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– Je suis sûre que vous savez que Bolton Crutchfield est encore dans la nature et que, la semaine dernière, il a kidnappé une fille de dix-sept ans du nom de Hannah Dorsey.
– Je le sais, dit-il sans ajouter quoi que ce soit.
Il n’en avait pas besoin. Il n’était pas nécessaire d’être un profileur criminel renommé pour connaître l’histoire monstrueuse de Bolton Crutchfield, qui avait assassiné des dizaines de gens de manières aussi brutales que raffinées et qui s’était récemment évadé d’un centre de détention psychiatrique.
– OK, poursuivit-elle. Vous savez peut-être aussi que j’ai un petit passé avec Crutchfield, que je l’ai interrogé une bonne dizaine de fois quand il était détenu au centre de détention psychiatrique de la DNR, où il m’avait dit que mon bon vieux papa, le tueur en série, Xander Thurman, était son mentor et qu’ils avaient communiqué l’un avec l’autre.
– Je le savais aussi. Je sais aussi que, malgré son admiration pour votre père, quand il a dû choisir entre vous deux, il vous a avertie que votre père allait s’attaquer à vous et vous a presque sauvé la vie. Cela doit vous donner des sentiments complexes à son égard.
Jessie prit une longue gorgée de son café en se demandant comment répondre.
– Oui, concéda-t-elle finalement, surtout quand il a précisé qu’il comptait dorénavant me laisser tranquille et s’intéresser à autre chose.
– Cela a été une sorte de détente.
Pam revint timidement prendre la commande de Garland.
– Je prendrai la même chose qu’elle, dit-il en désignant le toast de Jessie de la tête.
Pam eut l’air déçue mais ne dit rien et partit dans la cuisine.
– On peut dire ça, dit Jessie. Bien sûr, je n’ai pas voulu faire confiance à ce dangereux assassin quand il m’a dit qu’il allait me laisser en paix. Ensuite, il a enlevé la fille.
– Cela vous a contrariée, précisa Garland tout en sachant que c’était une évidence.
– Oui, dit Jessie. C’était une fille que j’avais trouvée prisonnière de mon père dans une maison avec ses parents adoptifs. Il était en train de la torturer. Elle a tout juste survécu, comme moi. Ses parents adoptifs ont péri. Donc, quand, seulement quelques semaines plus tard, Crutchfield l’a kidnappée et a tué ses parents adoptifs, j’ai pris ça …
– … comme un affront personnel, dit Garland pour compléter sa phrase.
– Exactement, dit Jessie. Et maintenant, après une semaine de congé forcé, une semaine que Hannah a passée dans les griffes de Crutchfield, je reviens travailler aujourd’hui.
– Mais il y a un problème, dit Garland pour suggérer à Jessie d’aller au droit au but, ce qu’elle fit.
– Oui. L’affaire a été attribuée au FBI. Je sais que, quand j’entrerai dans le poste de police, on m’interdira expressément de participer à cette enquête à cause de … mes liens personnels. Cependant, comme je me connais après avoir passé presque trente ans sur cette planète, je sais que je ne pourrai jamais cesser d’y penser pour me consacrer à mon travail normal. Donc, j’ai eu l’idée de demander l’assistance d’un homme qui n’est pas soumis aux règles que l’on va m’imposer.
– Et pourtant, dit Garland quand son toast arriva, j’ai la nette impression que je ne suis pas votre premier choix pour cette tâche.
Jessie ne comprenait absolument pas comment il pouvait le savoir, mais elle n’essaya pas de le nier.
– C’est vrai. Normalement, je ne demanderais pas à un profileur émérite renommé de me faire une faveur si je pouvais l’éviter. Ce que je n’aime surtout pas, c’est de demander à cette personne de faire un sale boulot, comme d’essayer de comprendre discrètement ce qui se passe dans l’enquête de quelqu’un d’autre. Malheureusement, mon premier choix est indisponible.
– Qui est-ce ? demanda Garland.
– Katherine Gentry. Elle a été directrice de la sécurité à la prison de la DNR. Nous sommes devenues amies au cours de mes nombreuses visites. Cependant, quand Crutchfield s’est évadé en faisant assassiner plusieurs gardes, elle a été renvoyée. Depuis, elle est devenue détective privée. Kat est débutante dans ce domaine, mais elle est compétente. J’ai récemment eu recours à ses services.
– Mais … dit Garland pour inviter Jessie à poursuivre.
– Mais, comme elle est impliquée dans une autre affaire qui nécessite beaucoup de surveillance en dehors de cette ville, elle n’a pas vraiment le temps. De plus, j’ai pensé que cela pourrait être un peu trop dur pour elle, vu son lien avec Crutchfield. Je pense qu’elle pourrait être trop proche de l’intéressé.
– Je vois, dit-il d’un ton espiègle. Donc, vous craignez qu’une femme ne soit pas capable d’évaluer objectivement la situation à cause de sa liaison personnelle avec l’intéressé. Est-ce que cette description s’applique à d’autres de vos connaissances ?
Jessie le regarda. Elle savait parfaitement où il voulait en venir. Bien sûr, s’il avait su à quel point cette affaire la touchait, il aurait probablement été encore plus inquiet. Alors, Jessie eut une idée susceptible de l’inciter à changer de regard sur les circonstances.
– Vous avez raison, dit-elle. Je ne suis pas objective et c’est encore plus vrai que vous ne le savez. Vous voyez, Garland, ce que seulement une demi-douzaine de gens savent dans le monde entier, c’est que le père de Hannah Dorsey était Xander Thurman. Elle est ma demi-sœur et j’ai découvert ce fait il y a moins d’un mois. Donc, je ne suis absolument pas objective sur cette affaire.
Garland, qui allait prendre une gorgée de café, s’interrompit brièvement. Apparemment, il pouvait encore ressentir de l’étonnement.
– Ça complique les choses, reconnut-il.
– Oui, dit-elle en se penchant en avant et en regardant Garland Moses avec attention. De plus, je suis presque sûre que Crutchfield l’a enlevée pour qu’elle devienne tueuse en série comme mon père et lui-même. C’est ce que mon père voulait faire de moi. Quand j’ai refusé, il a essayé de me tuer. Je pense que Crutchfield essaie de reprendre là où Thurman s’est arrêté.
– Qu’est-ce qui vous fait penser ça ? demanda Garland.
– Il m’a envoyé une carte postale qui le disait plus ou moins clairement, puis il a écrit un message avec du sang sur un mur de la maison de la famille d’accueil, où il a répété la chose. Il ne fait pas dans la subtilité.
– Il semble effectivement être du style à insister, concéda Garland.
– Tout à fait, dit Jessie en sentant qu’il commençait à s’intéresser à sa demande. Donc, je veux bien admettre que je n’ai pas exactement la tête froide sur cette affaire et je comprends pourquoi le capitaine Decker refuse que j’enquête dessus. Cependant, comme je l’ai dit, je me connais et jamais je ne pourrai faire comme s’il n’y avait pas un tueur en série qui tente de transformer ma demi-sœur en son double personnel. Donc, j’ai pensé que je pourrais m’adresser à quelqu’un susceptible d’être plus rationnel que moi pour se renseigner sur l’affaire et me tenir au courant. Autrement, je vais devenir folle. De plus, il faut que ce soit quelqu’un qui puisse accéder aux informations sans avoir les mains liées par toutes les interdictions de la Police de Los Angeles.
Garland se pencha en arrière dans le box et remonta ses lunettes. Il paraissait perdu dans ses pensées.
– Garland, dit Jessie en chuchotant presque, Bolton Crutchfield essaie de créer un monstre à son image et il le fait avec une fille traumatisée. Ce serait assez terrible, même si elle n’était pas la seule famille qu’il me reste, une sœur dont j’ai tout juste fait la connaissance. Cependant, Crutchfield fait ça volontairement pour jouer avec moi ; c’est un autre de ses jeux sadiques sans fin. Je comprends ce qui se passe. Je le vois clairement. Cependant, si vous pensez que comprendre la situation signifie que je vais pouvoir éviter m’en mêler à cause d’une directive de mon supérieur, vous vous trompez gravement. Si vous refusez, je m’en occuperai moi-même sans penser aux conséquences. Je vous demande votre aide, en partie parce que vous êtes meilleur que moi dans ce domaine, mais aussi en partie pour échapper à moi-même. Je ne veux pas faire dans le dramatique et dire que mon avenir est entre vos mains … Pourtant, mon avenir est bel et bien entre vos mains. Qu’en pensez-vous ?
Garland resta assis en silence pendant un moment. Alors, il se pencha vers Jessie pour répondre. Soudain, le téléphone portable de Jessie sonna. Elle y jeta un coup d’œil. C’était Ryan. Elle le laissa enregistrer un message audio et releva les yeux vers le vieil homme assis devant elle. Alors, elle sentit une vibration. Quand elle baissa les yeux, elle vit un SMS de Ryan qui disait simplement « 911 », leur code pour « Décroche ». Une seconde plus tard, le téléphone sonna à nouveau. Elle décrocha.
– Je suis occupée, dit-elle.
– Il y a eu un homicide au Bonaventure Hotel, dit Ryan. Decker nous a attribué l’affaire. Il dit qu’il remet à plus tard notre réunion avec lui et qu’il veut qu’on aille sur les lieux le plus vite possible. Je viens te chercher maintenant. Je serai là dans deux minutes.
Il décrocha avant qu’elle ait pu répondre. Elle se tourna vers Garland.
– On vient de me dire d’aller sur une scène de crime. L’inspecteur Hernandez vient me chercher. J’ai besoin d’une décision. Que dites-vous, Garland ?
CHAPITRE TROIS
Dans la voiture, Jessie tenait la poignée comme si elle s’attendait à un accident.
Ryan avait allumé la sirène et fonçait dans les rues du centre-ville en prenant ses tournants de façon brusque. Apparemment, les médias savaient déjà qu’on avait trouvé un cadavre dans un hôtel chic et une foule se formait à l’extérieur. Ryan voulait y arriver avant que l’endroit ne devienne trop chaotique.
Bousculée dans la voiture, Jessie était silencieuse et satisfaite de n’avoir mangé que des toasts au petit-déjeuner. Elle était chamboulée mais, malgré cela, elle ne retenait qu’une chose. Garland Moses avait dit oui.
Cela signifiait que, si elle pouvait se forcer à profiter au maximum de son implication, elle ne serait pas obligée de s’inquiéter de la disparition de Hannah à tout moment d’inactivité. À présent, elle avait quelqu’un qui s’y intéressait et elle avait confiance en cet homme pour qu’il progresse et la tienne réellement au courant de la progression de l’affaire. Pour ne pas perdre la tête, il faudrait qu’elle lui accorde sa confiance et évite d’en faire une obsession permanente.
Ce qui était tout aussi important si elle voulait se rendre utile dans cette affaire au Bonaventure, ou dans celles qui suivraient, c’était qu’elle garde les idées claires. Quelle que soit l’identité de la victime qui se trouvait dans cette chambre d’hôtel, Jessie devrait fournir son analyse la plus pertinente et la plus épurée qui soit. Comme s’il avait lu dans ses pensées, Ryan prit la parole.
– Ce n’était pas mon idée.
– Que veux-tu dire ? demanda-t-elle.
– J’avais pensé que nous devrions reprendre le travail tranquillement en passant au moins un jour ou deux à rattraper des tâches bureaucratiques et barbantes, mais le capitaine Decker a insisté pour que tu m’accompagnes.
– Ça ne lui ressemble pas, précisa-t-elle.
– En temps normal, non, convint-il, mais il a dit très précisément qu’il tenait à ce que tu travailles immédiatement sur une affaire pour que tu sois occupée. Il ne veut pas que tu t’intéresses à l’affaire Dorsey et il a considéré que la meilleure façon d’empêcher que ça n’arrive était de t’occuper.
– Il a dit ça ? demanda Jessie.
– Plus ou moins. En fait, je pense qu’il voulait que je te le dise, un peu comme un avertissement.
– OK, c’est noté, dit Jessie en se demandant brièvement s’il fallait qu’elle parle à Ryan de son entretien avec Garland Moses.
Ryan savait que Hannah était sa demi-sœur, mais pas grand-chose de plus. De plus, Jessie n’avait pas dit à Ryan qui elle était allée voir ou pourquoi. Il semblait supposer qu’elle était allée retrouver Kat Gentry et Jessie n’avait pas corrigé son erreur. Elle craignait qu’il soit en danger d’un point de vue professionnel s’il savait qu’elle tentait de se renseigner sur l’affaire de Hannah. Elle ne voulait pas qu’il soit obligé de mentir au patron pour la protéger si sa tentative était révélée.
Cependant, d’un autre point de vue, si elle ne disait rien à Ryan, cela ressemblerait à une sorte de trahison personnelle. Elle jeta un coup d’œil à Ryan Hernandez, son aîné de deux ans, et elle se demanda silencieusement ce qu’elle lui devait. Après tout, même s’il était inspecteur et elle profileuse, ils travaillaient ensemble sur la plupart des affaires et étaient des associés informels, même si ce n’était pas officiel.
Au-delà de ça, pendant les quelques dernières années, leur relation avait évolué. De purement professionnelle, elle était devenue professionnellement amicale, authentiquement amicale puis, maintenant, c’était autre chose. Quelques mois auparavant, la femme de Ryan avait demandé le divorce après six ans de vie en couple et, après quelques ambiguïtés linguistiques embarrassantes, Ryan avait récemment avoué à Jessie que ce qu’il ressentait pour elle dépassait la sphère professionnelle.
Jessie ressentait la même chose depuis assez longtemps, mais elle n’était jamais passée à l’action. Elle l’avait trouvé séduisant dès qu’elle l’avait rencontré, le jour où il avait donné une conférence en tant qu’invité à un cours auquel Jessie avait assisté. À ce stade, elle n’avait pas encore connu son pedigree impressionnant en tant qu’inspecteur dans une unité d’élite de la division vols-homicides de la Police de Los Angeles nommée la Section Spéciale Homicide ou SSH. La SSH traitait les homicides à profil élevé ou qui bénéficiaient d’une grande attention des médias, souvent avec plusieurs victimes ou avec des tueurs en série.
Tout cela ne faisait que lui prêter encore plus de charme. Ryan mesurait un mètre quatre-vingt-deux et pesait quatre-vingt-dix kilos de muscles durcis par la rue. Et pourtant, sous ses cheveux noirs courts, ses yeux marron dégageaient une chaleur inattendue.
Maintenant que seuls leurs problèmes personnels les empêchaient d’aller plus loin, ils s’observaient mutuellement. Ils s’étaient embrassés une fois, mais ça s’était arrêté là. Pour être honnête, Jessie ne savait pas s’ils étaient prêts à aller plus loin.
– Parle-moi de l’affaire, dit-elle en décidant de ne pas lui parler de son entretien avec Garland Moses, ou du moins pour l’instant.
– Je ne sais pas grand-chose pour l’instant, dit Ryan. Le corps a été découvert par une femme de chambre il y a moins d’une heure ; c’est un homme de la quarantaine, nu. Le portefeuille était vide : ni carte d’identité ni cartes de crédit ni liquide. La cause initiale du décès semble être la strangulation.
– Ne peuvent-ils l’identifier en cherchant qui a réservé la chambre ?
– C’est un peu bizarre, ça aussi. Apparemment, la carte qui a été utilisée pour réserver la chambre est celle d’une société écran. Quant au nom inscrit sur le registre, c’est John Smith. Je suis sûr qu’on trouvera qui c’est mais, pour l’instant, nous avons une victime inconnue.
Ils arrivèrent au grand Bonaventure Hotel, avec ses plusieurs tours et ses célèbres ascenseurs extérieurs, qui avaient été rendus célèbres par le film Dans la ligne de mire. Ryan montra son badge pour passer la barricade des policiers et s’arrêta près de l’entrée du quai de chargement.
Un agent de police en uniforme les accueillit, les emmena au monte-charge et, de là, dans l’énorme hall central. Quand ils le traversèrent pour se rendre aux ascenseurs principaux, Jessie ne put s’empêcher d’être stupéfiée par la taille et le nombre d’atriums, de halls et d’escaliers qui se croisaient les uns les autres. C’était comme si l’endroit avait été expressément conçu pour qu’on s’y perde.
Suivant Ryan et l’agent de police, elle prit son temps, laissa partir les complications de la matinée et se concentra sur sa tâche actuelle. Son travail était de profiler ce crime, de déterminer quels pouvaient être les coupables potentiels. Cela signifiait qu’il fallait qu’elle prenne conscience du cadre dans lequel le crime avait eu lieu, pas juste la chambre mais aussi l’hôtel. Il était possible qu’il s’y soit passé une chose qui, bien qu’ayant eu lieu hors de la chambre, aurait pu avoir une influence sur les événements qui s’étaient déroulés dans cette chambre. Elle ne pouvait rien ignorer.
Ils passèrent un groupe de touristes qui, excités, se dirigeaient vers une sortie dans une tenue qui suggérait qu’ils allaient à un parc d’attractions célèbre. Juste derrière eux, dans un open bar circulaire qui s’appelait le Lobby Court, plusieurs hommes en costume commençaient à boire tôt. Quelques hommes costauds en blazers bleus identiques allaient çà et là. Avec leurs oreillettes, ils appartenaient manifestement à la sécurité. Jessie ne put décider si leur but était d’être authentiquement discrets ou juste d’en donner l’impression.
Quand ils atteignirent les ascenseurs, un des hommes en blazer se joignit à eux et attendit en silence qu’un autre arrive.
– Comment se passe votre matinée ? lui demanda joyeusement Jessie, incapable d’accorder à l’homme la solennité qu’il cherchait visiblement à inspirer.
Il hocha la tête mais ne dit rien.
– Vous finissez votre service ou vous le commencez ? insista-t-elle d’un ton plus sévère, agacée qu’il ne réponde pas.
Il la regarda, puis regarda Ryan, qui le contempla froidement. Alors, il répondit à contrecœur.
– J’ai commencé à six heures. Nous avons reçu l’appel de la femme de chambre à sept heures, dit-il pour répondre à la question implicite de Jessie.
– Pourquoi les femmes de ménage sont-elles allées dans la chambre si tôt ? demanda Jessie. Y avait-il une demande de nettoyage sur la poignée de porte ?
– Elle a dit qu’une odeur venait de la chambre.
Jessie se tourna vers Ryan, qui avait une expression résignée.
– Quel début de matinée, dit-elle en lisant dans ses pensées.
L’ascenseur arriva et ils y entrèrent. Le garde les accompagna au quatorzième étage. Quand ils montèrent, Jessie ne put s’empêcher de s’émerveiller devant la vue. L’ascenseur faisait face à Hollywood Hills et, par cette matinée assez claire, le panneau blanc « Hollywood » leur renvoyait son éclat et donnait l’impression d’être assez proche pour qu’on le touche. L’Observatoire Griffith était niché aux alentours, au sommet d’une colline du parc. Divers studios d’enregistrement parsemaient l’espace intermédiaire et il y avait des milliers de véhicules dans les rues embouteillées.
Un ding mélodieux la remmena au moment présent et Jessie sortit, suivant le garde et Ryan vers le fond du hall. Alors qu’ils n’étaient qu’à mi-chemin, Jessie sentit ce qui avait dû attirer l’attention de la femme de chambre.
C’était l’odeur de gaz putrides et pleins de bactéries qui, venant du corps de la victime, s’accumulaient puis en sortaient, souvent avec des liquides tout aussi malodorants. Même si c’était toujours désagréable, Jessie s’y était quelque peu habituée. Elle ne pensait pas qu’une femme de chambre connaîtrait aussi bien cette odeur ou la tolérerait aussi facilement.
Un agent de police qui attendait devant la porte reconnut Ryan et tendit, à lui et à Jessie, des pantoufles en plastique. Alors, il souleva le ruban de la police pour qu’ils puissent entrer. Jessie ressentit une satisfaction dont elle reconnut la petitesse quand l’agent de police refusa de laisser entrer le garde de la sécurité de l’hôtel.
Une fois à l’intérieur, elle resta à côté de la porte et examina la scène. Plusieurs techniciens de la scène de crime prenaient des photos et relevaient les empreintes digitales présentes dans la chambre. Plusieurs petites marques dans la moquette avaient été notées et on leur avait attribué des numéros de preuves.
Le corps gisait sur le lit, nu, gonflé et découvert. La description initiale de la victime semblait exacte. L’homme paraissait avoir une quarante d’années. Quand Jessie se rapprocha, elle constata clairement qu’il avait effectivement été étranglé. Des marques de doigts violacées et bleuâtres lui couvraient le cou, même si l’on remarquait qu’il n’y avait ni marques ni coupures susceptibles de suggérer que l’assassin y avait planté les ongles.
L’homme était en un état décent, si l’on oubliait le gonflement. Il était visiblement riche. Ses ongles des doigts avaient été récemment manucurés, une greffe de cheveux avait été effectuée à grand-peine pour placer un peu de gris au milieu de ses cheveux noirs et on voyait aussi quelques injections apparemment artisanales de Botox près de ses yeux, de sa bouche et de son front.
Ses chaussettes, qui souffraient maintenant sous l’excès de fluides qui s’accumulait à ses chevilles, s’accrochaient tristement à ses pieds. Ses chaussures se trouvaient à côté du lit. Ses vêtements, qui comprenaient un costume visiblement cher, un caleçon et un tee-shirt, étaient soigneusement pliés sur le dossier d’une chaise de bureau.
Dans la chambre, on ne voyait pas d’autres affaires personnelles, pas de valise, pas de vêtements supplémentaires, ni montre ni lunettes sur la table de nuit. Jessie jeta un coup d’œil dans la salle de bain et y vit la même chose : pas d’affaires de toilette, pas de serviettes mouillées, rien qui suggère que cet homme ait passé beaucoup de temps dans la chambre.
– Téléphone portable ? demanda Ryan à l’agent de police qui se tenait dans le coin.
– Nous l’avons trouvé dans la poubelle, lui dit l’enquêteur de la scène de crime. Il était en morceaux, mais les techniciens pensent qu’ils pourront récupérer ses données. La carte SIM était encore à l’intérieur. On l’emmène au labo en ce moment.
– Portefeuille ? demanda Ryan.
– Il était par terre près du lit, dit l’enquêteur, mais il avait été vidé. Presque tout ce que l’on aurait pu identifier avait disparu : pas de cartes de crédit ou de permis de conduire. Il y avait quelques photos d’enfants. Je suppose qu’on pourra s’en servir pour trouver l’identité. Cependant, je soupçonne que le téléphone portable nous rendra ses résultats plus vite.
Jessie se rapprocha du corps en s’assurant d’éviter tous les marqueurs de preuves présents sur la moquette.
– Pas de blessures défensives visibles, remarqua-t-elle. Pas d’égratignures sur ses mains. Pas de bleus aux doigts.
– J’ai du mal à imaginer qu’il se soit allongé là et s’y soit étouffé tout seul, à moins que ça n’ait fait partie d’un jeu sexuel. Bien sûr, on connaît ce cas de figure, dit Ryan en faisant allusion à une affaire compliquée comprenant des éléments de sadomasochisme qu’ils avaient résolue récemment.
– Ou on l’a peut-être drogué, répliqua Jessie en désignant le verre vide qui se trouvait sur le bureau près d’un autre marqueur de preuve. Si quelqu’un a mis quelque chose dans sa boisson, ça l’a peut-être empêché de se battre.
– Donc, je suppose que nous pouvons écarter l’hypothèse du suicide, dit Ryan en approchant du corps.
– S’il s’était fait ça, ce serait extraordinaire, dit Jessie.
Elle regarda l’expression de Ryan passer de l’amusement à la curiosité.
– Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.
– Je pense que je reconnais ce gars.
– Vraiment ? dit Jessie. Qui est-ce ?
– Je n’en suis pas sûr. Je pense qu’il pourrait être un politicien local, peut-être à la mairie.
– Nous devrions comparer sa photo à celle des politiciens locaux et des autres officiels, suggéra Jessie.
– Exact, convint-il. Si ça se confirme, alors, nous devrons envisager un mobile politique.
– C’est vrai. Peut-être quelqu’un a-t-il désapprouvé un de ses votes récents ou prévus. Bien sûr, on penserait que lui montrer des photos de lui-même drogué et nu dans une chambre d’hôtel aurait été tout aussi efficace.
– Bien vu, concéda Ryan. Peut-être cela devait-il servir de message à l’intention de quelqu’un d’autre.
– C’est une autre possibilité, dit Jessie en regardant dans la chambre au cas où quelque chose lui aurait échappé, mais je trouve que, en matière de message, deux balles dans la nuque auraient eu plus d’impact. Je pense qu’il faut que nous trouvions qui est ce gars avant de pouvoir tirer de vraies conclusions.
Ryan approuva d’un hochement de tête.
– Et si on allait à la réception ? dit-il. Voyons ce qu’ils peuvent nous dire sur John Smith.
*Le réceptionniste qui avait inscrit John Smith de City Logistics au registre avait fini son service à six heures du matin et il fallut le rappeler. Pendant qu’ils attendaient qu’il arrive, Ryan ordonna au bureau de la sécurité de fournir toutes les vidéos qui montraient l’enregistrement et toutes les utilisations de la carte électronique de la porte de la chambre d’hôtel louée par l’homme mort.











