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Le trône de Thanos.
“Pas le trône de Thanos”, répondit sèchement Lucious au vide qui l’entourait. “Le mien.”
“Tu as dit quelque chose ?” demanda le marin sans se soucier de se retourner.
Lucious s'éloigna de lui et donna un coup de poing au bois du mât par pure contrariété, mais cela ne fit que lui donner soudainement mal aux jointures des doigts et en égratigner la peau. S'il avait pu faire ce qu'il voulait, il aurait aussi dépecé un ou deux membres de l’équipage.
Cependant, Lucious gardait ses distances avec eux et restait dans les parties dégagées du pont où on lui avait dit qu'il pouvait aller, comme s'il était un quelconque roturier à qui il fallait dire où il avait le droit de se tenir, comme s'il ne pouvait pas légitimement revendiquer tous les vaisseaux de l'Empire si tel était son bon vouloir.
Pourtant, c'était exactement ce qu'avait fait le capitaine du bateau. Il avait clairement indiqué à Lucious qu'il faudrait qu'il reste à l'écart de l'équipage pendant qu'il travaillait et qu'il ne cause aucun dérangement.
“Autrement, tu te retrouveras à l'eau et tu pourras rejoindre Felldust à la nage”, avait dit l'homme.
Tu aurais peut-être dû le tuer comme tu m'as tué, moi.
“Je ne suis pas fou”, se dit Lucious. “Je ne suis pas fou.”
Il ne l'accepterait jamais, tout comme il n'accepterait jamais que les hommes continuent à lui parler sur un ton méprisant comme s'il comptait pour rien. Il se souvenait encore de la furie froide qui s'était emparée de lui quand il avait frappé son père, quand il avait senti le poids de la statue dans sa main et s'en était servi pour frapper parce que c'était le seul moyen de garder ce qui lui revenait.
“Tu m'y as poussé”, marmonna Lucious. “Tu ne m'as pas laissé le choix.”
Je suis tout aussi convaincu qu'aucune de tes victimes ne t'a donné le choix, dit la voix intérieure. Tu en es à combien de meurtres, maintenant ?
“Quelle importance ?” demanda Lucious. Il avança à grands pas vers la balustrade et hurla par-dessus le tumulte des vagues. “Ça n'a aucune importance !”
“Silence, gamin, on essaie de travailler, ici !” cria le capitaine du navire depuis la passerelle.
Tu n'es même pas capable de faire ce qu'il faut au milieu de l'océan, dit sa voix intérieure.
“Tais-toi”, répondit sèchement Lucious. “Tais-toi !”
“Tu oses me parler sur ce ton, gamin ?” demanda le capitaine en descendant sur le pont principal pour le défier. L'homme était plus grand que Lucious et, normalement, Lucious aurait dû avoir peur. Cependant, il n'avait plus de place pour la peur parce que ses souvenirs l'avaient chassée. Des souvenirs de violence. Des souvenirs de sang. “Je suis le capitaine de ce vaisseau !”
“Et moi, je suis un roi !” répliqua Lucious en envoyant un direct prévu pour frapper l'autre homme à la mâchoire et l'envoyer chanceler en arrière. Lucious n'avait jamais cru au fair-play.
En fait, le capitaine recula en évitant facilement le coup. Lucious glissa sur le pont humide et, à ce moment, l'autre homme le gifla.
Une gifle ! Comme s'il n'était pas un guerrier, un ennemi digne de ce nom mais une quelconque prostituée qui venait de parler sans autorisation ! Comme s'il n'était pas un prince !
Malgré cela, le coup suffit à le faire tomber sur le pont et il poussa un petit cri de colère.
Tu ferais mieux de rester où tu es, mon garçon, murmura la voix de son père.
“Tais-toi !”
Il plongea la main dans sa tunique pour y prendre le couteau qu'il y gardait. Ce fut à ce moment que le capitaine Arvan lui donna un coup de pied.
Le premier coup atteignit Lucious au ventre et fut assez dur pour le faire tomber, de ses genoux, sur le dos. Le second ne fit que lui taper légèrement la tête mais fut quand même assez violent pour lui faire voir des étoiles. Il ne parvint nullement à faire taire la voix de son père.
Et tu prétends être un guerrier ? Je sais que tu es capable de faire mieux que ça.
Facile à dire. Ce n'était pas lui qu'on battait à mort sur un pont de navire.
“Tu t'imagines que tu peux me poignarder, gamin ?” demanda le capitaine Arvan. “Je vendrais volontiers ta carcasse si je croyais que quelqu'un accepterait de l'acheter. On va se contenter de te jeter à l'eau et de voir si les requins te trouvent aussi répugnant que nous !” Il y eut un moment de silence, ponctué par un autre coup de pied. “Vous deux, saisissez-le. On va voir si les membres de la famille royale flottent mieux que les roturiers.”
“Je suis un roi !” se plaignit Lucious quand des mains fortes commencèrent à le soulever. “Un roi !”
Et bientôt tu seras un ex-roi, ajouta la voix de son père.
Lucious eut la sensation de ne plus rien peser quand les hommes le soulevèrent. De là où il était, il voyait l'étendue d'eau sans fin qui les entourait et dans laquelle on allait bientôt le jeter pour l'y noyer. Cependant, l'eau n'était pas sans fin, n'est-ce pas ? Ne voyait-il pas —
“Terre !” hurla leur vigie.
L'espace d'un instant, la tension se maintint et Lucious fut sûr qu'on allait quand même le jeter à l'eau.
A ce moment, la voix tonitruante du capitaine Arvan mit fin à l'attente.
“Laissez cet imbécile royal ! On a tous beaucoup à faire et on sera assez vite débarrassé de lui.”
Les marins ne contestèrent pas cet ordre. Se contentant de laisser tomber Lucious sur le pont, ils se détournèrent de lui et se mirent à tirer sur des cordes avec le reste de l'équipage.
Un peu de reconnaissance ne serait pas de trop, murmura la voix de son père.
Cependant, Lucious était tout sauf reconnaissant. Il préféra ajouter mentalement ce navire et son équipage à la liste de ceux qui paieraient quand il aurait récupéré son trône. Il les condamnerait au bûcher.
Il les condamnerait tous au bûcher.
CHAPITRE CINQ
Assis dans sa cage, Thanos attendait la mort. Il se tournait dans tous les sens, cuisant lentement sous le soleil de Delos pendant que, de l'autre côté de la cour, les gardes construisaient la potence sur laquelle il allait être tué. Thanos ne s'était jamais senti aussi impuissant.
Ou aussi assoiffé. Ils l'avaient abandonné là, ne lui avaient donné ni à manger ni à boire. Ils ne prêtaient attention à Thanos que pour faire s'entrechoquer leurs épées à travers les barreaux de sa potence, pour le railler.
Les domestiques traversaient la cour en tous sens et à la hâte. Ils se déplaçaient avec une urgence qui suggérait qu'il se passait quelque chose au château et que Thanos ne savait pas quoi. Ou peut-être était-ce simplement ce qui se passait peu après la mort d'un roi. Peut-être toute cette activité était-elle simplement due au fait que la Reine Athena gérait maintenant Delos de la façon qu'elle voulait.
Thanos imaginait sans peine la reine en plein travail. Alors que d'autres auraient pu être la proie du chagrin, à peine capables d'assurer le minimum, Thanos l'imaginait parfaitement se servir de la mort de son mari comme d'une opportunité.
Thanos serra plus fort les barreaux de la potence. En ce moment-là, il y avait de fortes chances pour qu'il soit le seul à vraiment regretter la mort de son père. Les domestiques et les gens de Delos avaient toutes les raisons de détester leur roi. Athena était probablement trop préoccupée par ses conspirations pour s'en soucier. Quant à Lucious …
“Je te trouverai”, promit Thanos. “J'obtiendrai justice pour ça. Pour tout.”
“Oh, justice sera faite, aucun doute”, dit un des gardes. “Dès qu'on t'étripera pour ce que tu as fait.”
Il donna un coup aux barreaux et atteignit les doigts de Thanos avec une violence qui le fit siffler de douleur. Thanos essaya de saisir le bras du garde mais ce dernier se contenta de se placer habilement hors d'atteinte en riant et d'aller aider les autres à construire l'estrade sur laquelle Thanos devait finalement être tué.
C'était une scène. Tout cela était un spectacle. En un unique instant de violence, Athena allait prendre le contrôle de l'Empire. D'un seul coup, elle allait se débarrasser de l'obstacle principal qui l'empêchait d'accéder au pouvoir et aussi montrer qu'elle restait à la tête du royaume même si ce serait son fils qui porterait la couronne.
Peut-être croyait-elle même que ça allait vraiment se passer comme ça et, dans ce cas de figure, Thanos lui souhaitait bonne chance. Athena était mauvaise et cupide mais son fils était un fou sans limites. Il avait déjà tué son père et, si sa mère croyait qu'elle allait pouvoir le contrôler, alors, elle allait avoir besoin de toute l'aide disponible.
Et aussi tous les citoyens de Delos, du paysan le plus humble jusqu'à Stephania. Ils seraient tous piégés et à la merci d'une famille royale qui n'en avait aucune.
Quand il pensa à son épouse, Thanos grimaça. Il était venu ici pour la sauver et le résultat avait été tout différent. S'il n'avait pas été là, la situation se serait peut-être améliorée. Les gardes se seraient peut-être rendus compte que c'était Lucious qui avait tué le roi. Ils seraient peut-être passés à l'action au lieu d'essayer de tout passer sous silence.
“Ou peut-être auraient-ils accusé la rébellion”, dit Thanos, “et donné une autre excuse à Lucious.”
Il l'imaginait sans peine. Même si la situation allait de pire ne pire, Lucious trouverait toujours un moyen de rejeter la faute sur les autres. De plus, si Thanos n'avait pas été présent lors de l'agonie du roi, il n'aurait pas pu entendre son père le reconnaître comme son fils aîné. Il n'aurait pas appris qu'il pouvait en trouver la preuve à Felldust.
Il n'aurait pas eu l'occasion de dire adieu ou de tenir son père pendant qu'il mourait. Ses regrets présents étaient tous dus au fait qu'il ne verrait jamais Stephania avant son exécution, qu'il ne pourrait jamais s'assurer qu'elle allait bien. Malgré tout ce qu'elle avait fait, il n'aurait pas dû l'abandonner sur ce quai. Il avait agi de façon égoïste, n'avait pensé qu'à sa colère et à son dégoût personnels. Cela lui avait coûté son épouse et la vie de son enfant.
Cela allait probablement lui coûter sa propre vie, étant donné qu'il n'était là que parce que Stephania était piégée. S'il l'avait emmenée avec lui, s'il l'avait laissée en sécurité sur Haylon, rien de tout cela ne se serait produit.
Thanos comprit alors qu'il n'y avait qu'une chose qu'il fallait qu'il fasse avant qu'on ne l'exécute. Il ne pourrait pas s'évader, ne pourrait pas espérer éviter ce qui l'attendait mais il pourrait quand même essayer d'arranger les choses.
Il attendit qu'un autre des domestiques traverse la cour et se rapproche. Le premier auquel il fit signe continua à marcher.
“Je t'en prie”, cria-t-il au deuxième, qui se tourna avant de secouer la tête et de poursuivre sa route.
Le troisième, une jeune femme, s'arrêta.
“Nous ne devons pas te parler”, dit-elle. “On nous a interdit de t'apporter à manger ou à boire. La reine veut que tu souffres pour avoir tué le roi.”
“Je ne l'ai pas tué”, dit Thanos. Il tendit la main quand elle commença à se détourner. “Je ne m'attends pas à ce que tu me croies et je ne te demande pas d'eau. Pourrais-tu m'apporter un fusain et du papier ? La reine ne peut pas vous l'avoir interdit.”
“Prévois-tu d'écrire un message pour la rébellion ?” demanda la domestique.
Thanos secoua la tête. “Pas du tout. Tu pourras lire ce que j'écrirai si tu le veux.”
“Je … j'essaierai.” On aurait dit qu'elle allait en dire plus mais Thanos vit un des gardes regarder dans leur direction et la domestique partit précipitamment.
Thanos eut peine à patienter. Comment pouvait-on s'attendre à ce qu'il regarde les gardes construire la potence à laquelle on allait le pendre jusqu'à ce qu'il soit presque mort ou la grande roue sur laquelle on allait par la suite lui briser les membres ? Cette petite cruauté montrait que, même si la Reine Athena réussissait à contrôler son fils, l'Empire ne serait pas parfait, loin de là.
Il était encore en train de penser à toutes les cruautés que Lucious et sa mère allaient pouvoir infliger au pays quand la domestique arriva avec quelque chose de glissé sous le bras. Ce n'était seulement qu'un reste de parchemin et un minuscule fusain mais elle les lui passa quand même aussi furtivement que s'ils avaient été la clé de sa liberté.
Thanos prit les deux objets avec tout autant de soin. Il était certain que les gardes les lui enlèveraient, même si ce n'était que pour avoir une petite occasion supplémentaire de le faire souffrir. Même si certains des gardes n'étaient pas complètement corrompus par la cruauté de l'Empire, ils croyaient qu'il était le pire des traîtres et qu'il méritait tout ce qui lui arrivait.
Il se recroquevilla sur le reste de parchemin et murmura les mots de son message, qu'il essaya d'écrire de façon à s'exprimer avec exactitude. Il écrivit en lettres minuscules car il savait qu'il en avait gros sur le cœur et qu'il allait falloir qu'il le fasse rentrer sur cette petite page :
A mon épouse chérie, Stephania. Quand tu liras ceci, j'aurai été exécuté. Peut-être considéreras-tu que je l'ai mérité, après la façon dont je t'ai abandonnée. Peut-être ressentiras-tu un peu de la douleur que je ressens quand on t'aura forcé à faire trop de choses que tu ne voulais pas faire.
Thanos essayait de trouver les mots qui correspondaient à ce tout ce qu'il ressentait. Il avait peine à noter tout ça, ou à trouver du sens au maelstrom déroutant de sentiments qui tourbillonnait en lui :
Je … t'aimais vraiment et je suis venu à Delos pour essayer de te sauver. Je suis désolé de ne pas y être parvenu, même si je ne suis pas sûr que nous aurions pu nous remettre ensemble. Je … sais à quel point tu as été heureuse d'apprendre que nous allions avoir un enfant et j'ai moi aussi ressenti beaucoup de joie. Malgré cela, mon plus grand regret est que nous ne verrons jamais le fils ou la fille qui aurait pu naître.
Cette simple pensée le fit plus souffrir que tous les coups que les gardes lui avaient donnés. Il aurait dû revenir plus tôt pour libérer Stephania. Il n'aurait jamais dû l'abandonner.
“Je suis désolé”, murmura-t-il, conscient qu'il n'aurait pas assez de place pour écrire tout ce qu'il voulait dire. Il ne pouvait assurément pas dévoiler tous ses sentiments dans un message qu'il allait confier à une inconnue. Il espérait seulement que ce court message suffirait.
Il aurait pu en écrire beaucoup plus mais, finalement, il avait dit l'essentiel. Son chagrin que tout ait mal tourné. Le fait qu'il y ait eu de l'amour entre eux. Il espéra que cela suffirait.
Thanos attendit que la domestique repasse près de lui et l'arrêta en tendant le bras.
“Peux-tu apporter ce message à Lady Stephania ?” demanda-t-il.
La domestique secoua la tête. “Je suis désolée mais non.”
“Je sais que je te demande beaucoup”, dit Thanos. Il comprenait le risque qu'il demandait à la domestique de prendre. “Cela dit, si qui que ce soit peut le lui apporter pendant qu'elle est encore enfermée —”
“Ce n'est pas ça”, dit la domestique. “Lady Stephania n'est pas ici. Elle est partie.”
“Partie ?” répéta Thanos. “Quand ?”
La domestique écarta les mains. “Je ne sais pas. J'ai entendu une de ses servantes en parler. Elle est partie en ville et elle n'est pas revenue.”
S'était-elle échappée ? Avait-elle réussi à quitter le château sans son aide ? Sa servante avait dit que c'était impossible, mais est-ce que Stephania avait quand même trouvé un moyen ? Il pouvait espérer que ce soit possible, n'est-ce pas ?
Thanos y pensait encore quand il se rendit compte que toute activité avait pris fin autour de la potence. Quand il regarda, il n'eut aucun mal à comprendre pourquoi. Le travail était fini. Des gardes attendaient à côté, en admiration visible devant leur construction. Un nœud coulant pendait, sombre sur fond de ciel. Une roue et un brasier se trouvaient à côté. Au dessus de tout le reste trônait une grande roue équipée de chaînes. Un énorme marteau gisait par terre à côté.
A présent, Thanos voyait les gens se rassembler. Les gardes étaient disposés en cercle autour des bords de la cour. On aurait dit qu'ils étaient là aussi bien pour empêcher d'autres personnes de se mêler de leurs affaires que pour voir Thanos mourir de leurs propres yeux.
Au-dessus, Thanos voyait des domestiques et des nobles contempler la scène depuis leurs fenêtres. Certains semblaient ressentir de la pitié, d'autres étaient impassibles et d'autres franchement haineux. Thanos en vit même quelques-uns contempler la scène perchés sur les toits parce qu'ils n'avaient aucun autre endroit d'où le faire. On aurait dit que, pour eux, c'était l'événement social de la saison, pas une exécution, et cette idée éveilla la colère en Thanos.
“Traître !”
“Assassin !”
Les huées descendirent des fenêtres et les insultes furent suivies par des fruits. Ce fut le plus dur à supporter. Thanos avait cru que ces gens le respectaient et sauraient qu'il n'aurait jamais pu faire ce dont on l'avait accusé, mais ils le raillaient comme s'il était le pire des criminels. Ils ne l'insultaient pas tous mais étaient quand même nombreux à le faire et Thanos se mit à se demander s'ils le détestaient vraiment à ce point ou s'ils voulaient juste montrer au nouveau roi et à sa mère de quel côté ils étaient.
Quand ils vinrent le chercher, le traîner hors de sa potence, il se débattit. Il donna des coups de poings et de pieds, les frappa et essaya de se libérer en se tortillant mais ce n'était jamais assez. Les gardes lui saisirent les bras, les lui tordirent dans le dos et les lui attachèrent. Alors, Thanos arrêta de se battre mais seulement parce qu'il voulait faire preuve d'un minimum de dignité en ce moment-là.
Ils l'emmenèrent pas à pas jusqu'à la potence qu'ils avaient construite. Sans y être forcé, Thanos monta sur le tabouret qu'ils avaient installé sous le nœud coulant. S'il avait de la chance, sa chute lui romprait peut-être les vertèbres et les frustrerait du reste de leur cruel amusement.
Quand ils lui passèrent le nœud coulant autour du cou, il se mit à penser à Ceres, à tout ce qui aurait pu être différent. Il avait voulu changer les choses. Il avait voulu améliorer les choses et vivre avec elle. Il aurait voulu …
Cependant, il n'avait plus le temps de vouloir quoi que ce soit. Il sentit les gardes écarter le tabouret d'un coup de pied et le nœud coulant se resserrer autour de son cou.
CHAPITRE SIX
Ceres se moquait que le château soit supposé être le dernier bastion impénétrable de l'Empire. Elle se moquait de ses murailles qui ressemblaient à des parois à pic ou de ses portes qui pouvaient résister à des armes de siège. Elle allait le détruire.
“En avant !” hurla-t-elle à ses partisans, qui déferlèrent à sa suite. Un autre général aurait peut-être dirigé ses soldats de l'arrière, choisi la prudence et laissé les autres prendre les risques. Ceres ne pouvait pas faire ça. Elle voulait démanteler elle-même ce qui restait du pouvoir de l'Empire et elle soupçonnait que c'était à moitié pour cela que tant de gens la suivaient.
A présent, ils étaient encore plus nombreux que dans le Stade. Le peuple de la cité était sorti dans les rues, la rébellion s'était à nouveau étendue comme des cendres brûlantes auxquelles on ajoute du bois. On voyait des gens vêtus comme des dockers, des bouchers, des palefreniers et des marchands. Maintenant, il y avait même quelques gardes qui avaient hâtivement arraché leurs couleurs impériales quand ils avaient vu la marée populaire qui approchait.
“Ils se seront préparés à nous accueillir”, dit un des seigneurs de guerre qui marchait à côté de Ceres alors qu'ils approchaient du château.
Ceres secoua la tête. “Ils nous verront venir mais cela ne veut pas dire qu'ils seront prêts.”
Personne ne pouvait se préparer à ce genre d'événement. Ceres se moquait du nombre d'hommes dont l'Empire disposait maintenant, ou de la résistance de ses murailles. Elle avait toute une cité de son côté. Avec les seigneurs de guerre, elle remontait les rues et le large boulevard qui menait aux portes du château à toute vitesse. Ils étaient en tête. Le peuple de Delos et ce qui restait des hommes de Lord West les suivaient derrière, portés par une marée d'espoir et de colère populaire.
Quand ils approchèrent du château, Ceres entendit crier devant. Elle entendit aussi sonner des cors et les soldats essayer d'organiser une défense aussi significative que possible.
“C'est trop tard”, dit Ceres. “Ils ne peuvent plus nous arrêter, maintenant.”
Pourtant, elle savait qu'il y avait des choses qu'ils pouvaient faire, même maintenant. Des flèches commencèrent à pleuvoir des murs, moins nombreuses que celles qui avaient formé une pluie aussi mortelle pour les troupes de Lord West mais bien assez dangereuses pour les gens dépourvus d'armure. Ceres vit un homme à côté d'elle recevoir une des flèches dans la poitrine. Une femme tomba en hurlant plus loin derrière.
“Ceux qui ont un bouclier ou une protection, suivez-moi”, cria Ceres. “Tous les autres, préparez-vous à charger.”
Pourtant, les portes du château se refermaient déjà. Ceres vit ses partisans comme une vague qui se brisait sur les portes comme si elles étaient la coque d'un grand navire, mais elle ne ralentit pas. Les vagues pouvaient aussi submerger les navires. Même quand les grandes portes se refermèrent en claquant aussi fort que le tonnerre, elle ne s'arrêta pas. Elle comprit juste qu'il faudrait déployer plus d'efforts pour vaincre le mal qu'incarnait l'Empire.
“Grimpez !” hurla-t-elle aux seigneurs de guerre en remettant ses deux épées jumelles au fourreau pour pouvoir bondir sur le mur. La pierre rude avait assez de prises pour tous ceux qui avaient le courage de tenter l'escalade et les seigneurs de guerre avaient bien assez de bravoure pour cela. Ils la suivirent et leur corps musclé les propulsa vers le haut des fortifications comme si c'était un exercice d'entraînement ordonné par leur instructeur en combat.
Ceres entendit ceux qui la précédaient demander des échelles et comprit que les membres ordinaires de la rébellion ne tarderaient pas à la suivre. Cependant, pour l'instant, elle se contenta de se concentrer sur le toucher rêche de la pierre sous ses mains et sur l'effort qu'il lui faudrait déployer pour se hisser d'une prise à la prise suivante.
Une lance la frôla rapidement, visiblement lancée par quelqu'un qui se tenait au-dessus. Ceres s'aplatit contre le mur, la laissa passer puis continua à grimper. Elle serait une cible tant qu'elle serait sur le mur et la seule solution était de continuer. Ceres se sentit heureuse qu'ils n'aient pas eu le temps de préparer de l'huile bouillante ou du sable brûlant pour se prémunir contre les grimpeurs.
Elle atteignit le haut du mur et y trouva immédiatement un garde, qui défendait l'endroit. Ceres fut heureuse d'être la première à avoir atteint le sommet car seule sa vitesse de réaction la sauva en lui permettant de tendre le bras pour se saisir de son adversaire et de le descendre de son perchoir du haut des remparts. Il tomba en hurlant dans la masse grouillante des partisans de Ceres.
Alors, Ceres bondit sur le mur et tira ses deux épées pour taillader de tous côtés. Un deuxième homme lui fonça dessus et, en même temps qu'elle parait, elle frappa et sentit la lame atteindre sa cible. Une lance arriva sur le côté et rebondit sur son armure partielle. Ceres répliqua avec brutalité. En quelques secondes, elle s'était dégagé un espace en haut du mur et, à ce moment, les seigneurs de guerre arrivèrent en masse en haut du mur et remplirent l'espace.
Certains des gardes essayèrent de répliquer. Un homme essaya de frapper Ceres avec une hache. Elle se baissa rapidement, entendant le bruit sourd de la hache qui heurtait la pierre derrière elle, puis transperça le ventre à son assaillant avec une de ses épées. Elle le contourna et le fit tomber vers la cour d'un coup de pied. Elle reçut un coup contre ses épées et repoussa un autre homme.
Il n'y avait pas assez de gardes pour tenir le mur. Certains s'enfuirent. Ceux qui s'avancèrent périrent. L'un d'eux se rua sur Ceres avec une lance, qu'elle sentit lui érafler la jambe quand elle l'esquiva, dépourvue de marge de manœuvre. Elle donna un coup bas pour paralyser son assaillant, puis frappa avec ses épées à hauteur de sa gorge.