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Quelques minutes plus tard, le shérif Bateman s’approcha des policiers qui se tenaient près du tableau et accompagna deux officiers vers la porte. La femme policier resta dans la pièce et prit place autour de la table. Bateman ferma la porte et se dirigea vers l’avant de la salle. Il jeta un coup d’œil autour de lui, observant les quatre agents du FBI et les trois policiers qui étaient restés dans la pièce.
« Nous avons commandé à dîner car je n’ai aucune idée de combien de temps notre réunion va durer, » dit-il. « Nous ne sommes pas vraiment habitués à avoir la présence du FBI à Bent Creek, alors c’est assez nouveau pour moi. Agents, dites-moi s’il y a quoi que ce soit que nous puissions faire pour vous faciliter les choses. Pour l’instant, je vous laisse la parole. »
Il s’assit, et Ellington et Thorsson se regardèrent d’un air perplexe. Thorsson sourit et fit un geste en direction de l’avant de la salle, invitant les agents de Washington à prendre la parole.
Ellington donna un léger coup de coude à Mackenzie sous la table et dit : « L’agent White va résumer les informations dont nous disposons pour l’instant, ainsi que toutes les conclusions actuelles. »
Elle savait qu’il cherchait à la taquiner en la jetant ainsi dans la fosse aux lions, mais ça ne la dérangeait pas. En fait, quelque part au fond d’elle, elle avait envie de se retrouver à l’avant de la salle. Peut-être qu’il s’agissait là d’une sorte de fantasme enfantin de prendre sa revanche en revenant dans cette partie du pays et d’y diriger une salle de conférence d’une manière qu’on ne lui avait jamais accordée au Nebraska. Peu importe la raison, elle se dirigea vers l’avant de la salle et jeta un rapide coup d’œil au tableau qui reprenait les informations.
« Le travail effectué ici par vos policiers, » dit-elle, en désignant le tableau du doigt, « reprend l’essentiel de ce que nous savons. La première victime est une résidente de Bent Creek. Naomi Nyles, quarante-sept ans. Sa fille a rapporté sa disparition et personne ne l’a vue depuis deux semaines. Sa voiture a été retrouvée sur le côté de la route, apparemment en bon état. Je pense que les policiers de ce commissariat ont pu démarrer la voiture sans problèmes et la ramener jusqu’ici. »
« C’est bien ça, » dit l’adjoint Wickline. « De fait, la voiture se trouve toujours à la fourrière. »
« La deuxième personne disparue est Crystal Hall, vingt-six ans. Elle travaille pour Wrangler Beef à Des Moines, qui a confirmé qu’elle était venue ici pour visiter une exploitation bovine tout près de Bent Creek. Le propriétaire de l’exploitation confirme que Crystal est venue à la réunion et qu’elle a quitté la propriété un peu après dix-sept heures. Son relevé de carte de crédit confirme qu’elle a acheté à dîner au Subway de Bent Creek à dix-sept heures cinquante-deux. » Elle pointa du doigt en direction de l’endroit sur le tableau où l’un des policiers avait noté cette information.
« La question ici, » dit Bateman, « c’est de savoir à quel moment elle a été enlevée. Sa voiture n’a été découverte que vers une heure et demie du matin. Pour que personne n’ait remarqué sa voiture, ou au moins informé de sa présence, même sur la Route 14, ça veut dire qu’il y a de grandes chances qu’elle ait été ailleurs en ville avant de prendre la route. Je doute sérieusement que quelqu’un soit assez audacieux pour l’enlever entre dix-huit heure trente et dix-neuf heures trente. Et s’ils étaient vraiment aussi téméraires… »
Il s’interrompit, comme s’il n’aimait pas la manière dont son commentaire allait se terminer. Alors Mackenzie prit la liberté de le terminer pour lui.
« Alors ça voudrait dire qu’il s’agit de quelqu’un qui connaît bien la région, » dit-elle. « Et particulièrement le trafic sur la Route 14. Cependant, le profil de ce type ne correspond pas à quelqu’un d’aussi téméraire. Il rôde dans l’obscurité. Il les attaque par surprise. Il n’y a absolument rien de manifeste au sujet de ce type. »
Bateman hocha la tête à ces mots, les yeux écarquillés et un sourire aux lèvres. Elle avait déjà vu ce genre de regard. C’était le regard d’un homme qui était non seulement impressionné par la manière dont elle pensait, mais qui en plus l’appréciait à sa juste valeur. Elle vit le même regard dans les yeux de la femme policier et d’un homme en surpoids assis au bout de la table, qui était encore occupé à profiter du dîner gratuit. L’adjoint Wickline hocha la tête en entendant son commentaire, en gribouillant des notes sur un carnet.
« Shérif, » dit Ellington, « a-t-on une idée du trafic qui passe sur cette route à ce moment-là de la journée ? »
« Un contrôle et un rapport de trafic datant de 2012 évalue à environ une moyenne de quatre-vingt véhicules passant sur la Route 14 entre dix-huit heures et minuit. Ce n’est vraiment pas une route très fréquentée. Mais n’oublions pas que seules l’auteur et Crystal Hall ont été enlevées sur la Route 14. La première personne disparue, Naomi Nyles, a été enlevée sur la route 664. »
« Et il y a beaucoup de trafic sur cette route à cette heure-là de la journée ? » demanda Mackenzie.
« Presque pas du tout, » dit Bateman. « Je pense que la moyenne tourne autour de vingt à trente véhicules. Adjoint Wickline, vous avez d’autres informations à ce sujet ? »
« Non, c’est plus ou moins ça, » dit Wickline.
« Et concernant l’auteur, » continua Mackenzie. « Delores Manning, trente-deux ans. Elle vit à Buffalo mais elle a de la famille près de Sigourney. Ses pneus ont été crevés par des morceaux de verre placés sur la route. Le verre est assez épais et a été peint en noir pour éviter que la lumière des phares s’y reflète. Son agent a déclaré sa disparition environ une demi-heure après que sa voiture ait été découverte par un camionneur vers deux heures du matin. L’agent Ellington et moi-même sommes allés parler avec sa mère et sa sœur aujourd’hui mais elles n’ont pu fournir aucune piste sérieuse. En fait, on dirait qu’il n’y a aucune piste sérieuse concernant aucune de ces disparitions. Et malheureusement, c’est tout ce qu’on a. »
« Merci, agent White, » dit Bateman. « Alors maintenant, quelles sont les prochaines étapes ? »
Mackenzie grimaça et désigna d’un signe de tête la nourriture chinoise à l’arrière de la salle. « Et bien, c’est une bonne chose que vous ayez anticipé. Je pense qu’il faut commencer par réviser tous les cas de disparitions non résolus dans un rayon de cent cinquante kilomètres durant ces dix dernières années. »
Il n’y eut aucune objection mais l’expression sur les visages de Bateman, de Wickline et des autres policiers en disait long. La femme policier haussa les épaules et leva respectueusement la main. « Je peux chercher dans les vieux dossiers et rassembler tout ça, » dit-elle.
« OK, Roberts, » dit Bateman. « Tu penses que tu pourrais avoir préparé tout ça pour dans une heure ? Demande au personnel administratif de t’aider. »
Roberts se leva et sortit de la salle de conférence. Mackenzie remarqua que Bateman la regarda plus longuement que les autres hommes présents dans la salle.
« Agent White, » dit Bateman. « Avez-vous une idée du genre de suspect que nous devrions rechercher ? Dans une petite ville comme Bent Creek, le plus tôt on peut écarter certains profils, le plus vite on peut identifier le type de personne que vous recherchez. »
« Sans aucun type d’indices, c’est difficile de procéder à une identification, » dit Mackenzie. « Mais pour l’instant, il y a certains aspects qui peuvent être considérés. Agent Ellington, voulez-vous prendre la relève à ce sujet ? »
Il lui sourit tout en mordant dans un rouleau de printemps. « Non, allez-y, continuez. Vous faites du bon boulot. »
Il y avait une sorte de va-et-vient bizarre entre eux et elle espérait que les autres personnes présentes dans la salle ne s’en rendaient pas trop compte. Elle avait essayé de se montrer respectueuse – afin qu’il sache qu’elle n’essayait pas de prendre la direction des opérations. Mais il semblait ne pas s’en préoccuper. Pour l’instant, on aurait dit qu’il appréciait presque le fait qu’elle assume la direction.
« Tout d’abord, » dit-elle, en faisant de son mieux pour ne pas se laisser envahir par la pression, « le suspect est presque certainement un gars du coin. Sa capacité à analyser le trafic le long de ces routes secondaires démontre une patience rigoureuse, ce qui rend l’élaboration d’un profil plus facile à réaliser. Si le suspect s’est donné autant de mal pour enlever ces femmes, alors des cas similaires dans le passé impliquant kidnapping et enlèvement suggèreraient qu’il n’enlève pas ces femmes pour les tuer. Comme je le disais, il semble être quelqu’un de sournois. Tout ce que l’on sait à son sujet – les attaquer quand elles sont le plus vulnérable, dans l’obscurité et en préparant apparemment ses actes à l’avance – indique un homme avec des tendances non violentes. Après tout, quel serait l’intérêt de préparer minutieusement un enlèvement si c’est pour tuer la victime quelques instants plus tard ? Tout indique qu’il collectionne ces femmes, à défaut d’un meilleur terme. »
« Oui, » dit Roberts, la femme policière. « Mais les collectionner dans quel but exactement ? »
« Est-ce qu’il serait erroné de penser qu’il pourrait s’agir de crimes liés au sexe ? » demanda l’adjoint Wickline
« Pas du tout, » dit Mackenzie. « En fait, si notre suspect est un timide, c’est là un autre élément de son profil. Les hommes timides qui s’attaquent de cette manière à des femmes sont généralement trop craintifs ou socialement marginalisés pour parvenir à draguer des femmes. C’est généralement le cas avec les violeurs qui font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas faire de mal aux femmes. »
Elle vit quelques regards admiratifs parmi les personnes présentes dans la salle. Mais vu le sujet de discussion, elle ne pouvait pas vraiment s’en sentir fière.
« Mais on ne peut pas en être certain ? » demanda Bateman.
« Non, » dit Mackenzie. « Et c’est là le côté urgent. Ce n’est pas juste un tueur dont on espère qu’il n’agira plus de nouveau. Ce type est dérangé et dangereux. Plus il nous faudra de temps pour le retrouver, plus il aura de temps pour faire ce qu’il veut avec ces femmes. »
CHAPITRE SEPT
L’estomac rempli de nourriture chinoise et avec une multitude d’informations en tête concernant les trois disparues, Mackenzie et Ellington quittèrent le commissariat de police de Bent Creek à 21h15. Le seul motel en ville – un Motel 6 qui semblait ne pas avoir été repeint, décoré ni entretenu depuis les années 80 – se trouvait à seulement cinq minutes de là. Ils ne furent pas surpris d’y trouver facilement deux chambres disponibles qu’ils réservèrent pour la nuit.
Quand ils sortirent du commissariat et se retrouvèrent à l’extérieur, Mackenzie jeta un coup d’œil autour d’elle. Bent Creek était vraiment une toute petite ville. Elle était tellement petite que les commerçants semblaient collaborer entre eux afin de veiller à une utilisation efficace de l’espace. C’était visible dans le fait qu’un petit bar se trouvait de l’autre côté du parking, en face du Motel 6. C’était logique, pensa Mackenzie. Toute personne qui avait besoin d’une chambre de motel à Bent Creek allait probablement avoir envie de prendre un verre quelque part.
Elle avait bien envie d’en prendre un d’ailleurs.
Ellington lui effleura le dos et s’avança en direction du bar. « Allons prendre un verre. C’est moi qui invite, » dit-il.
Elle commençait à apprécier l’humour plutôt simple qui s’était créé entre eux. Ils savaient tous les deux qu’il y avait une sorte de gêne mais ils étaient parvenus à la surmonter. Afin d’éviter qu’elle ne revienne, ils avaient créé une sorte de timide amitié sur base de leur travail – un travail qui leur demandait de penser de manière logique et d’approcher les choses de manière sérieuse. Pour l’instant, ça fonctionnait assez bien.
Elle le rejoignit pour traverser le parking et quand ils entrèrent dans le bar – qui portait le nom vraiment peu original de Bar de Bent Creek – les ténèbres de la nuit furent remplacées par une sorte d’obscurité enfumée qui n’existait que dans les pubs des petites villes. Au moment où ils prirent place au bar, un vieux morceau de Travis Tritt sortait du jukebox poussiéreux qui se trouvait dans un coin. Ils commandèrent une bière et, comme si ce verre en donnait en quelque sorte le signal, Ellington se remit tout de suite en mode professionnel.
« Je pense que ces chemins secondaires qui rejoignent la Route 14 valent la peine d’être examinés de plus près, » dit-il.
« Je pense la même chose, » dit-elle. « Je trouve bizarre qu’ils ne soient mentionnés nulle part parmi les notes résumées sur ce tableau par la police. »
« Peut-être parce qu’ils connaissent mieux la géographie de cette région que nous, » suggéra Ellington. « Ce n’est peut-être que des sentiers en terre battue qui ne mènent nulle part. Il y a une raison pour laquelle tu n’as pas posé la question au moment où tu menais la réunion ? »
« J’ai failli, » dit-elle. « Mais ils avaient fait un tellement bon boulot en rassemblant toutes ces informations… que je n’ai pas voulu froisser des susceptibilités. Le fait d’avoir un département de police coopératif qui se plie en quatre pour nous, c’est nouveau pour moi. Mais je poserai la question demain. Si c’était vraiment important et vital, ils y auraient sûrement déjà pensé ou ils nous l’auraient au moins mentionné. »
Ellington hocha la tête et avala une gorgée de sa bière. « Oh, j’allais presqu’oublier, » dit-il. « J’étais vraiment désolé d’apprendre la nouvelle concernant Bryers. Je n’ai travaillé avec lui que quelques fois et ce n’était pas de manière proche. Mais il avait l’air d’être un type vraiment bien. Et un très bon agent aussi, d’après ce que j’en ai entendu. »
« Oui, c’était vraiment un chouette gars, » dit Mackenzie.
« Je ne sais pas si tu as envie de le savoir ou pas, » dit Ellington, « mais il y a eu beaucoup de polémique concernant le fait que tu sois son partenaire au moment où tu as été admise. Bryers était un élément recherché. Un des meilleurs. Mais quand on lui a fait part de l’idée, il était partant à fond. Je pense qu’il avait toujours voulu être un mentor. Et je pense qu’il a eu la chance de travailler avec un bon élément pour son premier essai. »
« Merci, » dit-elle. « Mais je n’ai pas encore vraiment l’impression d’avoir fait mes preuves. »
« Pourquoi ? »
« Et bien… je ne sais pas. Peut-être que ça arrivera quand je serai capable de résoudre une affaire sans que McGrath ne soit fâché sur moi pour un détail ou un autre. »
« Il ne se fâche que parce qu’il attend beaucoup de toi. Tu es arrivée telle une mèche de dynamite déjà allumée. »
« C’est la raison pour laquelle il nous a fait partenaires sur cette affaire ? »
« Non. Je pense que la raison pour laquelle il voulait que je travaille sur cette affaire est plutôt liée à mes connexions avec le bureau local d’Omaha. Et entre nous, il veut vraiment que tu réussisses sur ce coup. Il veut que tu fasses un malheur. Avec moi comme partenaire, tu ne vas pas pouvoir recourir à une de tes conclusions en solo auxquelles tu es si encline. »
Elle eut envie de se défendre sur ce point mais elle savait qu’il avait raison. Alors, elle opta plutôt pour vider sa bouteille en silence. Le jukebox déversait maintenant du Bryan Adams et elle finit par commander sa deuxième bière.
« Alors dis-moi, » dit Mackenzie. « Si on n’était par partenaires sur cette affaire, comment est-ce que tu l’aborderais ? Tu adopterais quelle approche ? »
« Comme toi. En collaborant étroitement avec les forces de police locales et en essayant de m’en faire des amis. En prenant des notes et en élaborant des théories. »
« Et tu es parvenu à une théorie en particulier ? » demanda-t-elle.
« Aucune que tu n’aies pas déjà mentionnée dans cette salle de conférence. Je pense qu’on va dans la bonne direction… je pense que ce type est une sorte de collectionneur. Un timide est un solitaire. Je suis presque certain qu’il n’enlève pas ces femmes pour les tuer. Tu as tout à fait raison sur tous ces points. »
« Le truc qui me dérange vraiment, » dit Mackenzie, « c’est de penser à toutes les autres raisons qui peuvent le motiver à kidnapper et à collectionner des femmes. »
« Tu as remarqué que le shérif Bateman a pris soin d’avoir une femme policier dans la pièce durant toute la réunion ? » demanda Ellington.
« Oui, Roberts. J’ai supposé que c’était dans le but de maintenir la conversation centrée sur les faits et non sur des spéculations. Spéculations concernant les raisons pour lesquelles le suspect pourrait retenir ces femmes. Parler de viol et d’abus sexuel est un peu plus facile quand il n’y a pas de femme à proximité. »
« Et toi, ce genre de sujet te dérange ? » demanda Ellington.
« Avant, oui, ça me dérangeait. Mais malheureusement, je m’y suis presque fait. Ça ne me dérange plus maintenant. » Ce n’était pas vrai à cent pour cent mais elle n’avait pas envie qu’Ellington le sache. La vérité, c’était que c’était ce genre de choses qui la motivait à être le meilleur d’elle-même.
« C’est nul, tu ne trouves pas ? » demanda-t-il. « Cette part d’humanité qui finit par s’insensibiliser à de telles choses ? »
« Oui, c’est vrai, » dit-elle. Elle se cacha durant un instant derrière sa bière, un peu étonnée qu’Ellington ait franchi un tel pas. C’était peut-être insignifiant pour lui mais ça montrait un certain degré de vulnérabilité.
Elle finit sa bière et la fit glisser vers le bord du bar. Quand le barman s’approcha, elle lui fit un signe de la main. « Non, ça va, merci, » dit-elle. Puis, en se tournant vers Ellington, elle dit : « Tu as dit que tu invitais, c’est bien ça ? »
« Oui, c’est bien ça. Attends un instant et je te raccompagne jusqu’à ta chambre. »
Le léger sentiment d’excitation qu’elle ressentit en entendant cette phrase la mit mal à l’aise. Afin d’interrompre tout de suite cette sensation, elle secoua la tête. « Ce n’est pas nécessaire, » dit-elle. « Je peux prendre soin de moi. »
« Je sais que tu peux, » dit-il, en faisant glisser son propre verre vide vers le bord du bar. « Je prendrai une autre bière, » dit-il au barman.
Mackenzie lui fit un signe de la main en partant. Au moment où elle traversait le parking, une petite partie d’elle-même ne pouvait s’empêcher de se demander ce que ça lui ferait de rentrer au motel accompagnée d’Ellington, poussée par l’incertitude qui les attendait une fois que les portes seraient fermées et les persiennes baissées.
***
Il lui fallut moins de vingt minutes pour que cette petite pointe d’excitation ne disparaisse. Comme à son habitude, elle se mit à travailler pour se distraire de telles tentations. Elle alluma son ordinateur et ouvrit ses emails. Elle y trouva plusieurs messages envoyés par la police de Bent Creek durant la dernière demi-journée – encore une autre façon qu’ils avaient de vraiment la gâter.
Ils avaient envoyé des cartes de la région, les rapports de police concernant les quatre seuls cas de disparition dans le coin durant les dix dernières années, l’analyse de trafic menée par l’état de l’Iowa en 2012, et même une liste de toutes les arrestations effectuées durant les cinq dernières années impliquant des individus ayant des antécédents d’agression. Mackenzie se mit à examiner les informations, en réservant une attention particulière aux dossiers des quatre personnes disparues.
Pour deux d’entre eux, il avait été supposé qu’il s’agissait là de cas de fugues et après avoir lu les rapports de police, Mackenzie était du même avis. Les deux dossiers étaient des exemples types d’adolescents torturés, qui en avaient assez de vivre dans une petite ville et qui avaient fini par quitter la maison familiale plus tôt que leurs parents ne l’auraient voulu. L’un d’entre eux, une adolescente de quatorze ans, avait fini par contacter sa famille il y a deux ans pour leur dire qu’elle vivait plutôt confortablement à Los Angeles.
Les deux autres étaient plus difficiles à comprendre par contre. Un des dossiers concernait un garçon de dix ans qui avait été enlevé sur la plaine de jeux d’une église. Il avait disparu depuis trois heures avant qu’on ne se rende compte de sa disparition. Des rumeurs locales évoquaient le fait que sa grand-mère l’avait enlevé en raison d’une situation familiale compliquée. En tenant compte du drame familial, du sexe et de l’âge de la victime, Mackenzie doutait qu’il y ait là une connexion avec les kidnappings actuels.
Le quatrième dossier était plus prometteur mais semblait toujours assez léger. La première similitude était que ça impliquait un accident de voiture. En 2009, Sam et Vicki McCauley étaient sortis de route durant une tempête de neige. Quand la police et l’ambulance arrivèrent sur place, Sam était mourant et il décéda sur le trajet vers l’hôpital. Il avait supplié de savoir comment allait sa femme. D’après ce que la police avait pu en déduire, Vicki McCauley avait été projetée en-dehors du véhicule mais son corps n’a jamais pu être retrouvé.
Mackenzie examina le rapport de police à deux reprises mais ne parvint pas à y trouver une description précise de ce qui avait causé l’accident. Les mots conditions de verglas étaient utilisés à plusieurs reprises et, bien que ce soit une bonne raison, Mackenzie pensait que ce serait tout de même une bonne idée d’y regarder de plus près. Elle relut le rapport plusieurs fois, ainsi que celui concernant la disparition de Delores Manning. Le fait qu’ils impliquent tous les deux un accident de voiture semblait être la seule connexion entre les deux.
Elle changea alors d’approche et essaya d’intégrer les trois victimes actuelles dans ces scénarios. Mais c’était pratiquement impossible. Les deux affaires inexpliquées étaient probablement des fugues et bien que toutes deux soient des femmes, ça laissait bien trop d’options ouvertes. De plus, les trois victimes actuelles avaient été enlevées dans leurs voitures. Peut-être parce que se retrouver bloqué sur la route arrivait relativement souvent. Mais ça n’avait quand même rien à voir avec l’enlèvement d’adolescentes fugueuses. Ça ne collait pas.
Ce type ne veut pas de fugueuses ou d’adolescentes torturées qui partent de chez elles pour provoquer leurs parents. Il cherche des femmes. Des femmes qui se trouvent, pour une raison ou une autre, seules dans leur voiture pendant la nuit. Peut-être qu’il se rend compte de l’espoir qu’inspire un inconnu apparemment bien intentionné – surtout chez les femmes.
Mais d’un autre côté, elle savait que la plupart des femmes s’attendraient au pire venant d’un inconnu sur le côté de la route. Spécialement si leur voiture était en panne et qu’il faisait noir.
Peut-être qu’elles le connaissaient, alors…
Mais ça avait l’air très peu probable aussi. D’après les informations qu’ils avaient obtenues de Tammy et Rita Manning, Delores ne connaissait probablement personne à Bent Creek.
Elle reprit le dossier des McCauley, principalement parce qu’il s’agissait de la seule affaire avec certaines similarités. Elle afficha à nouveau sa boîte de réception et ouvrit l’email le plus récent envoyé par la police de Bent Creek. Elle y répondit en écrivant :
Un tout grand merci pour votre aide. Je me demandais si vous pourriez me fournir d’autres informations dès que possible. J’aimerais avoir une liste de tous les membres de la famille des McCauley vivant dans un rayon de quatre-vingt kilomètres, ainsi que leurs coordonnées. Si vous avez le numéro de l’agent de Delores Manning, ce serait vraiment super aussi.
Elle se sentait presque paresseuse de demander des informations de cette manière. Mais vu qu’ils s’offraient aussi facilement à les aider, elle pensait bien utiliser la police de Bent Creek autant que possible en tant que ressource.
Une fois qu’elle eut terminé, Mackenzie ouvrit un autre dossier… un dossier qu’elle était parvenue à laisser de côté depuis presque trois semaines maintenant. Elle l’ouvrit, en consulta les documents et afficha une photo.
C’était une carte de visite avec le nom de son père griffonné à l’arrière. De l’autre côté, visible sur une autre photo, se trouvait le nom de l’entreprise en caractères gras : Antiquités Barker : Neuf ou Ancien Rare Collection.






