrer un message,” dit Yosef en conclusion de son récit. “Ils voulaient que vous sachiez qui est responsable de tout ça. Ils voulaient que vous connaissiez le nom de leur organisation, la Confrérie, ainsi que celui de leur chef, Awad Ben Saddam.” Yosef soupira. “C’est tout ce que je sais.”
L’Agent Cayhill acquiesça gravement. “Merci, M. Bachar. Votre coopération est grandement appréciée. Avant que nous passions à l’organisation de votre retour chez vous, j’ai une dernière question à vous poser. Pourquoi vous avoir envoyé vers nous ? Pourquoi pas vers votre propre gouvernement ou vers vos concitoyens ?”
Yosef secoua la tête. Il s’était lui-même posé la question depuis qu’il était entré dans l’ambassade. “Je ne sais pas. Ils ont seulement dit qu’ils voulaient que vous, les américains, sachiez qui est responsable de tout ça.”
Cayhill fronça profondément les sourcils. Quelqu’un frappa à la porte du petit bureau, puis une jeune femme apparut. “Excusez-moi Monsieur,” dit-elle à voix basse, “mais la délégation est ici. Ils attendent dans la salle de réunion C.”
“Juste une minute, je vous remercie,” dit Cayhill.
À l’instant même où la porte se refermait, le sol explosa sous leurs pieds. Yosef Bachar, l’Agent Cayhill, ainsi que les soixante-trois autres personnes présentes, furent carbonisés en un instant.
*
À seulement deux croisements au sud, un pick-up avec un toit en toile tendue par-dessus la benne était garé sur un trottoir avec une vue directe sur l’ambassade américaine depuis le pare-brise.
Awad regarda sans ciller les vitres de l’ambassade exploser, alors qu’une boule de feu montait vers le ciel. Le pick-up trembla sous l’impact, même à cette distance. De la fumée noire s’éleva dans l’air, tandis que les murs se déformaient et s’affaissaient, l’ambassade américaine s’écroulant sur elle-même.
Se procurer son propre poids en explosifs plastiques avait été la partie la plus facile, à présent qu’il avait accès à la fortune d’Hassan sans avoir à se justifier. Même le kidnapping des journalistes s’était avéré assez simple. Non, la difficulté avait été d’obtenir de fausses pièces d’identité qui soient assez réalistes pour que lui et les trois autres se fassent passer pour des agents de maintenance. Il avait fallu engager un tunisien assez expérimenté pour créer de fausses certifications et pour pirater la base de données afin de les faire entrer comme prestataires approuvés ayant accès à l’ambassade.
C’est seulement alors qu’Awad et la Confrérie avaient pu dissimuler les explosifs dans un couloir de maintenance sous les pieds des américains deux jours auparavant, se faisant passer pour des plombiers réparant une rupture de canalisation.
Cette partie-là n’avait été ni simple, ni bon marché, mais elle en valait la peine pour atteindre le but d’Awad. Non, vraiment, le plus simple avait été de glisser la puce de détonation high-tech dans le portefeuille du journaliste et de l’envoyer avancer vers ce que cet idiot pensait être la voie de la liberté. La bombe n’aurait pas explosé sans la puce dans le bon périmètre.
L’israélien avait en fait servi à faire exploser l’ambassade pour eux.
“Allons-y,” dit-il à Oussama, qui fit repartir le pick-up sur la route. Ils contournèrent des véhicules que les conducteurs avaient arrêtés net au beau milieu de la route à la suite de l’explosion. Des piétons fuyaient en hurlant le site de l’explosion, tandis que des parties des murs extérieurs de l’immeuble continuaient à s’effondrer.
“Je ne comprends pas,” grommela Oussama en tentant de slalomer dans les rues obstruées par des gens paniqués. “Hassan m’a dit combien cette histoire avait coûté. Et tout ça pour quoi ? Pour tuer un journaliste et une poignée d’américains ?”
“Oui,” répondit pensivement Awad. “Une poignée d’américains bien choisie. J’ai récemment appris qu’une délégation du congrès des États-Unis se rendait à Bagdad dans le cadre d’une œuvre de bienfaisance.”
“Quelle sorte de délégation ?” demanda Oussama.
Awad sourit. Son idiot de frère n’était tout simplement pas capable de comprendre. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle Awad n’avait pas encore partagé la totalité de son plan avec le reste de la Confrérie. “Une délégation du congrès,” répéta-t-il. “Un groupe de décideurs politiques américains, de New York plus précisément.”
Oussama acquiesça comme s’il comprenait, mais ses sourcils froncés trahissaient le fait qu’il était bien loin de comprendre quoi que ce soit. “Et c’était ça ton plan ? Les tuer ?”
“Oui,” dit Awad. “Et faire en sorte que les américains sachent qui nous sommes.” Et sachent aussi qui je suis. “À présent, nous devons retourner à la base et préparer l’étape suivante de notre plan. Nous devons nous dépêcher. Ils vont se mettre à notre recherche.”
“Qui ça ?” demanda Oussama.
Awad sourit en regardant les décombres en feu de l’ambassade par le pare-brise. “Tout le monde.”
CHAPITRE HUIT
“Très bien,” dit Reid. “Demande-moi ce que tu veux et je serai honnête. Prend tout le temps qu’il te faut.”
Il s’assit face à ses filles dans le coin d’un restaurant de fondue de l’un des hôtels les plus haut de gamme d’Engelberg-Titlis. Après que Sara lui avait dit au chalet qu’elle voulait connaître la vérité, Reid avait suggéré d’aller ailleurs, de quitter la pièce commune du chalet pleine de skieurs. Leur propre chambre semblait un endroit beaucoup trop silencieux pour discuter d’un sujet aussi intense, alors il les emmena dîner dans l’espoir de créer une atmosphère sympa pendant qu’ils discuteraient. Il avait choisi cet endroit précisément parce que chaque table était séparée par des cloisons en verre, ce qui leur donnait un peu d’intimité pour parler.
Quand bien même, il gardait la voix basse.
Sara fixa la table des yeux pendant un long moment en réfléchissant. “Je ne veux pas parler de ce qui s’est passé,” finit-elle par dire.
“Nous n’y sommes pas obligés,” lui accorda Reid. “Nous pouvons juste parler de ce dont tu as envie et je te promets que je te dirai la vérité, tout comme à ta sœur.”
Sara leva les yeux vers Maya. “Tu… sais des trucs ?”
“Certains,” admit-elle. “Désolé, Pouêt-Pouêt. Je pensais que tu n’étais pas prête à l’entendre.”
Si Sara était en colère ou bouleversée par cette nouvelle, elle n’en laissa rien paraître. Au lieu de ça, elle se mordit la lèvre inférieure un moment, formant une question dans sa tête, avant de demander. “Tu n’es pas seulement professeur, pas vrai ?”
“Non.” Reid s’était douté que clarifier ce qu’il était et ce qu’il avait fait ferait partie de ses principales priorités. “En effet. Je suis… ou plutôt j’étais un agent de la CIA. Est-ce que tu sais ce que ça veut dire ?”
“Comme… un espion ?”
Il haussa les épaules. “En quelque sorte. Ça implique un peu d’espionnage. Mais il s’agit plus d’empêcher les mauvaises personnes de faire certaines choses et d’éviter le pire.”
“Qu’est-ce que tu veux dire par ‘j’étais’ ?” demanda-t-elle.
“Eh bien, je ne fais plus ça maintenant. Je l’ai fait pendant un temps. Et puis, quand…” Il se râcla la gorge. “Quand Maman est morte, j’ai arrêté. Pendant deux ans, je n’ai plus travaillé pour eux. Mais, en février dernier, on m’a demandé de revenir.” C’est une façon très édulcorée de dire les choses, se réprimanda-t-il. “Vous vous rappelez ce truc aux infos sur les JO d’hiver et le bombardement du forum économique ? J’étais là. J’ai aidé à l’arrêter.”
“Alors tu fais partie des gentils ?”
Reid cligna des yeux, surpris par cette question. “Bien sûr que oui. Tu croyais le contraire ?”
Ce fut Sara qui haussa les épaules cette fois, en évitant de croiser son regard. “Je n’en sais rien,” dit-elle à voix basse. “Entendre tout ça, c’est comme… comme…”
“Comme apprendre à connaître un étranger,” murmura Maya. “Un étranger qui te ressemble.” Sara acquiesça, visiblement d’accord avec sa sœur.
Reid soupira. “Je ne suis pas un étranger,” insista-t-il. “Je suis toujours votre papa. Je suis la même personne que j’ai toujours été. Tout ce que vous savez sur moi, tout ce que nous avons fait ensemble est réel. Tout ça… toutes ces choses, c’était du boulot. Maintenant, ce n’est plus le cas.”
Est-ce que c’est la vérité ? se demanda-t-il. Il voulait le croire en tout cas, croire que Kent Steele n’était rien d’autre qu’un pseudonyme et pas une personnalité.
“Donc,” commença Sara, “ces deux types qui nous ont poursuivies sur le quai… ?”
Il hésita, se demandant si ça ne faisait pas trop pour elle. Mais il avait promis d’être honnête. “C’étaient des terroristes,” lui dit-il. “C’étaient des hommes qui essayaient de vous kidnapper pour me faire du mal. Tout comme…” Il se retint avant de dire quoi que ce soit sur Rais ou les trafiquants slovaques.
“Écoute,” reprit-il, “j’ai longtemps cru que j’étais la seule personne qui pouvait être amenée à souffrir en faisant ça. Mais, à présent, je vois à quel point j’ai eu tort. Alors, j’arrête. Je travaille toujours pour eux, mais je fais des trucs administratifs. Plus de boulot sur le terrain.”
“Alors, nous sommes en sécurité ?”
Reid eut le cœur serré non seulement à cause de la question, mais aussi à cause de l’espoir dans les yeux de sa fille. La vérité, se rappela-t-il. “Non,” répondit-il. “La vérité est que personne ne l’est jamais vraiment. Aussi beau et magique puisse être le monde, il y aura toujours de mauvaises personnes qui voudront faire du mal aux autres. Maintenant, je sais aussi qu’il y a un tas de bonnes personnes qui s’assurent qu’il y ait moins de méchants chaque jour. Mais peu importe ce qu’ils font, ou ce que je fais, je ne pourrai jamais garantir que vous soyez protégées de tout.”
Il ne savait pas d’où lui étaient venus les mots, mais ils lui paraissaient être autant à son propre bénéfice qu’à celui de ses filles. C’était une leçon qu’il avait vraiment besoin d’apprendre. “Et ça ne veut pas dire que je n’essaierai pas,” ajouta-t-il. “Je n’arrêterai jamais d’essayer de vous garder en sécurité. Comme vous devez toujours essayer, vous aussi, d’assurer votre propre sécurité.”
“Comment ?” demanda Sara. L’air distant était revenu dans ses yeux. Reid savait exactement à quoi elle pensait : comment elle, une jeune fille de quatorze ans pesant quarante kilos toute mouillée pouvait empêcher quelque chose comme l’incident de se produire à nouveau ?
“Eh bien,” dit Reid, “apparemment ta sœur a esquivé la bibliothèque pour se rendre à des cours d’auto-défense.”
Sara tourna vivement les yeux vers sa sœur. “C’est vrai ?”
Maya fit les gros yeux. “Merci d’avoir vendu la mèche, Papa.”
Le regard de Sara se posa de nouveau sur lui. “Je veux apprendre à tirer avec une arme.”
“Wow.” Reid leva une main. “Allons-y doucement. Ce n’est pas une demande à prendre à la légère…”
“Pourquoi pas ?” renchérit Maya. “Tu ne nous crois pas assez responsables ?”
“Bien sûr que si,” répliqua-t-il immédiatement, “C’est juste que…”
“Tu as dit qu’il fallait qu’on assure notre propre sécurité nous aussi,” ajouta Sara.
“Oui, je l’ai dit, mais il y a d’autres moyens de…”
“Mon ami Brent va chasser avec son père depuis qu’il a douze ans,” le coupa Maya. “Il sait tirer au fusil. Alors pourquoi pas nous ?”
“Parce que c’est différent,” répondit Reid avec insistance. “Et ne vous liguez pas contre moi. C’est injuste.” Jusqu’ici, il avait trouvé que ça se passait plutôt bien mais, à présent, elles utilisaient ses propres mots contre lui. Il pointa Sara du doigt. “Tu veux apprendre à tirer ? Pas de souci. Mais uniquement avec moi. Et d’abord, il faut que tu reprennes l’école et je veux lire des rapports positifs de la part du Dr. Branson. Quant à toi,” dit-il en désignant Maya, “plus de cours secrets d’auto-défense, ok ? Je ne sais pas ce que ce type t’enseigne, mais si vous voulez apprendre à vous battre et à vous défendre, vous me demandez.”
“Vraiment ? Tu m’apprendras ?” Maya semblait enthousiasmée à cette idée.
“Oui, je le ferai.” Il attrapa son menu et l’ouvrit. “Si tu as d’autres questions, j’y répondrai. Mais je pense que c’est déjà pas mal pour une seule soirée, non ?”
Il s’estimait chanceux que Sara ne lui ait posé aucune question à laquelle il n’aurait pas su quoi répondre. Il n’avait pas envie de devoir expliquer le suppresseur de mémoire… ça aurait pu compliquer les choses et renforcer leurs doutes sur qui il était vraiment. Mais il n’avait pas non plus envie de répondre qu’il ne savait pas quelque chose. Elles auraient immédiatement pensé qu’il leur cachait des trucs.
Il faut régler ça, pensa-t-il. Il fallait qu’il s’en occupe, et vite. Plus d’attente ni d’excuses.
“Et sinon,” dit-il par-dessus son menu, “ça vous dirait de visiter Zurich demain ? C’est une ville magnifique. Je vous promets des tonnes d’histoire, de shopping et de culture.”
“Carrément,” accepta Maya. Mais Sara ne répondit pas. Quand Reid regarda de nouveau par-dessus son menu, elle avait le visage pensif et les sourcils froncés. “Sara ?” demanda-t-il.
Elle leva les yeux vers lui. “Est-ce que Maman savait ?”
La question avait déjà été évoquée une fois, quand Maya l’avait posée moins d’un mois plus tôt, mais il fut tout aussi surpris de l’entendre de la bouche de Sara.
Il secoua la tête. “Non, elle n’était pas au courant.”
“Est-ce que ce n’est pas…” Elle hésitait, mais elle prit une profonde inspiration pour se donner le courage de parler, “Est-ce que ne rien dire, ce n’est pas un peu comme mentir ?”
Reid replia son menu et le posa sur la table. Soudain, il n’avait plus faim du tout. “Si, ma chérie. C’est exactement comme mentir.”
*
Le lendemain matin, Reid et les filles prirent le train allant au nord, depuis Engelberg jusqu’à Zurich. Ils n’avaient pas reparlé de son passé, ni de l’incident. Si Sara avait d’autres questions, elle les gardait pour elle, du moins pour l’instant.
Au lieu de ça, ils profitèrent des vues panoramiques sur les Alpes suisses durant le trajet en train de deux heures, tout en prenant des photos par la fenêtre. Ils passèrent ensuite le reste de la matinée à admirer l’architecture médiévale à couper le souffle de la vieille ville et à se balader sur les berges de la rivière Limmat. Même si elles clamaient ne pas apprécier l’histoire autant que lui, les deux filles furent ébahies par la beauté de la cathédrale Grossmünster du douzième siècle. Toutefois, elles se mirent à râler quand Reid commença à leur faire un cours sur Huldrych Zwingli et ses réformes religieuses du seizième siècles ayant eu lieu ici.
Même si Reid passait un super moment avec ses filles, son sourire était au moins partiellement forcé. Il était anxieux à l’idée de ce qui allait se passer ensuite.
“On fait quoi maintenant ?” demanda Maya après leur déjeuner dans un petit café avec vue sur la rivière.
“Vous savez ce qui serait vraiment top après un repas comme ça ?” dit Reid. “Un film.”
“Un film,” répéta platement son ainée. “Ouais, je crois que nous avons vraiment bien fait de faire tout ce trajet jusqu’en Suisse pour faire un truc que nous pouvons faire à la maison.”
Reid sourit. “Pas n’importe quel film. Le Musée National Suisse n’est pas loin et ils diffusent un documentaire sur l’histoire de Zurich depuis le Moyen Âge jusqu’à maintenant. Ça a l’air cool, pas vrai ?”
“Non,” dit Maya.
“Pas vraiment,” appuya Sara.
“Euh. Eh bien, c’est moi le père et j’ai décidé qu’on irait le voir. Ensuite, nous ferons tout ce que vous voudrez toutes les deux et je ne me plaindrai pas. Je vous le promets.”
Maya soupira. “Ça me paraît honnête. Passe devant.”
Moins de dix minutes plus tard, ils arrivèrent devant le Musée National Suisse, qui diffusait réellement un documentaire sur l’histoire de Zurich. Et Reid avait vraiment envie de le voir. Pourtant, même s’il avait acheté trois tickets, il ne comptait en utiliser que deux.
“Sara, est-ce que tu as besoin d’aller aux toilettes avant qu’on entre ?” demanda-t-il.
“Bonne idée.” Elle se dirigea vers les toilettes, et Maya allait la suivre, quand Reid l’attrapa rapidement par le bras.
“Attends. Maya… Je dois y aller.”
Elle cligna des yeux en le dévisageant. “Quoi ?”
“J’ai un truc à faire,” dit-il rapidement. “J’ai un rendez-vous.”
Maya leva un sourcil inquisiteur. “Pour faire quoi ?”
“Ça n’a rien à voir avec la CIA. Du moins, pas directement.”
Elle prit un air dépité. “Je n’arrive pas à y croire.”
“Maya, je t’en prie,” implora-t-il. “C’est important pour moi. Je te promets, je te jure qu’il ne s’agit pas de travail de terrain, ni de quoi que ce soit de dangereux. Il faut juste que je parle à quelqu’un. En privé.”
Sa fille souffla par les narines. Elle n’aimait pas ça du tout et, pire, elle ne le croyait pas vraiment. “Je dis quoi à Sara ?”
Reid avait déjà réfléchi. “Dis-lui qu’il y a eu un souci avec ma carte de crédit. Que quelqu’un a essayé de l’utiliser à ma place et que je dois régler tout ça pour que nous n’ayons pas à quitter le chalet. Dis-lui que je suis juste dehors en train de passer des coups de fil.”






