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Et tout ça en une journée de travail.
Mais il y avait tout de même quelque chose qui dérangeait Brown dans tout ça. Ses hommes n’étaient pas assez attentifs – ils étaient distraits par tout cet argent. Ils avaient baissé leur garde. Et lui aussi. Dans une toute autre situation, ça aurait pu mal tourner. Car tout le monde n’était pas aussi fiable que Jamal.
Il se retourna pour regarder à nouveau les Arabes.
Jamal était debout à côté du véhicule et il tenait une Uzi en main. Deux de ses hommes se tenaient à côté de lui et ils pointaient le canon de leur arme sur Brown et ses hommes.
Jamal sourit.
« Clean ! » hurla Brown.
Jamal se mit à tirer et ses hommes en firent de même. Brown entendit les rafales venant des mitraillettes et il eut l’impression d’être aspergé par une lance d’incendie. Il sentit les balles le transpercer de part en part et son corps entra dans une sorte de transe contre laquelle il lutta, mais en vain. C’était comme si les balles le maintenaient debout, le faisant se trémousser sur place.
Pendant un instant, il perdit connaissance. Un voile noir lui couvrit les yeux. Puis il se retrouva couché sur le dos, sur le sol en béton de l’entrepôt. Il sentit le sang couler de son corps. Le sol commençait à être humide et une flaque de sang commençait à se former. Il ressentit une vive douleur.
Il regarda en direction de monsieur Clean et de monsieur Jones. Ils étaient tous les deux morts, le corps criblé de balles. Seul Brown était encore vivant.
Il se rendit compte qu’il avait toujours été un survivant. Il avait toujours fini par s’en sortir. Après plus de deux décennies de combat, il était hors de question qu’il meure maintenant et de cette manière. C’était impossible. Il était trop bon dans ce qu’il faisait. Tellement d’hommes avaient essayé de le tuer et ils avaient toujours échoué. Sa vie n’allait pas se terminer de cette façon.
Il essaya de mettre la main à l’intérieur de sa veste pour prendre son arme, mais son bras lui répondit à peine. Puis il remarqua que, malgré la douleur, il ne sentait plus ses jambes.
Il ressentit une douleur intense au niveau de l’abdomen, à l’endroit où il avait été touché. Il avait également une douleur à l’arrière du crâne, à l’endroit où il avait violemment heurté le sol. Il souleva légèrement la tête pour regarder ses pieds. Ses jambes étaient toujours bien là et attachées à son corps – mais il ne les sentait plus.
Les balles m’ont sectionné la colonne vertébrale.
Cette pensée l’horrifia. Il imagina à quoi allait ressembler son avenir – se retrouver dans une chaise roulante, essayer de se hisser sur le siège conducteur de sa voiture pour handicapés, vider la poche de stomie qui drainait les selles de son système digestif.
Non. Il secoua la tête. Ce n’était pas le moment de penser à ça. Il devait agir. L’arme de Clean devait se trouver quelque part au-dessus de sa tête. Il tendit le bras, en ressentant une vive douleur en le faisant, mais il ne trouva rien. Il se mit à ramper vers le haut, en traînant ses jambes derrière lui.
Quelque chose attira son regard. Il leva les yeux et il vit Jamal, qui fanfaronnait en le regardant. Le connard avait même un sourire aux lèvres.
En s’approchant, il leva le canon de son arme, qu’il pointa sur Brown. Deux des ses hommes se trouvaient à ses côtés.
« N’essaye pas de faire quoi que ce soit, Brown. Contente-toi de rester tranquille. »
Les hommes de Jamal prirent les deux sacs en toile avec l’argent et la pochette contenant les diamants. Puis ils retournèrent vers les véhicules et grimpèrent dans la cabine du véhicule de tête. Les phares s’allumèrent. Brown entendit le moteur démarrer et il vit une fumée noire sortir de la cheminée qui se trouvait du côté conducteur.
« Je t’aime bien, » dit Jamal. « Mais les affaires sont les affaires, tu comprends ? Sur ce coup-ci, on ne laisse rien derrière nous. Désolé… vraiment. »
Brown essaya de dire quelque chose, mais il semblait ne plus avoir de voix. Seuls des gargouillements sortirent de sa bouche.
Jamal leva à nouveau le canon de son arme.
« Tu veux que je te laisse une minute pour prier ? »
Brown faillit se mettre à rire. Il secoua la tête. « Tu sais quoi, Jamal ? Tu me fais rire. Ta religion, c’est de la foutaise. Si je veux prier ? Prier qui ? Dieu n’existe pas et tu t’en rendras compte dès que tu… »
Brown vit un éclair sortir du canon de la mitraillette et il se retrouva allongé sur le dos, les yeux écarquillés et rivés sur le plafond de l’entrepôt.
CHAPITRE CINQ
21h45 – Heure avancée des Rocheuses (23h45 – heure d’été de l’Est)
Prison fédérale ADX Florence (Supermax) – Florence, Colorado
« On y est, » dit le gardien. « Bienvenue dans notre petit nid douillet. »
Luke traversait les couloirs de la prison la plus sécurisée des États-Unis. Deux gardiens corpulents en uniforme brun le flanquaient de chaque côté. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, avec leur coupe militaire à la brosse, leurs épaules et leurs bras massifs, et leur abdomen protubérant. Leurs corps raides et lourds s’avançaient comme des joueurs de ligne qui n’auraient plus joué au football depuis quelques temps.
Ils n’avaient pas spécialement l’air en forme au sens traditionnel du terme, mais ils avaient la taille parfaite pour leur boulot. Au corps-à-corps, ils pouvaient appliquer suffisamment de force sur les prisonniers récalcitrants.
Le bruit de leurs pas résonnait sur le sol en pierre. Ils passèrent devant des dizaines de portes fermées de cellules. Les portes étaient en acier et elles avaient une ouverture étroite sur le bas, comme une fente de boîte aux lettres, à travers laquelle les gardiens faisaient glisser les repas aux prisonniers. Elles avaient également deux petites fenêtres en acier trempé qui faisaient face au couloir.
Quelque part dans le couloir, un homme hurlait. On aurait dit un cri d’agonie, qui continuait encore et encore, sans avoir l’air de jamais s’arrêter. C’était le soir et ce serait bientôt l’extinction des feux, et le hurlement de cet homme donnait la chair de poule. Luke crut discerner des mots au milieu des cris.
Il regarda l’un des gardiens.
« Il va bien, » dit le gardien. « Vraiment. Il n’a mal nulle part. Il se contente juste de hurler. »
L’autre gardien intervint. « La solitude leur fait parfois perdre un peu la tête. »
« La solitude ? » dit Luke. « Vous voulez dire l’isolement ? »
Le gardien haussa les épaules. « Oui. » Ce n’était qu’une question de sémantique pour lui. Après son boulot, il rentrait chez lui. Il mangeait au Denny’s du coin et bavardait avec les habitués. Il avait une alliance à la main gauche. Il devait avoir une femme et probablement des enfants. Il avait une vie en-dehors de ces murs. Mais les prisonniers ? Pas vraiment.
Luke savait que quelques criminels célèbres avaient fait un séjour ici. Le Unabomber Ted Kaczynski y était actuellement incarcéré, tout comme Dzhokhar Tsarnaev, l’un des deux terroristes du marathon de Boston. Le mafioso John Gotti avait vécu ici pendant des années, ainsi que son violent homme de main, Sammy ‘The Bull’ Gravano.
C’était une infraction aux normes de sécurité de laisser entrer Luke au-delà du parloir, mais on était de toute façon en-dehors des heures de visite et il s’agissait d’un cas spécial. Un prisonnier avait des informations importantes à donner mais il insistait pour parler personnellement à Luke – et pas par téléphone à travers une vitre épaisse, mais face à face, dans sa cellule. C’était la Présidente des États-Unis elle-même qui avait demandé à Luke d’accepter cette entrevue.
Ils s’arrêtèrent devant une porte blanche qui ressemblait à toutes les autres. Luke sentit son cœur s’arrêter. Il était un peu nerveux. Il ne chercha pas à apercevoir l’homme à travers les minuscules fenêtres. Il ne voulait pas le voir comme ça, enfermé dans une cellule. Il voulait qu’il soit plus grand que nature, qu’il reste légendaire.
« C’est mon devoir de vous informer, » dit l’un des gardiens, « que les détenus de cette prison sont considérés parmi les plus violents et les plus dangereux actuellement incarcérés dans le système pénitentiaire des États-Unis. Si vous choisissez d’entrer dans cette cellule, vous déclinez… »
Luke leva la main. « Épargnez-vous le discours. Je connais les risques. »
Le gardien haussa à nouveau les épaules. « Comme vous voudrez. »
« Je voudrais également que cette conversation ne soit pas enregistrée, » dit Luke.
« Il y a des caméras de surveillance qui filment l’intérieur des cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre, » dit le gardien. « Mais il n’y a pas de son. »
Luke hocha la tête. Il n’en croyait pas un mot. « OK. Je crierai si j’ai besoin d’aide. »
Le gardien sourit. « On ne vous entendra pas. »
« Alors j’agiterai frénétiquement les mains. »
Les deux gardiens se mirent à rire. « Je serai au bout du couloir, » dit l’un d’entre eux. « Cognez à la porte quand vous aurez envie de sortir. »
Un bruit de serrure se fit entendre et la porte se mit lentement à s’ouvrir. Apparemment, il y avait bien quelqu’un qui les observait quelque part.
La porte s’ouvrit sur une cellule sombre et minuscule. La première chose que Luke remarqua, ce fut la toilette en métal. Il y avait un robinet au-dessus. C’était une combinaison étrange mais plutôt logique, finalement. Tout le reste était en pierre. Un étroit bureau en pierre s’étendait depuis le mur et un tabouret rond surgissait du sol juste devant lui.
Sur le bureau, il y avait plusieurs feuilles de papier, quelques livres et quatre ou cinq gros crayons. Tout comme le bureau, le lit était étroit et fait en pierre. Un fin matelas y était posé, avec une couverture verte qui semblait être en laine. Il y avait une étroite fenêtre dans le mur du fond, encadrée de vert, qui faisait peut-être soixante centimètres de haut et quinze centimètres de large. Il faisait noir à l’extérieur, à l’exception d’une lumière jaune provenant d’une lampe fixée au mur extérieur et qui projetait une lueur blafarde à l’intérieur de la cellule. Il n'y avait aucun moyen de couvrir la fenêtre.
Le prisonnier portait une combinaison orange et leur tournait le dos.
« Morris, » dit le gardien. « Voici votre visiteur. Faites-moi le plaisir de ne pas le tuer. »
Don Morris, ancien colonel de l’armée des États-Unis et commandant de la Force Delta, fondateur et ancien dirigeant de l’équipe d’intervention spéciale du FBI, se retourna lentement. Son visage était plus ridé qu’avant et ses cheveux poivre et sel étaient devenus entièrement gris. Mais il avait toujours ce regard profond et acéré. Ses bras, ses jambes et ses épaules avaient toujours l’air aussi solides.
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
« Luke, » dit-il. « Merci d’être venu. Bienvenue chez moi. Huit mètres carrés, plus ou moins deux mètres sur quatre. »
« Salut, Don, » dit Luke. « J’adore ce que tu as fait de cet endroit. »
« C’est votre dernière chance de changer d’avis, » dit l’un des gardiens derrière lui.
Luke secoua la tête. « Je pense que ça va aller. »
Don regarda les gardiens. « Vous savez qui est cet homme, n’est-ce pas ? »
« Oui. »
« Alors j’imagine, » dit Don, « que vous devez savoir le peu de danger que je représente pour lui. »
La porte se referma. Ils restèrent silencieux un moment, en s’observant d’un côté à l’autre de la cellule. Luke ressentit une sorte de nostalgie. Don avait été son supérieur et son mentor au sein de la Force Delta. Quand Don avait fondé l’équipe d’intervention spéciale, il avait recruté Luke comme son premier agent. À bien des égards, et pendant plus de dix ans, Don avait été comme un père pour lui.
Mais plus maintenant. Don avait été l’un des conspirateurs dans le complot qui avait mené à l’assassinat du Président des États-Unis, en vue de prendre le pouvoir. Il avait été complice dans l’enlèvement de la femme et du fils de Luke. Il savait à l’avance qu’un attentat allait avoir lieu, un attentat qui avait tué plus de trois cents personnes à Mount Weather. Don risquait la peine de mort et aux yeux de Luke, il la méritait amplement.
Les deux hommes se serrèrent la main et pendant une fraction de seconde, Don posa la main sur l’épaule de Luke. C’était un geste bizarre venant d’un homme qui n’était plus habitué au contact humain. Luke savait que les prisonniers Supermax avaient rarement l’occasion d’avoir des interactions entre eux.
« Merci pour toutes les visites que tu m’as faites et toutes les lettres que tu m’as envoyées, » dit Don. « Ça a été un véritable réconfort de savoir que mon bien-être était une telle priorité à tes yeux. »
Luke secoua la tête. Il faillit sourire. « Don, jusqu’à hier après-midi, je ne savais même pas où on t’avait enfermé. Et je n’en avais rien à cirer. Ça aurait tout aussi bien pu être au fond d’un trou. »
Don hocha la tête. « Ils peuvent faire ce qu’ils veulent de toi, une fois que tu as perdu la partie. »
« Amplement mérité, dans ton cas. »
Don fit un geste en direction du tabouret en pierre qui sortait du sol, tel un champignon. « Tu veux t’asseoir ? »
« Non, merci. Je préfère rester debout. »
Don regarda Luke, en penchant légèrement la tête sur le côté. « Je n’ai pas grand-chose à offrir en termes d’hospitalité, Luke. C’est tout ce que j’ai. »
« Et pourquoi est-ce que j’accepterais ton hospitalité, Don ? »
Don continua à fixer Luke du regard. « Tu rigoles, n’est-ce pas ? En souvenir du bon vieux temps, par exemple. Pour me remercier de t’avoir guidé au sein de la Force Delta et de t’avoir offert ton boulot actuel. Des raisons, il y en a plein. »
« C’est ça, le problème, Don. Quand je pense à toi, je revois surtout l’image de mon fils et de ma femme que tu avais kidnappés. »
Don leva les mains. « Je n’ai rien eu à voir avec ça. Je te le promets. Si ça n’avait tenu qu’à moi, aucun mal n’aurait été fait à Gunner et à Becca. Je les considère comme ma propre famille. Je t’ai prévenu parce que je voulais les protéger, Luke. J’ai découvert ce qui s’était passé après que ce soit arrivé. Je suis vraiment désolé. Il n’y a rien au cours de ma longue carrière que je ne regrette plus. »
Luke observa Don, sa gestuelle, son regard, en cherchant… quelque chose. Est-ce qu’il mentait ? Est-ce qu’il disait la vérité ? Qu’était devenu cet homme que Luke avait un jour aimé ?
Luke soupira. Il allait accepter son hospitalité. Il allait lui accorder ce plaisir, même s’il finirait par se demander pendant toute la soirée pourquoi il l’avait fait.
Il s’assit sur le tabouret en pierre et Don prit place sur le lit. Ils restèrent silencieux pendant un long moment.
« Comment se porte l’équipe d’intervention spéciale ? » finit par dire Don. « J’imagine qu’ils t’ont nommé directeur de l’équipe ? »
« Ils me l’ont proposé mais j’ai refusé. L’équipe d’intervention spéciale n’existe plus. Elle a été démantelée. La plupart des agents ont intégré d’autres départements au sein du FBI. Ed Newsam fait maintenant partie de l’équipe de libération d’otages. Mark Swann est allé à la NSA. Je suis toujours en contact avec eux et je fais parfois appel à eux pour certaines missions. »
Pendant une fraction de seconde, Luke vit une légère tristesse dans le regard de Don. Son bébé, l’équipe d’intervention spéciale du FBI, la culmination du travail de toute une vie, avait été démantelée. Est-ce qu’il le savait ? Luke supposait que non.
« Trudy Wellington a disparu, » dit Luke.
Quelque chose d’autre apparut dans les yeux de Don mais cette fois-ci, il ne chercha pas à le cacher. Et ça voulait dire qu’il voulait que Luke le remarque. Luke ne savait pas si c’était une émotion ou le souvenir d’un fait en particulier. Il était assez bon pour cerner les gens, mais Don était un ancien espion. Son esprit et son cœur étaient des livres scellés.
« Est-ce que par hasard tu saurais quelque chose à ce sujet, Don ? »
Don haussa les épaules, en souriant à moitié. « La Trudy que je connaissais était très intelligente. Elle restait à l’écoute. Peut-être qu’elle a entendu un grondement lointain qui ne lui plaisait pas et qu’elle a préféré s’enfuir avant que ça se rapproche. »
« Est-ce que tu lui as parlé ? »
Don resta silencieux.
« Don, ça ne sert à rien de penser que tu peux rester évasif sur certaines questions. Il me suffit de passer un appel et je saurai à qui tu as parlé, qui t’a écrit et le contenu des lettres. Tu n’as aucune vie privée. Est-ce que tu as parlé à Trudy, oui ou non ? »
« Oui, je lui ai parlé. »
« Et qu’est-ce que tu lui as dit ? » dit Luke.
« Je lui ai dit que sa vie était en danger. »
« Sur base de quoi ? »
Don leva un instant les yeux vers le plafond. « Luke, tu sais certaines choses mais il y en a d’autres que tu ignores complètement. C’est probablement l’une de tes rares lacunes. Ce que tu ne sais pas, parce que tu ne t’impliques pas en politique, c’est qu’il y a une guerre silencieuse qui a lieu depuis six mois dans l’ombre. L’attaque au Mont Weather ? De nombreuses personnalités de premier plan sont mortes cette nuit-là. Mais beaucoup de personnalités de second plan sont mortes depuis lors. Au moins autant que ceux qui sont morts dans l’attaque. Trudy n’était pas impliquée dans le complot contre Thomas Hayes, mais tout le monde n’en est pas persuadé. Il y a des gens qui cherchent encore à se venger. »
« Alors elle s’est enfuie sur base de tes dires ? »
« Oui, je pense que oui. »
« Est-ce que tu sais où elle est ? »
Don haussa les épaules. « Si je le savais, je ne te le dirais pas. Si elle veut un jour que tu saches où elle se trouve, je suis sûr qu’elle te le dira. »
Luke eut envie de lui demander si elle allait bien, mais il savait que ce n’était pas une bonne idée. Il ne voulait pas donner à Don ce genre de pouvoir sur lui – c’était exactement ce qu’il voulait. Il laissa plutôt le silence se réinstaller entre eux. Les deux hommes restèrent assis dans l’espace minuscule, en se fixant du regard. Ce fut finalement Don qui rompit le silence.
« Alors pour qui est-ce que tu travailles, si tu ne travailles plus pour l’équipe d’intervention spéciale ? J’ai du mal à imaginer Luke Stone rester très longtemps inactif. »
Luke haussa les épaules. « Je travaille en freelance, mais je n’ai qu’un seul client. Je travaille directement pour la Présidente, les rares fois où elle m’appelle. Comme elle l’a fait aujourd’hui, en me demandant de venir te voir. »
Don sourcilla. « En freelance ? Est-ce qu’ils te payent toujours le même salaire, avec des indemnités ? »
« Ils m’ont augmenté, » dit Luke. « En fait, je crois qu’ils m’ont donné ton ancien salaire. »
« Encore des dépenses inutiles, » dit Don, en secouant la tête. « En même temps, je trouve que ça te va plutôt bien. Tu n’as jamais été du genre à travailler du lundi au vendredi. »
Luke resta silencieux. De là où il était assis, il pouvait voir la vue qu’offrait la fenêtre – sur le mur d’une autre aile du bâtiment, avec un petit morceau de ciel nocturne au-dessus.
L’établissement se trouvait dans les Rocheuses – quand Luke était arrivé tout à l’heure, au-delà des tours de guet, du béton et du fil barbelé, il avait été frappé par la vue sur les sommets qui entouraient l’endroit. L’air était frais et il y avait un peu de neige au sommet des montagnes. Même de nuit, l’endroit était magnifique.
Mais les prisonniers ne le verraient jamais. Luke était certain que toutes les cellules de cette prison avaient la même vue sur un mur.
« Qu’est-ce que tu veux, Don ? Susan m’a dit que tu avais des informations importantes mais que tu ne les partagerais qu’avec moi. J’ai une vie un peu mouvementée ces derniers temps, mais je suis venu jusqu’ici parce que c’est mon devoir. Mais vu ton contexte actuel, je me demande vraiment comment tu as pu obtenir ce genre d’informations … »
Don sourit. Mais son regard n’avait absolument rien à voir avec l’émotion que son sourire essayait de transmettre. On aurait dit les yeux d’un alien ou d’un lézard. Il n’y avait aucune empathie dans son regard. C’étaient les yeux d’un être qui pouvait tout aussi bien vous dévorer ou vous fuir, mais qui ne ressentirait rien en le faisant.
« Il y a des hommes très intelligents enfermés ici, » dit-il. « Tu n’imagines pas la complexité du système de communication parmi les détenus. J’adorerais t’en parler davantage – je pense que ça te fascinerait – mais je ne veux pas mettre le système en péril ou me mettre en danger. Mais je vais tout de même te donner un exemple de ce dont je veux parler. Est-ce que tu as entendu l’homme qui hurlait tout à l’heure ? »
« Oui, » dit Luke. « Je n’ai pas bien compris pourquoi. Les gardiens m’ont dit qu’il avait perdu la tête… » Il s’arrêta de parler.
Mais oui, bien sûr. L’homme avait dit quelque chose, quand on savait comment écouter.
« C’est ça, » dit Don. « Je l’appelle le crieur public. Il n’est pas le seul et ce n’est pas le seul moyen utilisé. Loin de là. »
« Alors qu’est-ce que tu as entendu ? » dit Luke.
« Il y a une attaque qui se prépare, » dit Don, en baissant la voix. « Comme tu le sais, beaucoup des hommes incarcérés ici ont des liens avec des réseaux terroristes. Ils ont leurs propres moyens de communication. Ce que j’ai entendu, c’est qu’il y a un groupe en Belgique qui cherche à s’emparer d’anciennes ogives nucléaires qui sont stockées dans le pays. Les ogives se trouvent sur une base de l’OTAN en Belgique et elles ne sont pas sous haute surveillance. C’est plutôt le contraire. Les terroristes, je ne sais pas qui exactement, vont essayer de voler une ogive, ou peut-être un missile, et peut-être pas qu’un seul. »
Luke réfléchit pendant un instant. « Mais à quoi ça leur servirait ? Sans les codes, les ogives ne sont pas opérationnelles. Ils doivent le savoir. Ils risqueraient leur vie pour quelque chose d’inutile. »
« Je suppose qu’ils ont les codes, » dit Don. « Soit ils ont accès aux codes eux-mêmes, soit ils ont découvert un moyen de les générer. »
Luke le regarda. « Il est impossible qu’ils lancent une ogive nucléaire. Sans le dispositif approprié, ils ne généreront jamais l’énergie nécessaire pour la faire exploser. »
Don haussa les épaules. « Crois ce que tu veux croire, Luke. Je me contente de te dire ce que j’ai entendu. »
« C’est tout ? » dit Luke.
« Oui, c’est tout. »
« Pourquoi as-tu choisi de nous en parler ? Si quelqu’un apprend que tu nous as raconté les secrets que tu as entendus ici… eh bien, je pense que communiquer n’est pas la seule chose que ces types peuvent faire. »
Une expression de colère envahit soudain le visage de Don. Ses traits se durcirent et il regarda Luke d’un air rageur. Il prit ensuite une profonde inspiration pour essayer de se calmer.
« Pourquoi est-ce que je ne vous ferais pas part des informations dont je dispose ? J’ai bien peur que tu ne m’aies pas bien compris, Luke. Je suis un patriote, tout autant que toi, si pas plus. Je risquais déjà ma vie pour ma patrie avant même que tu sois né. J’ai fait ce que j’ai fait parce que j’aime mon pays, et pour aucune autre raison. Certains pensent que ce n’était pas la chose à faire et c’est pour ça que je suis là. Mais ne t’avise surtout pas de mettre ma loyauté en doute, ni mon courage. Il n’y a pas un homme dans cette prison qui me fait peur, toi y compris. »
Luke était toujours sceptique. « Et tu ne veux rien en retour ? »
Don resta silencieux pendant un long moment. Il fit un geste en direction du bureau. Puis il sourit.
« Il y a bien quelque chose que je voudrais. Et ce n’est pas trop demander. » Il fit une pause et regarda autour de lui. « Ça ne me dérange pas d’être ici, Luke. Certains détenus perdent vraiment la tête – ceux qui sont peu instruits et qui n’ont pas de richesse intérieure. Mais ce n’est pas le cas pour moi. À tes yeux, je suis enfermé derrière des murs en béton. Mais pour moi, c’est presque comme si j’étais en congé sabbatique. Je n’ai pas arrêté de courir dans tous les sens pendant quarante ans, sans avoir l’occasion de faire une pause. Ces murs ne m’emprisonnent pas. J’ai vécu l’équivalent de la vie d’une dizaine de personnes et tous ces souvenirs sont toujours bien là. »
En disant ces mots, il se tapa le front du doigt.
« Je repense à tout ce que j’ai vécu, à toutes ces missions auxquelles j’ai participé. J’ai commencé à écrire mes mémoires. Je suis sûr que ça pourrait en fasciner plus d’un. »
Il fit une pause et il eut soudain un regard lointain. Il regardait le mur devant lui, en se rappelant un souvenir. « Tu te souviens la fois où on nous a envoyés au Congo pour éliminer le chef de guerre qui se faisait appeler Prince Joseph ? Celui qui avait tous ces enfants soldats ? L’armée du paradis. »




