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« Comment s’appelle-t-il ? » demanda Kate.
« Jeremy Branch. »
« Tu as dit qu’il avait quitté l’école. Est-ce que tu sais où il travaille ? »
« Non, pas vraiment. Il fait des petits boulots de temps en temps en forêt, il coupe du bois ou aide les équipes d’abattage. Mais selon Mercy, la majorité du temps, il se contente de traîner chez son grand frère et de boire toute la journée. Je n’en suis pas tout à fait sûre, mais je pense qu’il vend de la drogue. »
Kate fut presque désolée pour Anne. À voir l’expression sur le visage de ses parents, il était clair qu’ils allaient avoir une sérieuse discussion avec elle quand Kate et DeMarco seraient parties. En sachant ça, Kate s’approcha d’Anne et s’assit à côté d’elle, à l’endroit où son père se trouvait quelques minutes plus tôt.
« Je sais que c’était difficile pour toi de nous raconter tout ça, » dit Kate. « Mais tu as fait ce qu’il fallait faire. Tu nous a donné une piste potentielle qui va peut-être nous permettre de découvrir ce qui s’est passé. Je te remercie, Anne. »
Sur ces mots, elle fit un geste poli de la tête en direction des parents d’Anne et prit congé. En se dirigeant vers leur voiture, DeMarco sortit son téléphone. « Tu sais où se trouve Deerfield ? » demanda-t-elle.
« À une vingtaine de minutes dans les bois, » dit Kate. « Si tu pensais que Deton était une petite ville, tu n’as encore rien vu. »
« J’appelle le shérif Barnes pour voir s’il a une adresse à nous donner. »
Et c’est exactement ce qu’elle fit au moment où elles entrèrent dans la voiture. Kate eut soudain un regain d’énergie. Elles avaient une piste, l’aide de la police locale et le reste de la journée devant elles. En sortant de l’allée des Pettus, elle ne put s’empêcher d’avoir plutôt bon espoir.
CHAPITRE QUATRE
Bien que DeMarco ait obtenu une adresse très claire de Barnes, Kate ne put s’empêcher de se demander si Barnes ne s’était pas trompé ou si DeMarco avait mal compris. Elle repéra l’adresse de la maison cinq minutes après être entrée dans Deerfield, collée en lettres noires sur une boîte aux lettres miteuse. Mais au-delà de la boîte aux lettres, il n’y avait rien d’autre que des champs et des forêts, comme dans le reste de cette localité de Deerfield en Virginie.
À environ deux mètres de la boîte aux lettres, elle vit des traces qui ressemblaient vaguement à une sorte d’allée. De mauvaises herbes avaient poussé un peu partout, en cachant presque l’entrée. Elle s’engagea dans l’allée et se retrouva sur un étroit sentier en terre qui menait à un espace ouvert plusieurs mètres plus loin. Ça devait être une sorte de jardin qui n’avait probablement pas été tondu depuis très longtemps. Elle y vit trois voitures garées, dont deux étaient de véritables épaves. Elles étaient garées le long d’un tronçon qui devait correspondre au bout de l’allée.
À quelques mètres des voitures, se trouvait un grand mobile home, installé à proximité de la vaste forêt qui s’étendait derrière. C’était le genre de mobile home qui ressemblait beaucoup à une maison, vu de l’extérieur, et qui aurait pu être un endroit assez joli s’il avait été bien entretenu. Mais le porche avant penchait légèrement et une des rambardes manquait. Il y avait également une gouttière qui pendait sur le côté droit et le jardin était envahi de mauvaises herbes.
Kate et DeMarco se garèrent derrière les voitures et s’avancèrent lentement en direction de la maison. Les mauvaises herbes arrivaient aux genoux de Kate.
« J’ai l’impression d’être en safari, » dit DeMarco. « Tu as pris ta machette ? »
Kate se contenta de sourire, les yeux rivés sur la porte d’entrée. Avec ce qu’Anne Pettus leur avait raconté, elle était presque sûre de savoir ce qu’elles allaient trouver à l’intérieur : Jeremy Branch et son grand frère, occupés à ne rien faire. Il y aurait probablement une vague odeur de poussière et de poubelles, peut-être même de marijuana. Il y aurait des bouteilles de bières qui traîneraient un peu partout autour de fauteuils bon marché, qui seraient tournés vers un grand écran de télé. Elle avait vu ce genre d’intérieurs un nombre incalculable de fois, surtout quand il s’agissait de jeunes désœuvrés vivant à la campagne.
Elles montèrent les marches qui menaient au porche et Kate frappa à la porte. Elle entendit le murmure d’une musique venant de l’intérieur, un air assez violent mais à faible volume. Elle entendit également des pas lourds s’approcher de la porte. Quand elle s’ouvrit quelques secondes plus tard, elle vit un jeune homme en débardeur et en short. Il était mal rasé, son bras gauche était couvert de tatouages et ses deux oreilles étaient percées.
Il commença d’abord par sourire en voyant deux femmes devant sa porte d’entrée mais très vite, il parut se rendre compte de la situation. Ce n’était pas juste deux femmes – c’était deux femmes habillées de manière professionnelle et avec un air sérieux sur le visage.
« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il.
DeMarco montra son badge, en faisant un pas en direction de la porte. « Agents DeMarco et Wise, » dit-elle. « Nous aurions aimé parler à Jeremy Branch. »
Le jeune homme eut l’air sincèrement étonné et un peu effrayé. Il fit un pas en arrière et il les regarda d’un air confus. « C’est… eh bien, c’est moi. Mais pourquoi voulez-vous me parler ? »
« J’imagine que vous avez entendu parler de ce qui est arrivé à une jeune fille de Deton, » dit Kate. « Une jeune fille du nom de Mercy Fuller. »
L’expression de son visage indiqua à Kate tout ce qu’elle avait besoin de savoir. Sans même dire un mot, son expression confirmait qu’il connaissait Mercy. Il hocha la tête et jeta un regard derrière lui, vers l’intérieur du mobile home, comme s’il cherchait l’aide de son grand frère.
« Pouvez-vous me le confirmer ? » demanda Kate.
« Oui, j’ai entendu parler de ce qui est arrivé. Elle a disparu et ses parents ont été tués, c’est bien ça ? »
« C’est ça. Monsieur Branch, est-ce que nous pouvons entrer un moment pour vous parler ? »
« Eh bien, ce n’est pas chez moi. C’est chez mon frère. Et je ne sais pas s’il… »
« Je ne sais pas si vous savez comment ça fonctionne, » dit Kate. « Nous aimerions entrer pour vous parler. On peut le faire ici ou, sur base de ce que nous savons à votre sujet, on peut le faire au commissariat de police de Deton. C’est vous qui choisissez. »
« Oh, » dit-il. Il avait l’air acculé, comme un animal traqué qui chercherait une porte de sortie. « Eh bien, alors, j’imagine que je peux… »
Il s’interrompit et leur claqua la porte au visage. Après le rapide sursaut de surprise qui s’ensuivit, Kate entendit des bruits de pas rapides dans la maison.
« Il prend la fuite, » dit Kate.
Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de rouvrir la porte, DeMarco sautait déjà du porche et se précipitait vers l’arrière du mobile home. Kate sortit son arme, ouvrit la porte et entra.
Elle entendit des pas plus loin à l’arrière de l’habitation et le bruit d’une autre porte qui s’ouvrait. Une porte arrière, pensa Kate. J’espère que DeMarco va parvenir à l’intercepter.
Kate se rua à travers le mobile home et remarqua que ses suppositions étaient bien fondées. Il y avait une légère odeur d’herbe, mélangée à une odeur de bière renversée. Elle traversa la cuisine et entra dans un couloir qui menait à deux chambres à coucher. Là, au bout du couloir, une porte arrière était encore légèrement ouverte, indiquant qu’il était sûrement passé par là. Elle se précipita vers la porte et l’ouvrit entièrement, prête à se défendre si nécessaire. Mais elle avait vu de la peur dans les yeux de Jeremy. Il n’allait pas les attaquer, il avait l’intention de les semer. Et s’il parvenait jusqu’à la forêt qui ne se trouvait qu’à une quinzaines de mètres, il était très possible qu’il y parvienne.
Elle le vit qui courait en direction de l’orée du bois mais elle vit également DeMarco. Elle le rattrapait depuis le côté gauche de la maison. Elle n’avait pas pris la peine de sortir son arme ni de lui crier de s’arrêter. Kate fut stupéfaite par la rapidité de sa co-équipière. Elle courait à une vitesse qui surpassait largement celle de l’adolescent.
Elle le rattrapa juste au moment où Jeremy atteignait la première rangée d’arbres de la forêt. DeMarco tendit le bras, l’attrapa par l’épaule et le força à se retourner vers elle. Jeremy tourna sur lui-même comme une toupie et pivota à trois cent soixante degrés avant de perdre l’équilibre et de tomber au sol.
Kate se dépêcha de descendre la volée de marches branlantes qui se trouvaient à l’arrière du mobile home pour rejoindre DeMarco et l’aider à menotter Jeremy Branch.
« En prenant la fuite, » dit Kate, « tu nous incites à penser que tu as quelque chose à cacher. Et tu viens de rendre notre choix plus facile. On te posera nos questions au commissariat. »
Jeremy Branch resta silencieux. Il haletait pendant que DeMarco le remettait sur pieds, avec les poignets menottés derrière le dos. Il avait l’air abasourdi et désemparé, pendant qu’elles l’amenaient jusqu’à la voiture. Et quand il jeta un regard nerveux en arrière en direction du mobile home, Kate fut certaine qu’elles y trouveraient assez d’indices pour que Jeremy et son frère aient de gros ennuis, même en faisant abstraction de la disparition de Mercy Fuller.
***
Il ne fallut pas très longtemps pour fouiller la maison. Pendant que DeMarco restait à l’extérieur, Kate alla examiner les lieux et en moins de quinze minutes, elle trouva assez de preuves pour attirer de gros ennuis aux frères Branch.
Elle retrouva plus de deux cents grammes de cocaïne dans l’une des chambres à coucher, avec une demi-douzaine de pilules d’ecstasy. Dans l’autre chambre, elle trouva plusieurs petits sachets d’herbe, une douzaine de pilules d’ecstasy et quelques flacons d’analgésiques. Mais la cerise sur le gâteau, ce fut quand Kate trouva un petit carnet noir en-dessous du lit de la deuxième chambre à coucher. C’était un genre de livre de comptes, où était indiqué qui devait de l’argent et pour quoi.
Elle avait également déduit que la première chambre à coucher était celle de Jeremy Branch, en raison d’une photo plutôt provocatrice qui se trouvait à côté de son lit. On y voyait Jeremy et Mercy Fuller, pratiquement nue. Mais elle ne trouva aucun journal, ni ordinateur portable, et aucun signe qui pourrait indiquer qu’il était impliqué dans sa disparition ou dans la mort de ses parents.
Mais elle découvrit également autre chose. Quelque chose qui répondait au moins à une question. Dans la petite salle de bains à côté de la chambre de Jeremy, Kate trouva du dentifrice de voyage, du déodorant pour femme et une petite brosse à dents neuve. Apparemment, Mercy avait acheté ces articles pour les garder ici et couvrir toute trace qu’elle ait pu coucher avec un garçon avant de rentrer chez elle.
Elle ressortit du mobile home et traversa les hautes herbes jusqu’à la voiture. « Tous les articles de toilette de voyage sont dans la salle de bains de Jeremy. Apparemment, Mercy les gardait tous ici. »
« C’est… mignon, j’imagine ? »
« Ou un peu obsessionnel, » suggéra Kate, en s’asseyant derrière le volant. « Nous savons maintenant aussi une des raisons pour laquelle il a pris la fuite. »
À l’arrière de la voiture, Jeremy se mit à parler, d’une voix paniquée et remplie de peur. « Tout ça, c’est à mon frère. »
« Alors il en cachait un peu dans ta chambre, c’est ça ? »
« Oui, il vend de la drogue et… et… »
« Garde ta salive pour le commissariat, » dit Kate. « De toute façon, la drogue, c’est secondaire pour l’instant. »
« Je n’ai rien à voir avec ce qui est arrivé à Mercy ou à ses parents, » dit-il. « Je le jure. »
« J’espère, » dit Kate, en démarrant la voiture. « Mais on verra. »
CHAPITRE CINQ
Cette fois-ci, quand elles entrèrent dans le commissariat de Deton, le bureau de la réception était occupé par une femme qui semblait faire partie du décor depuis de nombreuses années. Elle avait facilement la soixantaine et quand elle leva les yeux vers Kate, DeMarco et Jeremy Branch, elle leur adressa un sourire bien rodé. Mais quand elle comprit à qui elle avait affaire, son sourire disparut et elle redevint tout de suite sérieuse.
« Vous êtes les agents ? » demanda-t-elle.
« Oui, madame, » dit DeMarco. « Vous savez où on peut mettre monsieur Branch ? »
« Pour l’instant, dans la salle d’interrogatoire. J’appellerai le shérif pour lui dire que vous êtes là. Suivez-moi. »
La femme les guida à travers l’espace de bureau ouvert et elles prirent le même couloir où Barnes les avait amenées plus tôt dans la journée. Elle ouvrit la porte de la deuxième salle sur leur droite. La pièce ressemblait beaucoup à celle où elles avaient rencontré l’officier Foster lors de leur première visite au commissariat. Il y avait une vieille table assez usée, avec une chaise de chaque côté.
« Assieds-toi, » dit DeMarco à Jeremy, en le poussant légèrement en direction de la table.
Jeremy obtempéra, sans résister. Quand il fut assis, il croisa ses mains menottées devant lui et les fixa des yeux.
« En quoi consistait votre relation avec Mercy Fuller ? » demanda Kate.
« Je la connaissais à peine. »
« J’ai vu une photo dans ta chambre qui prouve le contraire. »
« Et si je vous disais qu’elle était aussi… eh bien, aussi affectueuse avec la plupart des garçons ? »
« Eh bien, je dirais que ce serait une accusation plutôt osée à l’encontre de quelqu’un. Surtout dans une ville comme celle-ci, concernant une fille qui vient juste de perdre ses deux parents. »
Jeremy soupira et haussa les épaules. Son attitude nonchalante énervait Kate mais elle fit de son mieux pour rester professionnelle.
« Je vous l’ai déjà dit… Je ne sais rien concernant cette famille. »
« Tu mens, » dit Kate. « Et il faut que tu saches une chose. Tu peux continuer à mentir, mais c’est une petite ville, ne l’oublie pas. Je pourrai facilement savoir si tu m’as menti. Et si c’est le cas, alors on va commencer à creuser sur votre petit trafic de drogues. Peut-être que nous retrouverons certains des clients dont ton frère a écrit le nom sur le petit cahier noir en-dessous de son lit. Peut-être qu’on leur dira que c’est toi qui nous as dit où se trouvait le cahier. »
Les yeux de Jeremy s’écarquillèrent à ces mots et il commença à gigoter sur sa chaise. Kate se dit qu’elles devraient peut-être aussi interroger son frère. Elle se demanda lequel des deux craquerait le premier, une fois mis sous pression.
Mais apparemment, elle n’allait pas devoir en passer par là. Elle put pratiquement voir le moment où Jeremy Branch décida que sa propre survie était plus importante que tout.
« OK, je la connais. Mais on ne sortait pas officiellement ensemble. On se voyait juste de temps en temps. »
« Alors, c’était essentiellement une relation sexuelle ? »
« Oui. Et rien de plus. »
« Ça ne te dérangeait pas qu’elle n’ait que quinze ans ? »
« Un peu. Je me suis dit que j’arrêterais de la voir le jour où j’aurais mes dix-huit ans. Pour éviter d’avoir des problèmes, vous voyez ? »
« À quand remonte la dernière fois où tu l’as vue ? » demanda DeMarco.
« Il y a environ une semaine. »
« Elle est venue chez toi ? »
« Oui. On avait ce genre de plan entre nous. Quand elle avait envie de me voir, elle m’envoyait un message et j’allais la chercher sur Waterlick Road. Elle disait à ses parents qu’elle allait chez une amie et j’allais la chercher pour la ramener chez moi. »
« Ça durait depuis combien de temps ? » demanda Kate.
« Quatre ou cinq mois. Écoutez… je sais que ça peut paraître dégueulasse, mais je ne la connais vraiment pas bien du tout. C’était juste sexuel. C’est tout. J’étais son premier mec… et elle était un peu curieuse, vous voyez ? Elle n’était pas non plus du genre accro au sexe, mais on se voyait souvent. »
« Je pensais que tu avais dit qu’elle était affectueuse avec la plupart des types, » dit DeMarco.
Il se contenta de hausser les épaules. C’était visiblement un mensonge qu’il avait dit pour garder la face.
« Et ses parents ? » demanda Kate. « Qu’est-ce que tu peux nous dire à leur sujet ? »
« Rien. Je savais qui était son père. C’est une petite ville, vous savez. Tout le monde se connaît. Et elle disait toujours en blaguant que si son père apprenait qu’on bai… qu’on avait des relations sexuelles, » dit-il, ne trouvant apparemment pas approprié d’utiliser un autre terme devant deux femmes, « il me tuerait. »
« Et tu la croyais ? »
« Je ne sais pas. Mais j’imagine. En tant que mec, on n’a jamais vraiment envie de penser que le père de la fille avec qui on couche pourrait l’apprendre. Je ne savais pas quoi penser au sujet de ses parents. Elle les détestait. Elle les haïssait vraiment, vous savez ? »
« Ah bon ? »
« De la manière dont elle parlait d’eux, oui, je pense bien. Si je peux… »
Il s’interrompit et eut l’air de réfléchir à quelque chose. Puis il regarda Kate et DeMarco comme s’il essayait de savoir jusqu’où il pouvait aller.
« À quoi tu penses ? » demanda Kate.
« Écoutez, je sais que c’est nul d’avoir couché avec elle au moins une vingtaine de fois et de ne pas la connaître plus que ça. Mais j’ai toujours trouvé que c’était bizarre la manière dont elle parlait de ses parents. »
« C’est-à-dire ? »
Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, on frappa à la porte. Le shérif Barnes l’ouvrit et passa la tête dans l’embrasure. Il y eut un bref échange de regards entre Barnes et Jeremy. Kate comprit que ce n’était probablement pas la première fois que Jeremy se retrouvait dans cette salle d’interrogatoire.
« Jeremy Branch ? » dit-il. « Qu’est-ce qu’il fout là ? »
« Tu lui dis ou on s’en charge ? » demanda DeMarco. Elle laissa quelques secondes à Jeremy pour répondre mais comme il restait silencieux, elle mit Barnes au courant de la situation. « Il couchait avec Mercy Fuller… et la dernière fois date de la semaine dernière. Il vient juste de nous dire combien il trouvait étrange que Mercy parle de manière aussi négative au sujet de ses parents. Combien elle les haïssait. »
« Tu couchais avec elle ? » demanda Barnes. « Mais… tu as quel âge ? »
« Dix-sept ans. Je n’aurai dix-huit ans que le mois prochain. »
« Vas-y, continue, » dit Kate, en revenant sur le sujet. « Raconte-nous le genre de choses que Mercy disait au sujet de ses parents. »
« Elle disait qu’ils ne la laissaient jamais rien faire. Qu’ils ne lui faisaient pas confiance. Elle en voulait particulièrement à sa mère. À au moins deux ou trois reprises, elle a dit un truc du genre ‘j’ai juste envie de la tuer, cette connasse.’ Elle détestait sa mère. »
« Est-ce qu’elle t’a parlé de la relation que ses parents avaient entre eux ? » demanda Kate.
« Non. Elle parlait rarement d’eux. Elle crachait son venin pendant un moment, s’énervait un peu, et c’était généralement à ce moment-là qu’on couchait ensemble. Je… je ne sais pas. Je n’ai jamais pensé qu’elle finirait vraiment par le faire. »
« Faire quoi ? » demanda Barnes.
Jeremy leva les yeux vers eux, comme s’ils n’avaient rien compris de ce qu’il venait de leur dire. « Sérieusement ? Écoutez… comme je vous l’ai dit. Elle avait l’air un peu ingénue, à part le fait d’être un peu nympho, mais si vous cherchez l’assassin de ses parents… c’est elle que vous devez trouver. Je peux vous garantir que Mercy a tué ses parents avant de quitter la ville. »
CHAPITRE SIX
Jusque-là, personne ne s’était encore assis sur la chaise qui se trouvait en face de Jeremy. Kate, DeMarco et Barnes étaient restés debout. Mais au moment où Jeremy fit cette accusation, le shérif Barnes s’avança lentement vers la chaise et s’assit en face de l’adolescent. Il y avait un mélange de tristesse et de colère dans ses yeux au moment où il pointa un doigt accusateur en direction de Jeremy.
« Je suis shérif dans cette ville depuis seize ans. Je connaissais bien Wendy et Alvin Fuller. Et d’après ce que je sais, Mercy Fuller était une jeune fille bien. Certainement pas une petite merdeuse comme toi. Alors si tu tiens à faire une telle accusation, il vaudrait mieux pour toi que tu aies de quoi l’étayer. »
Jeremy hocha la tête, visiblement très effrayé. « Oui, j’ai de vraies raisons de le penser. »
Barnes croisa les bras, s’appuya contre le dossier de la chaise et un léger rictus se dessina sur ses lèvres. Quand Jeremy se mit à parler, il le fit sans quitter Barnes des yeux. Il avait l’air d’avoir peur que Barnes se jette à tout moment à son cou pour l’étrangler.
« Ça faisait peut-être trois ou quatre semaines qu’on se voyait quand elle mentionna pour la première fois l’idée de s’enfuir de chez elle. Elle m’a demandé si je viendrais avec elle. Elle voulait aller en Caroline du Nord. Je me suis un peu moqué d’elle parce que je ne voyais pas à quoi ça servait de fuguer pour aller si peu loin. En plus, je ne l’aimais pas de cette façon-là. Mon frère blaguait tout le temps sur le fait que les filles avaient tendance à être obsédées par le premier garçon avec lequel elles couchaient. Et je pense que c’était son cas. En tout cas, il était hors de question que je fugue avec elle. Mais la manière dont elle en parlait… il était clair qu’elle l’envisageait vraiment. »
« Est-ce que tu penses que la raison pour laquelle elle voulait fuguer, c’était parce qu’elle détestait vraiment ses parents ? » demanda Kate.
« J’imagine. Enfin, c’est la seule véritable raison à laquelle je peux penser qui pourrait l’avoir motivée à vouloir partir de chez elle. En même temps… mes parents, ce sont aussi des connards. Mais je n’ai jamais fugué. »
« Non, » dit Barnes. « Tu t’es contenté de déménager à trois kilomètres, dans le mobile home de ton frère. Peut-être que Mercy n’avait pas cette possibilité. »
« Mais, » continua Kate, pour éviter que Barnes ne fasse dévier le sujet de la conversation. « Est-ce que tu es sûr qu’elle parlait sérieusement quand elle mentionnait le fait de fuguer ? Elle n’essayait pas juste de t’épater pour que tu restes avec elle ? »
« Non. Mais elle n’arrêtait pas de dire que sa mère pèterait un câble en essayant de la retrouver – pas parce qu’elle aurait spécialement envie de la retrouver mais parce qu’elle aurait eu l’impression de s’être fait avoir par Mercy. »
« Est-ce qu’elle a mentionné des cas d’abus ou de maltraitance à la maison ? » demanda DeMarco.
« Non. En tout cas… pas récemment. Elle m’a juste raconté une fois que sa mère l’avait traînée et frappée au visage quand elle avait onze ou douze ans. »
« Et est-ce qu’elle a déjà mentionné le fait de vouloir vraiment les tuer ? » demanda Kate.
« À plusieurs reprises. Elle disait des trucs du genre ‘je meurs d’envie de les tuer’. Puis elle se demandait si elle le ferait avec un couteau ou avec une arme. Elle aimait vraiment en parler. Mais je lui disais d’arrêter. Quand on se voyait, c’était juste pour le sexe. Et je n’avais pas envie de l’entendre parler d’assassiner ses parents alors qu’on était sur le point de coucher ensemble, vous voyez ? »
Jeremy s’interrompit et les regarda. Kate réfléchit à ce qu’il venait de leur dire. Il leur avait déjà menti une fois concernant le fait que Mercy était une fille légère et elle se demandait si le reste était également un mensonge.
Elle se pencha vers le shérif Barnes qui était toujours assis et murmura à son oreille : « Est-ce qu’on peut se parler un moment en privé ? »
Il hocha la tête et se leva de sa chaise, sans quitter Jeremy des yeux. Il ne se contenta pas de sortir de la pièce – il en sortit d’un air furieux. Sans même dire un mot à Kate et DeMarco qui le suivaient, il alla directement dans son bureau. Il leur tint la porte pour qu’elles puissent entrer et la referma une fois qu’elles furent toutes les deux à l’intérieur.
Aussi sec, il dit : « Et merde. »
« Vous pensez qu’il dit la vérité ? » demanda Kate.
« Je pense qu’il y a suffisamment de bribes véridiques dans son histoire pour qu’elle soit crédible. Cette fois où Wendy Fuller avait frappé Mercy… ça s’est vraiment passé. Mercy a appelé la police. Et elle n’était pas triste de l’avoir fait. C’était il y a environ cinq ans, mais je m’en rappelle très bien. Elle était vraiment vindicative. Elle voulait vraiment que sa mère ait des ennuis. Mais finalement, il a suffi de parler un peu avec eux et tout s’est arrangé. Wendy avait un problème d’alcoolisme à l’époque. D’après ce que je sais, ça fait maintenant deux ans qu’elle ne boit plus une goutte. Quant au fait que Mercy haïsse autant ses parents… je ne sais pas quoi en penser. »





